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Le Milan kabyle infortuné (Abdelmadjid ADOUR)

 

Assalou*, la voie tracée

*Assalou : en kabyle, sentier extorqué difficilement à la neige lors des intempéries.

 

Il aime le peuple dont il est issu, malgré le fait qu'il soit né et qu'il ait grandi, en partie, loin de ce peuple et de la terre de ses parents. Les mauvais coups et toutes les péripéties sombres et condamnables de sa vie d'immigré ex-truand, il veut s'en éloigner définitivement, tourner la page en quelque sorte et retourner vivre parmi les siens, dorénavant dans un environnement sain qu'il se promet de créer lui-même. Il estime avoir chèrement payé ses fautes par de la détention et s'il a évité de justesse d'être à jamais expulsé de France, il souhaite quand-même la quitter et n'y revenir qu'à diverses occasions !

Bouid ou Milan* pour les intimes, est bien constitué morphologiquement, il a été gratifié d'un beau physique qui explique mal ce surnom bizarre de milan: ou gypaète charognard ! D'ailleurs, son pays qu'il aime tellement ne lui a pas souri tant que ça, il s'y sent comme une personne adoptive dans une grande famille ! Sa physionomie a été pour lui un handicap chez lui depuis son plus jeune âge. Depuis son retour en Algérie tout jeune qu'il était suite à la décision de son père de déménager de Marseille, sa ville natale, il s'est toujours retrouvé dans une atmosphère de curiosité au sein de son entourage. Pour d'aucuns il est sujet de jalousie : il n'avait qu'à naître comme tout le monde et avoir des traits communs à l'ensemble de ses congénères, alors, rien que pour cela il était objet d'animosité, de ressentiment et de rejet ! Du reste, il a plusieurs fois été corrigé par des garçons de son âge rien que pour casser lui cette « belle gueule » qu'il arbore !

Pour d'autres il est sujet d'exotisme, à contrario de la curiosité des gens du nord de découvrir les mœurs et les traits des habitants des pays du sud ! Il a enduré, par rapport à cela, de bien étranges et regrettables péripéties durant cette période d'enfance et d'adolescence qu'il a vécue avant de retourner à Marseille.

Vautour-Pyrenees_ph-Mariano.jpg

Cependant, maintenant qu'il est adulte en possession de toutes ses facultés de raisonnement, il pense que tout cela relève du passé et qu'il fallait, dorénavant, ne tenir compte que de la projection vers l'avenir !

Il a juré de tout faire désormais pour aider à sa manière son pays à pouvoir décoller économiquement ! Certes, il est loin de se mettre à la place de tout un État capable, par des plans et programmes minutieusement étudiés ainsi que des prévisions à court, moyen et long terme, de permettre le développement auquel aspire toute la Nation ! Mais, se dit-il, si chacun pouvait y mettre du sien dans son domaine propre, la conjugaison de plusieurs initiatives ne mènerait forcément qu'à l'issue souhaitée, c'est à dire la création de richesses !

Bouid, lénifié, assagi, est donc prêt à jouer au Messie, et le meilleur moyen de le faire, ce n'est guère qu'en se rendant sur place pour y apporter sa propre pierre à l'édifice. Depuis qu'il habite en France et surtout depuis sa nouvelle décision de rentrer en Algérie pour y être susceptible de servir, il se sent l'esprit de conquérant et de rédempteur vis à vis de son pays qu'il aime par-dessus tout. Ces derniers temps et chaque jour que Dieu fait, il ne rate pas l'occasion d'imaginer et de mettre à jour dans son esprit quelque ambitieux projet à réaliser ! Il doit bien exister un moyen de se rendre utile, là-bas, surtout qu'il en a largement les moyens : il a amassé un bon pécule en francs français qui ne demande qu'à être dépensé. Oui, il a à disposition une somme d'argent qui dort dans une banque parisienne au compte ouvert sous le nom d'une personne qui lui est très chère, sa femme Maryvonne. Avec cette somme d'argent, il pourra facilement acquérir une usine ! Bien sûr, l'argent qu'il a pu mettre de côté ne représente certes pas les économies qu'aurait pu faire un travailleur durant toute sa vie de prolétaire ! Loin de là !

