Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

01/09/2007

UN ÉTÉ OUTREMER (Anne VANTAL)

- Eh, attends ! me crie le propriétaire du bistrot au moment où je me lève.

Il sait où je vais, je le lui ai dit tout à l'heure. - Si tu veux, Omar peut partir avec toi : il se met en route maintenant. Il t'accompagnera là-bas. J'ai d'abord envie de refuser, parce que j'ai imaginé que je ferais le chemin seul. J'ai besoin de me concentrer, pour me préparer à la rencontre avec Samira. Je me tourne pourtant dans la direction indiquée et je découvre un vieux, un très vieux, enveloppé dans une espèce de cape trop chaude pour la saison. Il tient un bâton à la main et sa bouche est ouverte sur un sourire édenté. Zut, si je pars avec lui, il va me ralentir.

Le patron de la gargote sent mon hésitation; il ajoute:

-     Omar parle français, il a vécu à Douai presque toute sa vie Il n'y en a pas beaucoup là-haut qui peuvent en dire autant. Il t'aidera et te servira d'interprète, si tu veux .

Je suis immédiatement convaincu par cet argument. Évidemment, si Samira est "là-haut", elle aussi parle français, j'en suis certain. Mais si elle n'y est pas? Et si je dois continuer à la chercher ailleurs ? Cet Omar-là pourrait être bien utile, finalement.

Je souris au vieux. Je suis d'accord : nous partons ensemble.

Ce matin, j’ai compté deux heures et demie de marche ­pour passer le col et parvenir à mon but, mais je m’aperçois très vite que j 'ai sérieusement sous-estimé la difficulté du trajet. Omar ouvre la voie, et je mets mes pas dans les siens. Nous sommes silencieux depuis le départ. À la sortie de Tikjda, une piste commence par une série de raidillons malaisés et étroits avant de devenir ­une sente caillouteuse sur laquelle je glisse dangereusement à chaque foulée. Je n'ose imaginer le même sentier ­parcouru avec de simples tennis aux pieds... Quant à mes craintes de tout à l'heure, elles se sont vite envolées: Omar marche vigoureusement en dépit de son âge. Appuyé sur son bâton, il gravit la pente avec facilité, tandis que je souffle trois mètres derrière lui en serrant les dents. Il fait une chaleur torride et je suis couvert de sueur.

Au bout d'un moment, Omar me fait signe: c'est sa pause. Il est malin, Omar. Il connaît les lieux. Il a choisi, pour s'arrêter, une longue courbe du chemin sur laquelle se projette l'ombre d'un sommet tout proche. L’endroit est en plein courant d'air, ce qui apporte une très agréable fraîcheur. Omar pose son bâton et l'espèce de baluchon qu'il transporte sur son épaule depuis le début. J'en profite pour me débarrasser du sac qui me meurtrit les épaules. Omar tire de sa sacoche un gros objet triangulaire enveloppé dans un linge ride. Il déplie soigneusement le torchon, puis une série de feuilles de papier journal mouillé, puis un nouveau linge, pour faire apparaître, enfin, une belle tranche de melon jaune. De sa poche, Omar tire un couteau et coupe le melon en deux. Il m'en tend une moitié.

- Pour la soif, explique-t-il.

Le melon est une merveille : juteux, sucré mais pas trop et surtout frais, grâce à la manière dont il a voyagé dans son papier journal. Je me dis que je me rappellerai la méthode, plus tard.

Cette halte m'a aidé à récupérer. Du coup, mes vieilles habitudes reprennent le dessus, et je sors mon appareil photo. La vue est magnifique ici, et la lumière moins crue que tout à l'heure : cela devrait permettre de faire quelques bonnes prises. Je mitraille tranquillement le paysage alentour avant de me tourner vers Omar.

- Vous permettez?

Je lui ai demandé l'autorisation de le prendre en photo. Omar me regarde d'abord avec curiosité, et puis son visage se fend en un grand sourire. Il est d'accord. Je monte le soixante-dix millimètres sur le boîtier et je réalise une quinzaine de portraits. Omar est ravi, visiblement, et moi je suis heureux et détendu : rien que pour ces photos-là, j’aurais accepté de marcher trois jours.

Au bout d'un moment, Omar ramasse son bâton.

- Encore une heure, et nous y serons.

Je rassemble mes affaires. Je suppose qu'il est temps de repartir. Cinquante minutes plus tard, Omar quitte le sentier et commence à descendre la pente sur sa droite. Je le laisse faire, pensant qu'il veut s'isoler quelques instants. Mais le voici qui se retourne:

- Eh, suis-moi ! C'est par là!

Je n'y comprends rien. Personne ne m'a dit qu'il fallait quitter le chemin. Cinq cents mètres plus loin, nous arrivons devant une maison basse, construite avec de grosses pierres.

- Bienvenue chez moi, dit Omar.

J'hésite à lui dire que moi, je voudrais continuer. Omar a compris. Il reprend:

- Tu n'y arriveras pas tout seul ce soir. Dors ici. Demain matin nous monterons ensemble.

Mais... Ça ne va pas vous déranger?

Je dois avoir l'air franchement stupide parce qu'Omar se met à rire. Il ne répond rien mais, d'un geste, m'invite à me pencher pour passer le seuil.

 

25f7b30f0511b70b64ed3b7578070614.jpg 

 

Anne VANTAL 

 

UN ÉTÉ OUTREMER

 

(extraits)

 

Actes Sud junior

2006

 

 

Ce livre fait partie de la présélection Prix-Ados 2007-2008

 

Commentaires

Merci d'être passé sur le blog "activaussi"; je cours découvrir les vôtres.

Écrit par : ecaterina | 04/09/2007

Les commentaires sont fermés.