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16/12/2010

Qui veut jouer à yadas (Latifa BEN MANSOUR) 1

 

 

Il s'appelait Radwane, el Amine, celui en qui on peut placer en toute sérénité sa confiance, et j'avais décidé de me fier à lui. Il avait des yeux si verts qu'en les voyant de loin, on avait l'impression d'être fixé par deux olives serties dans un visage d'homme grandi trop vite et trop brutalement. Son menton volontaire était ponctué d'une fossette qui attendait la moindre occasion pour découvrir des dents possédant l'éclat des montagnes du Djurdjura et de l'Ouarsenis.

J'avais toujours prêté attention au regard et je fus foudroyée par le sien. Il pétillait d'intelligence et de malice, une intelligence percutante qui devait percer l'autre à jour. Sa voix était douce et suave, mais elle révélait d'autres intonations, car elle pouvait devenir cinglante et méprisante. J'aurais dû y prendre garde, mais j'étais une incorrigible rêveuse et je pensais que jamais la voix de Radwane ne changerait de ton avec moi.

Tout commença entre nous par un jeu ; un jeu puéril, mais original et subtil que tous les enfants d'Algérie connaissent. Il suffit, après un dîner, de prendre l'os de l'aile d'un poulet, de le tenir et de lancer un défi par cette phrase :

        Qui veut se mesurer à moi et jouer à yadas ?

        Qui veut jouer à yadas ?

Les invités ne répondirent pas, Radwane me regarda droit dans les yeux et s'écria :

        Moi, je veux jouer avec toi. Mais avant de sceller le contrat, nous devons nous entendre sur ce que tu mets en gage. Quel est l'enjeu ? dit-il en me fixant de ses yeux si verts.

Je redressai la tête et les miens se mirent à briller de défi. Je répondis sans réfléchir :

        Si je perds, je t’offrirai à boire aux cascades de la Grenade d'Afrique. Et toi ?

        Si je perds, je t’offrirai à boire et à écouter de l'andalou dans une ville qui t’étonnera, répondit-il sans me lâcher du regard. Accord conclu ?

        Dans quelle ville ? demandai-je devenue prudente. Dans une ville d'Algérie ?

        Tu le sauras en temps voulu; c'est une ville du Sud. C'est tout ce que je puis dire. Tu seras en-chan-tée.

Les invités présents nous regardaient avec un sourire interrogateur. Radwane attendait toujours ma réponse. Je me raclai la gorge et balbutiai :

        Si je comprends bien, je t’offre le voyage et un verre jusqu'à la Cité des Sources et toi, tu me proposes la même chose dans une ville inconnue?

        Tu comprends vite et bien, dit Radwane avec un sourire annonçant le triomphe. Propose autre chose, si tu veux.

        Hanan ! s'écrièrent les invités, attention à ce que tu fais ! Tu viens de défier une vraie teigne ! C'est quelqu’un qui ne s'est jamais incliné devant un défi ! Il est très mauvais lorsqu'il perd ! Attention où tu mets les pieds !

Je regardai Radwane dans les yeux et sans répondra aux invités, je prononçai les paroles fatidiques, en tendant l'os de poulet à mon adversaire.

 

BEN MANSOUR Latifa_La prière de la peur_1997.jpgLatifa BEN MANSOUR

 

La prière de la peur

 

 

Éditions La Différence

Paris ; 1997

 

Pages 167 à 173

 

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