L’histoire de son accumulation d'argent se synthétise en deux parties.

En premier lieu, en se rendant en France, dans les années quatre-vingt, Bouid (Gypaète) a déjà trouvé un compte bancaire bien plein, celui de son défunt père qui, lui, a plutôt trimé pour laisser à sa famille quelques conséquentes économies ainsi qu'un bel appartement donnant sur le boulevard National à Saint-Laurent du Var.

Mais le gros du paquet, il l'a acquis d’une bien autre manière, condamnable celle-là !

Le mal qui a atteint son père n'a donné à ce dernier aucune chance et l'a emporté au moment où il s'apprêtait à jouir dune retraite paisible et méritée. Le pauvre malheureux a trimé toute sa vie durant. Il avait commencé dès l’âge de douze ans à atteler seul charrue et bœufs pour labourer le champ familial, au bled, aidé un tant soi peu (c'est à dire seulement par des orientations verbales) par son père lui-même déjà maladif à cette époque là. Après cette période de travaux des champs et le décès de son père, il se retrouva tout naturellement en train d'emprunter chez un cousin quelques sous pour acheter un costume qu'il était bien obligé de mettre pour pouvoir émigrer en France, car à l'époque il suffisait d'acheter le billet du bateau, d'avoir une carte d’identité et de s'habiller correctement pour traverser la Méditerranée et rejoindre l'eldorado !

 

*Milan : oiseau rapace diurne prolifique en Kabylie.

 

ADOUR-Abddelmadjid_Le Milan kabyle infortuné_2006.jpgAbdelmadjid ADOUR

Le Milan kabyle infortuné

Éditions Publibook ; 2006

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09/09/2010 | Lien permanent

Le refus du musée (Dahbia ABROUS) extraits

Le refus du musée, avant-projets de Magister en Langue et Culture Amazigh (1991-1998) par Dahbia ABROUS

 

Quels sont les questionnements formulés dans le champ berbère après son intégration comme champ scientifique par l'université algérienne et quelle analyse en faire ? Tel est le propos de mon intervention. L'intégration du berbère à l'université a constitué une véritable levée de tabou. Elle s'est concrétisée par l'ouverture de deux « Départements de langue et de Culture Amazigh » : l'un à Tizi Ouzou en 1990 et l'autre à Béjaïa en 1991. Il est possible de parler de « levée de tabou » car, jusqu'en 1990, les études berbères étaient exclues de l'université algérienne. Cette exclusion était elle-même dictée par le refoulement de la dimension berbère dans le discours officiel algérien. À la différence des départements d'Anglais, d'Arabe et de Français qui sont essentiellement des départements de Langue et de Lettres, ces deux nouveaux départements portent dans leur dénomination la mention « Langue et Culture Amazigh ». Outre les enseignements de Langue et Littérature, leur cursus contient des enseignements d'histoire et de socio-anthropologie. L'introduction de cette dernière discipline est en soi une nouveauté car, depuis les années 1970, ni l'ethnologie ni l'anthropologie — considérées comme des sciences coloniales — n'avaient droit de cité dans l'université algérienne.

Le cursus proposé par ces deux départements universitaires au moment de leur ouverture était un cursus de Magister (représentant la première étape dans la formation doctorale, et équivalant au Diplôme d'Études Approfondies — DEA — délivré par l'université française). L'accès à ce cursus est soumis à un concours pour lequel les candidats étaient tenus de présenter un avant-projet de recherche dans l'une des options suivantes : Civilisation, Linguistique, Littérature, le choix des thèmes relevant de leur entière initiative.

Ces avant-projets « spontanés » (leur thématique n'a pas été proposée et ils n'étaient pas encore construits sur le plan scientifique) traduisent des interrogations qui traversent à l'état diffus la société sur la situation et le devenir de la culture berbère, d'où l'intérêt de leur analyse. Pour être exhaustive, une telle analyse devrait tenir compte de la totalité des avant-projets présentés dans les départements des deux universités de Tizi-Ouzou et de Béjaïa. Dans ce travail a été dépouillé et analysé un échantillon de 44 avant-projets, représentant ceux des candidats admis aux quatre premières promotions de Magister entre 1991 et 1998 à l'université de Béjaïa. Ont été également analysées les demandes d'inscription qui accompagnaient ces avant-projets.

