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13/09/2012

Itinéraire d'une Femme kabyle (Zehira KARA) 1


Ça déballe ça court, ça dérange. J’aime quand ça dérange. J’aime les parfums enivrants qui viennent de loin, de l’enfance innocente et insouciante. J’aime ces nuages de poussière et le bruit des sabots au moment où  le bétail rejoint son écurie. J’aime ces détours quand je suis à califourchon  sur un âne, ma tête couverte d’un chapeau de paille. Nous arrivons enfin à la maison où ma tante et ma grand-mère maternelle nous attendaient  sur le pas de la porte.  Des bassins d’eau nous accueillaient pour nous débarbouiller, nous dégraisser conviendrait mieux. Ensemble, MERZOUK, MELHA, mon oncle OUALI et naturellement ma sœur FADMA. J’aime à me replonger dans ces moments quand ma tante nous tendait ces beignets chauds ! On se gavait vraiment. Ils sont drôlement bons,  très sucrés, ces gâteaux traditionnels. Ce qui convenait parfaitement à nos caprices d’enfants.

Le soir tombé, le paysage qui s’offrait à nous était féerique. Les derniers rayons de soleil caressent la surface de la rivière. Mon Dieu ! que tout ça dure ! comme une sorte d’héritage, toute ma vie future ; ça vient de mon berceau, à ma naissance… Moi qui suis privée du moindre souvenir du sourire paternel, je retrouve, en échange celui la nature divine qui m’envoûte et me procure une joie immense que je savoure en cachette, à l’intérieur de moi-même.  C’est peut être cela le bonheur.

Nous sommes maintenant autour du kanoun. C’est le moment des devinettes. Elles fusent comme des flèches de partout. Nos esprits  étaient intensément sollicités. C’est un véritable concours qui s’organisait spontanément, et de façon très ordonnée. Très tard dans la nuit, quand tout le monde est lassé, bercé par le sommeil, c’est à ce moment que je me glissais entre tante Melha et Fadma, j’écoutais  et alors que la fatigue me brisait, les images de la course pour récupérer les agneaux sous les oliviers finissaient par me vider de mes dernières énergies. Pour manger, je me rappelle bien : je tendais la main  mais je n’arrivais pas  à porter la cuillère à la bouche, morte de fatigue. Je me laissais alors, volontiers  tomber dans les bras de Morphée.

On se lève le matin, une fois de plus  le soleil jette son dévolu sur l’oued Sebaou. Il est à moitié vide ; c’est l’été et dans les grandes crevasses remplies d’eau paisibles, les écailles de poissons d’eau douce étincellent aux rayons du soleil argenté. L’horizon est cerné par un fond d’un vert d’orangers ; je me frotte les yeux. La nuit,  j’ai beaucoup dormi et j’ai crié dans mon sommeil « Yemma ! », Melha me réveilla,  alluma la lampe à pétrole, me rassura et je me rendormis aussitôt, blottie contre son corps chaud.

 

Comme je voudrais repartir dans ce monde. Redécouvrir encore et encore cet amour qui m’a permis de tenir sur mes jambes fragiles. Les après-midis, nous jouions aux osselets à l’ombre des vergers pendant que  les adultes faisaient la sieste. Le parfum des poiriers, des grenadiers nous enivrent mais nous n’avions pas le droit de cueillir ces fruits qui n’étaient pas encore mûrs. Hélas ! L’interdiction n’était jamais respectée car c’était moi-même qui cueillais ces fruits « défendus ». Alors, pour ne pas être grondés, on ménageait l’humeur des adultes en enterrant les pelures des grenades  qu’on dégustait.

Qu’est ce que j’aimais Jeddi, ce vieillard aux cheveux argentés ! Qu’est ce que j’aimais ses retours de marché quand  dans ses énormes poches, sous son burnous blanc je trouvais les bonbons  qu’il nous achetait. Je m’endormis ce soir, je fermais les yeux sur les visages de ceux que j’aimais  dans mon enfance, ces visages, ces sourires  qui m’avaient  fait oublier le froid, la faim,  qui m’avaient essuyé les larmes …

Quelques mois après l’indépendance, je ne me souvenais point de la guerre. Les images qui me revenaient étaient celles des premiers jours de la fin de cette guerre qu’on disait atroce, de camions remplis de gens allant manifester leur joie partout.

Quel bonheur d’être un peuple libre !

Mais hélas, pour ne plus jamais l’être par la suite. …

Je profite de ces jours pour me reposer, je suis très fatiguée, Décembre est un mois que je déteste ; je déteste les jours de fête, je déteste aussi les retrouvailles en famille parce que je ne retrouve pas cette atmosphère d’autrefois, parce que les visages de ceux que j’ai aimés ne sont plus là …




KARA-Zehira_Itineraire-d-une-femme-kabyle.jpgZehira KARA

Itinéraire d'une Femme kabyle de 1962 à nos jours. Tadmaït-Nanterre (Récit)

 

Éditions L’Harmattan

Paris. 2009

 

 

Commentaires

Bjr. Ca serai un tres grand plaisir de lire votre Roman car c est un peu la vie de tout le monde, des kabyles de montagnes biensur...

Écrit par : nabil chebbi | 22/09/2012

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