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13/12/2010

Le Gouverneur en Kabylie (Mohamed BEN BARCA)

 

 

 

Le gouverneur a commencé son voyage, j’en suis satisfait, car mes spahis qui vivent dans une oisiveté forcée prennent les plus mauvaises habitudes. Ils passent des journées entières à jouer au Ronda ; de là des occasions de chicane. Il y eut même des coups de poing d’échangés et si je n’avais interposé à temps mon autorité, tout cela aurait pu mal finir.

 

Ronda_cartes.jpg

 

L’ordre me fut enfin donné d’aller attendre le gouverneur à Takitount*.

 

Cette première étape, sur la route de la grande Kabylie fut très agréable ; après quelques kilomètres à travers d’épouvantables fondrières, nous arrivons dans un pays pittoresque qui laisse pressentir la grande nature. Tout à coup, s’ouvre devant nous le plus merveilleux horizon qu’on puisse voir.

Les Pyrénées ne donnent pas ce panorama, les sites de ce pays sont d’une tout autre nature, ils ont leur grandeur et leur poésie particulières ; le Djurjura est lui ; il a son originalité tout comme le désert, et tout comme cette terre d’Afrique si belle et si harmonieuse.

Le paysage que nous avons sous les yeux ne veut pas de descriptions, il supporte à peine le pinceau de l’artiste, parce qu’il est noyé dans une lumière que nous ne pouvons saisir et qui le fait d’une grandeur incomparable.

Nous descendons pendant trois heures les rudes pentes de la montagne, le pays est bien cultivé et la population affectueuse. Ici pas de colons, les Kabyles sont maîtres du sol, et ce sont eux qui, avec une persévérance digne d’admiration, ont transformé ce pays.

Le gouvernement a le devoir d’encourager de semblables auxiliaires, il doit leur tendre la main et supprimer pour ceux-là, le lourd impôt qui pèse sur la population indigène.

Si le Kabyle disparaît de cette région, elle est fatalement destinée à devenir un désert. Le Français n’aura ni le courage, ni la patience nécessaires pour mener à bien une culture aussi ingrate ; et, comme conséquence finale, ces belles montagnes si recherchées du voyageur avide d’émotions, se transformeront en un repaire de bandits qui vivront de l’honnête métier de leurs camarades de Sicile. Cette perspective n’est pas à envisager pour le moment ; Dieu merci.

 

J’arrivai à Takitount vers les deux heures de l’après-midi, j’installai mon camp dans une petite prairie, sur les bords de l’Oued Agrioun et à l’abri des vents froids qui soufflent volontiers la nuit. Je prenais mes dernières dispositions lorsque je vis venir à moi deux officiers de zouaves qui, avec cette familiarité permise dans l’armée d’Afrique, m’offrirent une hospitalité complète ; je n’acceptai que le dîner.

À l’heure solennelle de l’absinthe, j’appris que je causais à C... l’amant malheureux de la belle Maltaise. Il savait que je venais de Sétif, que j’avais vu l’adorée ; et en rentrant au camp, n’ayant d’autre témoin que la lune qui nous éclairait, je promis à mon nouvel ami ce qu’il demanda.  Peut-on refuser le bonheur à celui qui vous implore ; nous avons tous le coeur trop bien placé pour faire autrement. C... me supplia de lui envoyer Marie ; je m’y engageai.

 

*Takitount : nom d'une Commune mixte de l’Arrondissement de Bougie, département de Constantine, dont le chef-lieu est au village de Périgotville. (Dictionnaire des Communes d’Algérie ; 1903)

 

 

Mohamed BEN BARCA

Choses d’Algérie

1891

 

 

EN GARNISON

Pages 125-127

 

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