L'analyse de la thématique de ces avant-projets et l'étude des options dans lesquelles ils s'inscrivent indique un lien étroit avec le contexte social dans lequel ils ont été élaborés, en particulier avec la manière dont se posait la question berbère en Algérie.

Ce sont les options « Civilisation » et « Linguistique » (avec dix-huit avant-projets pour chacune) qui dominent, suivies de loin par l'option « Littérature ». En linguistique, les avant-projets comportent quelques thèmes classiques (ex : « Le verbe entre le temps et l'aspect », la formation du pluriel en berbère »). On y note aussi quelques travaux de collecte lexicale (ex : « Complément au dictionnaire de J.-M. Dallez ») et surtout des thèmes liés à la profonde dynamique qui, depuis quelques décennies, traverse le kabyle (ex : « Règles de transcription de la langue berbère », « La néologie en tamazight »). En littérature, les avant-projets sont orientés vers des objectifs de collecte (poésie, proverbes, contes) et vers l'analyse de la production littéraire moderne (romans, théâtre) ; quant aux avant-projets de civilisation, ils sont centrés sur le passé lointain, en particulier sur la Préhistoire et l'Antiquité (ex : « Essai sur la classification des monuments mégalithiques de la Berbérie protohistorique », « L'agriculture numide : les efforts de Massinissa ») et sur la revendication identitaire (ex : « Le mouvement amazigh en Algérie entre 1980 et 1995 »). L'option civilisation comporte aussi d'autres thèmes : « assemblée villageoise », « laïcité », « monographie de tribu », etc. …

D'autre part, aussi bien pour la littérature que pour la langue, ces avant-projets soulignent l'urgence des travaux de collecte, ces travaux sont perçus comme une nécessité vitale : « une véritable course contre la montre, contre la mort » (1ère Promotion, Avant-projet, p. 2). Cette collecte, non destinée au musée, est présentée comme une « tâche essentielle » qui doit assurer la permanence : « sauver notre langue de l'oubli qui la menaçait, l'écrire et l'utiliser pour qu'elle devienne un support solide et permanent susceptible de transmettre aux générations futures toutes les manifestations de notre personnalité » (4ème Promotion, Avant-projet, Avant-propos).

Face au discours officiel en matière d'identité nationale, discours dont tous les programmes du système éducatif portent l'empreinte, ces avant-projets - en raison de la diversification de leur thématique, de leur articulation avec des questions très récentes – sont porteurs d'un contre-discours : ils traduisent la dynamique d'une culture qui refuse d'être reléguée au musée.

 

CLAUDOT-HAWAD-Helene_Berberes-ou-Arabes_2006.jpgBerbères ou Arabes

 

Éditions Non-Lieu

2006

 

Pages 171 à 176

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Le voyage de Mohand (Ali MEBTOUCHE)

      Dès qu'il eut l'âge de comprendre, Mohand fut obsédé par l'idée de quitter un jour son village natal pour émigrer dans le pays de ses rêves : la France. Après avoir assisté, du début jusqu'à la fin, à la guerre d'indépendance de l'Algérie, Mohand avait atteint l'âge de s'exiler, comme tant de jeunes de son âge, et de partir à la recherche du paradis que les anciens émigrés, après des années passées en France, leur faisaient miroiter.

      Pour se rendre en France, Mohand avait dû supplier son père pendant plus d'une année…

      Enfin, tous ses papiers étaient prêts: carte d'identité, autorisation de sortie du territoire, certificat d'hébergement, que son oncle Da Lounès, le frère de son père, lui avait envoyé de France, où lui-même travaillait dans la ville de Bitche, en Moselle… Avec tous ces papiers, Mohand acheta son billet, par bateau, aller et retour payé.

      Enfin, il allait sortir de ce village où il était enfermé depuis sa venue au monde. Il était impatient d'aller voir ce monde extérieur dont il avait souvent entendu parler par les émigrés, lorsqu'ils revenaient au pays, après avoir séjourné et travaillé comme marchands de tapis dans différentes villes françaises, dont les noms enchantaient ses oreilles : Paris, Marseille, mais surtout des villes situées en Alsace-Lorraine, où la majorité de gens de son village, dont son père et son oncle Da Lounès, avaient séjourné durant les années cinquante et soixante.

