08/12/2010
Lettre de Bougie (2ème Bataillon d’Infanterie) 1834
Bougie le 2 Juin 1834.
Mon cher David,
Peut-être, êtes-vous en peine de la reconnaissance que j'avais entre les mains et que j'ai négligée jusqu'à ce moment à vous envoyer ; pour réparer cette négligence je vous l'adresse aujourd'hui. De mon côté, je ne suis pas content de vous, car vous m'aviez promis de m'écrire ; je vous en avais même prié par ma dernière et vous ne l'avez pas fait ; par conséquent s'il n'y a pas négligence chez vous, il y a, au moins, surcroît de besogne qui me prive de vos nouvelles ; cependant je n'en ai pas toujours été privé, car j’en ai eu indirectement au mois de Décembre et janvier dernier, lorsque j'étais à Paris où j'ai rencontré plusieurs personnes à nous communes.
Vous avez appris la nouvelle vexation que j'ai éprouvée en rentrant d'Afrique avec ma femme qui était malade puisque M Luitré m'a montré un N° de l'Echo qui en parlait, ce n'est pas encore fini puisque j'ai été obligé de rentrer en Afrique en attendant la promulgation de la loi sur le sort des officiers ; alors je retournerai en France pour y attendre ma retraite et peut être qu'on me laissera tranquille ; ce dont je doute encore !... voilà ce que c'est de ne pas être courtisan.
J'ai appris avec bien de la peine le résultat fâcheux du Duel de Lemaire, à Paris ; on me le disait tué mais depuis j'ai su qu'il était rétabli, car, quoique vous en puissiez dire, je m'informe toujours des bons enfants de Poitiers.
Si vous saviez, Mon cher David, quelle pitoyable position que celle de Bougie ; nous occupons un terrain grand comme un bonnet de police et il faut trois mille hommes pour garder ce point ; encore faut-il qu'ils soient renfermés dans tous les Blokhaus* avancés, car les camarades Bédouins ne sont pas disposés à nous laisser gagner au large ; nous sommes par conséquent circonscrits dans les rochers qui entourent Bougie (soi-disant ville tandis que ce ne sont que des ruines). Les Zéphirs (ou Infanterie Légère d'Afrique) sont chargés de la défense de tous les postes avancés ; nous courons dans les rochers comme des lapins, vous savez que je suis taillé pour la course ; aussi dans ce moment suis-je détaché avec ma compagnie dans un poste très élevé ; il est à 671 mètres au dessus du niveau de la mer et il faut y monter presqu'à pic ; là je commande tous les postes supérieurs. Vous voyez que, si je suis élevé en l'air, je suis aussi élevé en dignité ; et à la fin du mois, si les Bédouins ne me font pas passer l'arme à gauche (ne me tuent pas), je redescendrai garçon lieutenant courir de nouveaux hasards au camp retranché des Zéphirs, car vous saurez que tous les jours on échange des coups de fusil avec ces Messieurs ; on pousse la politesse jusqu'à leur envoyez des coups de canon, ce qu'ils n'aiment pas du tout.
Le but de cette lettre, Mon cher David, est de me rappeler à votre souvenir, de vous renvoyer un titre qui vous appartient et de vous prier de présenter mes hommages respectueux à Mesdames Vaillant, Chaîne, Traboules, Lemaire, Jourde, etc. etc. enfin à tous ceux qui voudront bien s'intéresser à moi.
Si vous écrivez à Marchive rappelez-moi à son souvenir.
Comptez sur l'attachement que vous a voué votre affectionné
[Signature illisible]
Lieutenant du 2ème Bataillon d'Infanterie légère d'Afrique
* Blokhaus = Blockhaus = forme allemande de l’anglais BlockHouse = fortin
Cent lettres de la vie quotidienne …
1984
Pages 128-129
Les « Zéphirs » défendent Bougie
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