26/12/2011
La tribu égarée (Bachir TOUATI)
Pages 10-11
Mohamed bossait à l’usine. Dans la même usine que le père. Il disposait de sa chambre à part pour ne pas nous montrer ses poils. Mais souvent nous y déboulions en masse pour jouer à la bagarre sur son lit. Il adorait ça, ainsi que les moments où on lisait ensemble des illustrés. Il préférait la radio à la télé. Mais à présent qu’elle était là, il faisait semblant de partager notre plaisir. Le mari de Malika, homme bourru et d’aspect gaillard avec une moustache noire comme la suie se coiffait souvent d’un béret. C’était un type originaire du même village que nous en Kabylie. Raison pour laquelle il épousa notre soeur si facilement, on pouvait présumer.
Tout semblait donc normal et pareillement normal qu’ils fassent des gosses même si leur logement était un peu petit. On s’invitait souvent les uns chez les autres. Mais curieusement, à chaque fois que Na’Malika et ses mômes venaient chez nous, lui ne venait jamais. À quelques exceptions près. Comme si quelque chose ne tournait pas rond entre le père et son gendre, qui s’appelait Da’Meziane et que ses enfants appelaient « vava ». Une petite embrouille devait bien persister entre les deux hommes, remontant aux temps de galère où tous deux traînaient dans Paris en célibataires et partageaient un petit gourbi à Montparnasse. Da’Meziane ne venait jamais chez nous mais nous étions toujours les bienvenus chez lui. Pas radin sur la bouffe, lorsqu’il invitait au couscous, on trouvait sur la table plus de viande que chez nous. Il cultivait son bout de jardin-ouvrier assorti au loyer. Nous l’aimions bien ; parfois il nous donnait un franc pour acheter des bonbecs.
On pouvait remarquer dans un coin de leur vivoir une machine à laver récemment installée près de l’évier. Nos neveux aimaient venir nous voir car l’appartement était plus spacieux que le leur et notre télé avait aussi un écran plus large. Ils trouvaient Rintintin un peu plus impressionnant. Tout ce qu’ils pouvaient reprocher à notre logement de quatre pièces, c’était sa situation en rez-de-chaussée. Ils pensaient que c’était décevant de ne pas habiter dans les étages, avec leur balcon saillant hors de la façade offrant une meilleure vue sur l’environnement. « Presque une pièce de plus et qui donne sur le dehors ! Comment avez-vous pu vous priver de ça ? » En effet, depuis notre balcon sans saillie, tout près du sol terreux, la vue se limitait à une rangée de troènes, la rue et le mur de briques rouges de l’école que l’on fréquentait au quotidien. Sans autre panorama que quelques automobiles garées sur le trottoir d’en face.
Leur grand’père qui avait choisi ce rez-de-chaussée en bonne conscience se chargea bien de leur énumérer ses vertus pratiques : pas besoin de descendre et de grimper les marches comme les autres pour prendre le courrier dans la boîte à lettres.
Pareil, lorsqu’on devait sortir la poubelle ou aller à la cave chercher le charbon. Il trouvait commode également, d’entretenir au pied du balcon quelques touffes de menthe fraîche, de basilic et de persil rien qu’en les arrosant par la fenêtre avec une casserole sans poignée. Autre avantage du rez-de-chaussée non négligeable et conseillé par la prudence même, il pouvait rentrer sa mobylette à la maison, le soir plutôt que de la laisser dans le garage à vélos, ouvert aux quatre vents à la merci des voleurs nocturnes. Sa liste des commodités du rez-de-chaussée ne s’arrêtait pas là, et aussi il prévoyait pour notre sécurité, qu’on serait plus vite dehors en cas d’incendie et qu’inversement, en cas d’inondation on pourrait se réfugier au sec dans les étages !
Bachir TOUATI
La tribu égarée
Éditions Le Scribe L’Harmattan
2011
08:16 | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook
Commentaires
cette histoire d'une famille immigrée algérienne dans les annéées 50 et 60 vue à travers les yeux de l'auteur est vraiment très bonne !
à lire !
Écrit par : mlg | 06/03/2012
bonjour. je suis la descendent de la famille touati,la fille de moussa ton frére de saint denis, je suis née en algérie en 1989 et maintenant je suis en france,savoir mes racine, ....
bachir si tu existe contacte moi svp merci.
Écrit par : touati narimene | 29/09/2013
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