      Pour voyager en France, Mohand devait partir avec son oncle, le frère de sa mère. Ce dernier avait promis à ses parents de s'occuper de lui et de lui trouver un travail à la gare de tri S.N.C.F. de Lyon-Perrache, là où lui-même travaillait comme conducteur d'un chariot-élévateur.

      Patiemment, dès le lendemain de l'indépendance de l'Algérie, en l'année mille neuf cent soixante-deux, alors que son village commençait à se vider de tous les enfants de son âge, Mohand avait attendu ce jour du vingt-sept septembre mille neuf cent soixante-quatre.

      Ce matin-là, sa mère s'arrachait les cheveux en lui disant:

" Mohand, tu n'as pas fait changer les deux cents francs que tu dois emporter avec toi ! "

      Pour passer la douane algérienne et la douane française, un émigré comme Mohand, qui n'avait jamais travaillé en France, devait faire semblant de venir en touriste. Une fois en France, on pouvait s'installer et travailler, mais c'était à ses risques et périls, car beaucoup d'émigrés étaient refoulés à la frontière, certains à Alger même, d'autres par les autorités françaises, à la descente de l'avion ou du bateau.

      Cependant, certains avaient la chance de traverser la frontière et pouvaient chercher du travail en France. Pour cela, il fallait payer son billet de bateau ou d'avion en aller-retour et emporter avec soi la somme de deux cents francs français qui prouvait aux autorités françaises que l'on avait de quoi se nourrir pendant son séjour en France. Dans la précipitation, mais surtout par ignorance, Mohand n'avait pas fait changer les deux cents dinars contre les deux cents francs français.

      Il fallait impérativement que la mention " deux cents francs français " apparaisse sur son billet de bateau, avec une signature et un tampon : " Banque Centrale d'Algérie ", banque où il devait se présenter en personne pour faire l'échange. La Banque Centrale d'Algérie ouvrait ses portes à huit heures trente… Il ne restait plus à Mohand qu'une petite matinée pour changer son argent.

      Le lendemain, un samedi matin, Mohand se leva à cinq heures. Il n'avait plus que quelques heures de chance devant lui pour se rendre en ville à bord d'un véhicule. Pour aller à Tizi-Ouzou, ville située à douze kilomètres de là, il attendit avec beaucoup de persévérance, sur la route qui passait au-dessus de son village, qu'arrive " un fraudeur ". Un " fraudeur " est un travailleur émigré qui a eu l'opportunité de ramener une voiture de France et qui, sans autorisation légale, transporte des personnes pour la somme de dix dinars aller-retour. " Les fraudeurs " étaient très rares dans le village de Mohand, comme dans la plupart des villages kabyles. À sept heures, Mohand entendit le moteur du seul camion de son village se mettre en route. Quand le camion arriva près de lui, Mohand lui fit signe de s'arrêter, puis il monta et s'installa à côté du chauffeur.

      Comme il n'y avait pas d'autre moyen de transport, le propriétaire du camion convoyait aussi bien de la marchandise que des personnes. Des bancs étaient installés à l'arrière pour permettre de s'asseoir ...

      Mohand, avait hâte d'arriver à Tizi-Ouzou, … mais le camion s'arrêtait dans tous les villages pour ramasser des gens qui se rendaient au souk de Tizi-Ouzou.

MEBTOUCHE-Ali_Le-voyage--de-Mohand.jpgAli MEBTOUCHE

Le voyage de Mohand

Autobiographie

 

Éditions Le Manuscrit,

Paris, 2004

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La Montagne Berbère (Saïd GUENNOUN)

 

Images de la guerre à travers des fragments de poèmes:

 

En dehors des combats où certains résistants perdaient une jambe, un bras ou la vie, la tactique des occupants était aussi d’amputer les guerriers de leurs femmes et de leurs enfants.

