30/12/2007
LA MALÉDICTION DU DJINN (Lucienne DELILLE)
Accablé de chaleur, le vieil Améziane s'arrêta à l’ombre rafraîchissante d'un chêne-liège. L'automne tirait à sa fin, mais le soleil ne désarmait pas. La forêt s'habillait d'or et de pourpre, la nature s'activait dans une symphonie de couleurs avant de devoir s’envelopper dans sa houppelande d'hiver. Des cigognes venues du nord traversaient le ciel à la recherche d'un poteau, d'un arbre, ou d'une éventuelle cheminée. Haut dans le ciel, un faucon surveillait sa proie, disséminant un nuage d'étourneaux qui s'éleva dans une cacophonie bruyante.
Améziane traversa le village d'Adékar, situé à l'orée de la forêt d'Akfadou. Il s'engagea sur le chemin des Taourirts Ighils avant de bifurquer sur la piste qui mène à Tizi-EI-Korn, son village.
Il enleva son chèche et épongea son front poli comme un galet. Une envie, difficilement contrôlable, le prit de rouler un peu de chique dans une feuille de papier à cigarette et de glisser cette boule odorante entre sa joue et sa gencive.
Il lutta contre cette tentation avec la foi du croyant. Il en salivait et dut se signer à plusieurs reprises, s'obligeant à penser à autre chose. Il était las, depuis deux semaines qu'il courait les routes, en cette période de Ramadan, et avait hâte de retrouver sa famille et d'allonger sa vieille carcasse sur son grabat, près du kanoun et sa chaleur réconfortante.
L'âne transpirait, une odeur chaude, aigre, rassurante se dégageait de sa robe fumante. Une dentelle d'écume ourlait le cuir des harnais. Les paniers suspendus à son dos regorgeaient de marchandises rapportées de son voyage à travers la Kabylie. Améziane avait vendu des lentilles, du miel, des poulets, des couvertures et des burnous tissés à la main par les femmes de sa maison. Il revenait chargé de pierres de sel, de pains de sucre, de semoule et d'étoffes aux couleurs chatoyantes qu'il vendrait au village.
Il avait également prévu un coupon de tissu qu'il offrirait à Zohra, sa belle-fille qui devait accoucher prochainement. Son fils Amar avait émigré en France et ne pourrait gâter sa jeune épouse pour cet événement. Améziane était d'une grande indulgence envers sa bru, obéissante et douce, il l'aimait comme sa propre fille.
Cependant, par cette attention, il ne voulait pas s'attirer les foudres de son acariâtre épouse Fatima. Elle ne manquait jamais de lui montrer sa désapprobation pour tout ce qu'il entreprenait. Aussi, lui avait-il ramené un flacon d'eau de toilette. Elle avait beaucoup changé ces temps derniers, à croire qu'un vilain esprit la possédait.
Elle ne cessait de gémir, de se plaindre, sans raison valable, et n'avait plus rien de la femme aimable et généreuse qu'Améziane avait épousée. Elle était devenue égoïste, jalouse, vindicative, elle ne savait plus regarder avec son coeur.
De plus, Fatima éprouvait une rancune indescriptible envers sa belle-soeur Yasmîna, la soeur cadette de son mari. Il l'avait accueillie sous son toit car elle était veuve. Cette situation est difficile dans ces rudes montagnes kabyles où la femme est alors promise à la misère et à la suspicion, à moins d'épouser son beau-frère et souvent de n'être qu'une seconde épouse.
Yasmina n'avait pas de beau-frère et la façon brutale dont Akli, son mari, était mort, l'avait traumatisée : …
Lucienne DELILLE
Ma Kabylie
Éditions El-Amel
2007
Tizi-Ouzou
Algérie
10:01 | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook
Commentaires
J'ai acheté ce livre à Tizi en octobre dernier . Je l'ai lu et j'ai adoré. Il m'a appris beaucoup sur la société kabyle et c'est tellement bien écrit de surcroît.
Écrit par : ernest | 09/01/2008
je souhaite avoir un contact avec Lucienne Delille
Écrit par : benarab rafik | 15/09/2008
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