01/06/2013
L’étude de la langue berbère (Adolphe HANOTEAU)
L’étude de la langue berbère, outre l’intérêt qu’elle présente au point de vue scientifique, a pour nous, en Algérie, un but plus pratique et une utilité plus immédiate, sous le rapport de l’administration et de la domination du pays. D’après les derniers renseignements recueillis par les soins du Bureau politique des affaires arabes, le chiffre des populations qui, en Algérie, parlent encore le berber, s’élève à 759 900, c’est-à-dire, à peu près, au tiers du nombre total des habitants. Ce chiffre se répartit ainsi par provinces : Constantine 533 749, Alger 220 178, Oran 5 973. Parmi ces populations, plusieurs sont restées constituées en groupes très compacts, sans mélange d’éléments étrangers, et, par l’effet de leur isolément, l’idiome berber est encore dominant, quelquefois même exclusivement parlé dans leur pays.
Tels sont, par exemple, les Kabyles du Jurjura. Quelques-uns d’entre eux, qui voyagent pour leur commerce, apprennent bien à parler l’arabe ; leurs tolba étudient dans cette langue la science du droit et des traditions islamiques ; mais la masse du peuple, toutes les femmes sans exception, et les hommes qui vivent sédentaires, ne parlent et ne comprennent que le kabyle. Pendant la dernière expédition de M. le maréchal RANDON, la tribu des Beni Iraten avait fourni soixante-trois otages pris parmi les gens les plus influents de tous les villages et sur ce nombre, deux seulement pouvaient s’exprimer en arabe d’une manière à peu près intelligible. Tant que nos relations avec ces peuples se sont bornées à traiter des intérêts généraux des tribus, la connaissance de la langue arabe a pu nous suffire, car il se trouve toujours parmi elles des gens qui la comprennent ; mais à mesure que les progrès de la conquête nous ont mis en contact plus direct avec les individus, et que notre administration a été appelée à s’occuper des intérêts particuliers, on n’a pas tardé à reconnaître l’insuffisance de l’arabe comme moyen de communication, et la nécessité d’avoir recours à des interprètes kabyles. Malheureusement, le nombre des sujets capables de remplir ces fonctions est très restreint et ne peut répondre aux exigences du service. On parviendra, sans doute, avec le temps, à l’augmenter ; mais, en attendant, on est forcé, au grand détriment quelquefois de notre influence, de se servir d’intermédiaires offerts par le hasard et qui, sans caractère officiel ni position reconnue, ne présentent pas toujours les conditions de moralité désirables.
Cet état de choses ne saurait se prolonger, et les officiers chargés du commandement des populations kabyles reconnaissent, plus que personne, l’intérêt qu’il y aurait pour eux et le bien de tous à pouvoir communiquer directement avec leurs administrés et à traiter leurs affaires sans intermédiaires. Mais les moyens d’étude manquent, et la pratique seule et sans guide offre des difficultés qui découragent quelquefois dès le début, les plus studieux. Ce genre de travail exige d’ailleurs là plus de temps que ne peuvent généralement en consacrer des officiers absorbés par les détails journaliers d’un service souvent pénible.
Le Gouvernement, justement préoccupé des avantages que devait présenter un jour, au point de vue pratique, la connaissance de la langue berbère, avait depuis longtemps, pensé à en faciliter l’étude à ses fonctionnaires. Une décision du Ministre dela Guerre, en date du 22 avril 1842, arrêta la formation d’une Commission chargée de la rédaction d’un dictionnaire et d’une grammaire de la langue berbère. Cette commission était composée de la manière suivante :
M. le Chevalier Amédée JAUBERT, pair de France membre de l’Institut, président ;
M. J. -D. DELAPORTE père, ancien consul du gouvernement du roi à Mogador ;
M. F. DE NULLY, secrétaire-interprète attaché au Ministère de la guerre (division de l’Algérie) ;
M. Ch. BROSSELARD, membre dela Sociétéasiatique, ex-secrétaire des commissariats civils de Bougie et de Blidah ;
Sid AHMED BEN EL HADJ ALI, imam de Bougie.
Après deux années de travail, cette commission publia un dictionnaire français-berber, mais la grammaire qu’elle avait annoncée n’a jamais paru. …
Essai de grammaire kabyle
Bastide ; Alger/Constantine
1858
(Extrait de la préface)
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