 

Dans son chef-d’œuvre intitulé « La Montagne berbère », le capitaine Saïd Guennoun de l’armée française affirme que les occupants étaient « habitués à considérer la capture des femmes et des enfants de l’ennemi (les Berbères) comme la consécration indispensable de toute victoire vraie »  

 

La montagne berbère, pp.92-93 :

 

Confirmant ce fait, un résistant de la tribu des Ayt Ihya fit le constat suivant :

 

tnġa-yi twungimt, izda wrumy tiqbilin

inġa waggu ihŗŗan ahmažžu n wafa

immut-i wعrrim zrin-id lhmum n-s ad i ttġyyarr

usin ifrax inw bbin-i wafriwn giġ ahaqqar ittnqqazn

han amaziġ da t ineqq umazigh bar ad gn ibrdan i rumiyn

isllzdy wašal s bnadm yall d yignna s idammen rrعb ay tgit a dduniyt !

 

Traduction :

 

Ma conscience me ronge, le roumi a passé à la mouture les tribus

Les fumées âcres ont étouffé la flambeau du courage

Mon fils est pris par la mort et son legs en ouvrages me torture

Enlevés, tous mes enfants ! Je suis sans mes ailes un corbeau réduit à sauter

Amazigh en tue un autre afin de baliser pour les roumis le passage

La terre a secoué tant d’hommes et le ciel -de sang- a pleuré

Ô la vie ! Tu n’es bien pour nous que frayeur !

 

L’expression de la douleur est poétique parce que, semble-t-il, on cherche l’apaisement de la souffrance dans l’esthétique et l’ordonnance du verbe, tellement et si bien qu’on chante poétiquement l’amour et la mort, l’affliction et la joie. Une chose est sûre : l’oralité étant une caractéristique essentielle de leur culture, les Berbères ont toujours compté sur la mémoire. Celle-ci privilégie le discours imagé, les fragments de poèmes, comme autant de jalons et d’indices qui serviront peut-être un jour dans les chantiers de la reconstruction de leur Histoire.

 

 

Images de l’esclavagisme et de l’avilissement

 

Lors de l’occupation des montagnes du haut Atlas, dès qu’une tribu abdiquait et déposait les armes, on enrôlait de force ses hommes pour livrer la guerre à d’autres tribus non soumises et cela donnait indiscutablement lieu à des batailles fratricides. L’armée parallèle constituée d’indigènes, œuvrait -malgré elle- sous les ordres et la surveillance des bataillons français. Le capitaine Saïd Guennoun de l’armée française rapporte qu’« En quelques jours, un escadron de spahis, particulièrement atteint par le mal, perdit par les désertions successives, plus de la moitié de son effectif. Des petits postes entiers partaient chaque matin avec leurs fusils et leurs cartouches après avoir assassiné leurs brigadiers français ou algériens qui refusaient de les suivre en dissidence. On dut désarmer ce qui restait encore de l’unité et confier les chevaux à des tirailleurs algériens volontaires, chargés désormais du service de vedettes. »

 

La montagne berbère, pp.92-93 :

 

Engagée de force – parmi des centaines d’autres- à servir de porteuse et de cuisinière auprès des colonies militaires françaises, qui pénétraient jadis progressivement dans le territoire montagnard, une femme des Ayt Ayyach Ounzegmir lançait cette complainte :

 

usiġ aġrum d waman

aġulġ d asrdun itttaqen s uggadi

usiġ tamnt usiġ isufar

usiġ i wrumiy taggwatt

g usmmid giġ udad nari

ar akkaġ allaf i wrumi y ad inġ winu

 

J’ai porté force pain et de l’eau

Je suis réduite à une mule, je me nourris du bâton

J’ai porté du miel et encore des épices

J’ai porté le baluchon lourd du Roumi

Dans le froid, je suis le mouflon des montagnes

Et j’ai nourri le Roumi qui donne la mort à mes proches.

 

 

GUENNOUN-Said_montagne-berbere.jpgGuennoun, Saïd

Rabat, 1933

La montagne berbère :

Les Aït Oumalou et le pays Zaïan.

Ed. OMNIA.

