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11/11/2010

La grotte (Jean SERVIER)

 

 

La grotte est en elle-même endroit sacré et sanctuaire ; on n'y trouve jamais de tombeau, et cependant elle participe des mêmes cultes de la fécondité que le tombeau car, comme lui, elle est une porte ouverte sur le monde des morts. 

 

Il n'est plus question d'invoquer la protection de l'Ancêtre du village ou son saint protecteur, les femmes venues en pèlerinage vont s'adresser aux Génies maîtres du lieu, pour obtenir d'eux la fécondité.

 

Par sa forme la grotte est féminine, le passage du visiteur rappelle un enfantement, aussi les caractéristiques de la grotte, son aspect, vont-ils déterminer la bénédiction que l'on pourra obtenir.

 

À « Ifri bu tebbura » — la grotte aux portes — chez les Wagennun ce sont les filles qui veulent se marier qui s'y rendent en pèlerinage et y laissent un brin de leurs ceintures tressées. La grotte est un énorme rocher calcaire, creux, percé à mi-hauteur de deux ouvertures rondes. La visiteuse entre par le premier trou et sort par le second; elle devra recommencer sept fois ce manège : si elle a l'impression qu'elle passe difficilement, par le même trou, le mariage est proche. 

 

De même à Tabburt bwafir — la porte du pin — près du village de Tugana chez les At Fliq — la grotte est en réalité une fissure, en forme de couloir et coudé à angle droit qui s'enfonce dans un énorme bloc de tuf calcaire. La femme qui consulte le génie du lieu entre dans le couloir et essaie d'atteindre le fond : si elle en est empêchée « parce que le couloir se resserre », elle crie pour avertir ses amies restées à l'extérieur qui aussitôt poussent des « illiliwen », les cris de joie des femmes.

 

Le même rite peut s'observer au lieu-dit « azru ifellan » — la pierre percée — au sommet du Tamgout, où se dressent deux blocs calcaires présentant entre eux une sorte de couloir coudé : les visiteuses en font sept fois le tour, au septième tour elles retournent une pierre qu'elles ont repérée au départ et interprètent la réponse de l'Invisible à leurs questions d'après ce qu'elles y trouvent : une fourmi présage la naissance d'une fille — parce qu'elle est laborieuse —, un lézard, un garçon — bien que, en kabyle local, fourmi soit du masculin et lézard du féminin. Pour une jeune fille la découverte d'un lézard est présage d'un mariage imminent et d'une façon générale, une réponse favorable; la fourmi étant un présage médiocre, le fait de ne rien trouver est un mauvais présage.

 

Ces éléments peuvent être rapprochés de la pierre percée dite également « azru ifellan » non loin du village Itdjerma­nen près d'Azeffoun que les femmes traversent pour avoir des enfants.Si la pierre « se resserre », la femme sera enceinte peu de temps après.

 

Dans ces derniers exemples, il a été beaucoup plus question de pierres percées que de grottes proprement dites ; à dire vrai il existe de nombreuses grottes en Kabylie, qui ne sont l'objet d'aucun culte malgré la beauté du site et la profondeur de l'antre.

 

Dans l'Ouest du département d'Alger le culte des grottes est tout aussi rare : une seule grotte est l'objet d'une certaine vénération de la part des femmes, elle est située au lieu-dit « ifri » la grotte, à Wâd djâr au nord du pont qui franchit la rivière. D'après les paysans des environs, cette grotte communiquerait avec le « Tombeau de la Chrétienne » par un souterrain qui devrait avoir au moins onze kilomètres de long. Il ne semble pas exister en cet endroit précis de grottes à proprement parler, tout au plus un abri sous roche, dont le fond se prolonge vers des terriers de porcs-épics, et dont l'entrée est encombrée de lampes votives. Là encore, il s'agit d'offrandes destinées à obtenir des Génies du lieu la fécondité : une vie pour une lampe.

 

Au Chenoua, il existe quelques grottes d'un accès difficile, qui ne sont le lieu d'aucun culte si l'on en juge par l'absence de lampes votives.

 

Seule l'extension de cette étude à l'ensemble de l'Algérie, en corrélation avec ce que nous savons pour le reste de l'Afrique du Nord, pourra permettre d'établir des cartes de répartition des différents lieux préférentiels du culte, et nous montrer quel autre fait historique ou sociologique conditionne le choix ou l'éviction de certains lieux plutôt que d'autres, la présence des lampes votives étant pour les ethno-­archéologues de l'avenir comme pour les archéologues d'aujourd'hui un critère important sinon toujours probant.

 

 

 

Jean SERVIER

SERVIER-Jean_portes-annee.jpgLes portes de l'année

 

Rites et Symboles

L'Algérie dans la tradition méditerranéenne

 

Paris, Robert Laffont

1962

 

Extrait Pages 53 à 55

 

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