 

 

 

 

Mustapha El Qadéry

Dans MSH : Saïd Guennoun ou tiherci d’un intellectuel « indigène »

 

 

Présentation de Mustapha El Qadéry :

 

L’itinéraire de Saïd Gennoun présente beaucoup de similitudes avec celui de Jean Amrouche. Cet officier de l’armée coloniale, français d’origine kabyle et acteur de la vie intellectuelle, finit par douter du sens de « l’universalité » de la civilisation française après avoir tenté d’accomplir une simultanéité impossible des appartenances conflictuelles. Tout en ménageant l’armée, sa véritable patrie, il a su à travers ses écrits exprimer la force de ses sentiments identitaires tout en étant un pionnier dans la connaissance de la condition et l’identité « berbère » à l’époque coloniale. Ayant cru à la « mission civilisatrice » de la France, reprenant la thématique française du « Berbère » éternellement dominé, il fut pourtant entravé dans sa carrière militaire pour sa « mentalité indigène ». Comme tous les lettrés de cette époque, Saïd Guennoun est le type même du dominé qui, en ayant acquis le savoir scolaire du dominant, devient un dominant des siens, tout en restant le dominé du dernier des Européens.

 

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La vengeance du mort (Amar METREF) extrait

 

Chapitre quatorze du livre :

 

        La Kabylieest une vieille terre de traditions. Autrefois, elle avait la réputation de pratiquer des coutumes très sévères. Et, bien que le sens de l'hospitalité fût l'une des vertus cardinales de ses habitants, il n'en demeurait pas moins qu'aucun étranger ne pouvait s'aventurer dans un village sans une sorte de caution morale dont il devait donner la preuve dès l'entrée. Dès qu'il abordait l'agglomération, il était immédiatement repéré et accosté par l'un des habitants pour s'enquérir de l'objet de sa visite, de sa destination et, par la même occasion, de son identité. L'accueil était, bien entendu, fait avec courtoisie, mais l'étranger devait sentir l'obligation de se faire identifier. Lorsqu'il s'agissait d'un marchand ambulant que sa profession autorisait à pénétrer dans les villages, on le dirigeait vers la place publique où s'effectuaient les trocs et les achats ; mais quand c'était un visiteur qui se rendait chez un habitant du village, il lui suffisait de désigner son hôte pour qu'on le fît accompagner par un enfant ou un adolescent. Celui-ci le conduisait alors jusqu'à la demeure de son ami ou parent. Cette ancienne coutume peut, de prime abord, paraître contraignante ou chauvine, elle était en fait une mesure de protection de l'étranger lui-même. En réalité, c'était une manière de lui signifier que le village prenait en charge sa sécurité et d'écarter les méprises regrettables, génératrices de conflits insensés.

 

      Les trois compagnons connaissaient bien ces principes, et ils savaient en outre, de réputation, que Taghza était précisément l'un de ces villages où les traditions demeuraient vivaces. Pour éviter alors d'être interpellé, Rabah demanda au premier enfant rencontré de les conduire chez Saïd Ouhmed. Le petit gosse ne fut point étonné ni embarrassé. Au contraire. Il accepta même de faire ce service comme une personne qui avait pleinement conscience de répondre à un impérieux devoir. On devinait qu'il jouait son rôle de mentor avec la conviction de contribuer à la bonne renommée de son village. Il s'acquitta avec tact et dignité de sa mission.

Quand ils arrivèrent à la djemâa des Aït Lamine que le vieux Saïd ne quittait jamais, le gamin se chargea lui-même de faire les présentations.

      - Da Saïd ! Ces étrangers demandent après toi.

      - Je te remercie, mon enfant, ce sont des amis, répondit le vieux Saïd, qui souhaita la bienvenue à Rabah et ses compagnons. 

Les trois voyageurs s'installèrent à la djemâa. Et bien qu'elle fût vide, Saïd Ouhmed ne voulut point s'entretenir avec eux dans un lieu public à propos de leur visite. Quand on vient, comme eux, de loin, il est facile de comprendre que le sujet est sûrement très grave pour motiver un pareil déplacement. L'entretien nécessitait donc une discrétion totale. Il leur demanda la permission de s'absenter quelques instants, tout juste le temps de préparer la chambre d'hôtes. L'absence ne fut pas très longue en effet. Mais elle fut suffisante au vieil homme qui, sûrement, était habitué à ces visites impromptues pour apprêter une légère collation. En entrant dans la chambre des invités, les trois compagnons eurent l'agréable surprise de trouver une meïda bien garnie.

         - Mais, mon cher ami, lui dit Rabah, nous ne sommes pas venus pour festoyer. La question qui nous amène est trop grave pour songer à nous gaver.

         - Je le sais, mon très brave ami, je le sais. Mais il faut faire chaque chose en son temps. «La nourriture passe avant la prière», dit le vieux dicton. Il faut d'abord apaiser les démons de l'estomac pour avoir les idées plus claires. Tout en mangeant, ils bavardèrent de choses et d'autres, sans aucun rapport avec le sujet qui les préoccupait. Saïd Ouhmed les questionna sur un tas de points. Il demanda à chacun d'eux des informations sur de vieilles connaissances à lui. Parmi les anciens, il connaissait beaucoup de gens aussi bien à Agouni Net Selnine qu'à Targa. Malheureusement, la plupart des noms qu'il citait appartenaient à des hommes morts depuis longtemps. Même Rabah et le vieux Mohand ne se souvenaient que très vaguement de quelques-uns. Avedh, plus jeune qu'eux, n'en connaissait aucun. Il avait l'impression d'entendre une voix d'outre-tombe, tant les noms évoqués devant lui appartenaient à un passé lointain. Il les connaissait certes de réputation, mais ces noms appartenaient en fait aux récits légendaires du village. Cette irruption d'un passé plus qu'estompé dans les mémoires troubla Avedh qui commençait à douter de la lucidité d'un homme ainsi ancré dans un âge à jamais révolu. Il se demandait quel secours pouvait lui apporter cet homme fossile. Il cherchait même à éluder l'entretien pour lequel ils étaient venus lorsque, à brûle-pourpoint, le vieux Saïd posa la question :

         - J'espère que votre problème n'est pas aussi grave que vous le dites ?

         - Hélas, oui, répondit Rabah qui ne laissa le temps ni au vieux Mohand ni à Avedh de réagir. C'est une question très grave et très obscure que nous n'arrivons pas à résoudre. Nous avons besoin de tes lumières.

       - Je vous écoute alors. Dieu nous apportera son aide si nous œuvrons dans la voie dela Justice.

       - Amin ! Amin ! Répondirent les trois compagnons en chœur. Le vieux Mohand prit alors la parole et exposa en détail la mort mystérieuse de Saïd Ath Hamou. Saïd Ouhmed écouta sans interrompre le narrateur. Pendant que ce dernier parlait, le vieil homme taquinait de son doigt quelques grains de couscous qui étaient tombés devant lui. Il s'amusait à les faire rouler de gauche à droit et de droite à gauche. Ce petit geste mutin énerva Avedh qui l'observait. Il regarda le vieil homme avec l'intention de lui faire remarquer la gravité de leur problème. Mais, voyant que le visage du vieux Saïd reflétait une extraordinaire concentration, il se ravisa et laissa Mohand terminer son récit.

     - Si j'ai bien suivi, déclara Saïd Ouhmed, ce jeune homme n'a pas été victime d'une vengeance. D'après ce que vous me racontez, sa famille n'a aucune vieille dette de sang.

     - Aucune, confirma le vieux Mohand. Aussi loin que nous remontons dans le temps, nous ne trouvons rien de ce genre.

     - C'est très simple alors ! dit le vieux Saïd. Les trois compagnons sursautèrent et se regardèrent avec étonnement.

     - Très simple, dites-vous ?

     - Oui ! Très, très simple. Vous trouverez très vite le coupable si vous suivez à la lettre mes conseils. Aved n'en croyait pas ses oreilles. Il prit l'engagement d'appliquer scrupuleusement les instructions du sage. Saïd Ouhmed prit alors un ton réfléchi et dit :

     - D'abord vous devez délier la jeune veuve de Saïd et lui rendre sa liberté. …

 

 

 

METREF Amar_La vengeance du mort_2009.jpgAmar METREF

 

La vengeance du mort

 

Éditions Nounou

 

2009

 

 

 

Voir aussi :

http://djurdjura.over-blog.net/article-la-vengeance-du-mo...

 

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31/12/2012 | Lien permanent

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