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12/04/2011

Histoire d'Azouaou (Jérôme et Jean THARAUD)

 

Quelqu'un qui fut encore plus étonné que moi, en arrivant à Fez, ce fut Azouaou Berouti, jeune instituteur algérien.

 

Fez est bien en effet la ville qu'on peut le moins imaginer, quand on ne connaît que l'Algérie où, Tlemcen excepté (mais Tlemcen c’est déjà le Maroc), aucune ville ne permet plus aujourd'hui de se faire la moindre idée de la civilisation musulmane.

 

Azouaou avait passé sa jeunesse dans un village du Djurdjura. Un vieux maître d'école français, devenu presque Kabyle pour avoir habité quarante ans le pays, lui avait enseigné le peu de choses qu’il savait encore. Comme le garçon était fort éveillé, il avait poursuivi ses études tout seul, assez avant pour être admis à l'École Normale d'Alger. Il y passa deux ou trois ans puis fut nommé instituteur je ne sais où en Kabylie.

 

Maître d'école en Kabylie n'est pas une situation très brillante. Or par nature, Azouaou était porté vers les choses brillantes. Ajoutez qu'il s'était brouillé avec le Receveur des Postes, ce qui ne contribuait pas, non plus, à lui rendre la vie agréable. Aussi était-il parfois tenté d'écouter un sien cousin, à peu près de son âge, qui s'était rendu au Maroc quand lui partait pour Alger. Ce cousin lui écrivait des lettres remplies d'enthousiasme sur tout ce qu’il voyait autour de lui.

 

À l'en croire, le Moghreb (Maroc) était un pays où la vie musulmane, brillait d'un éclat incomparable. Certainement, lui disait-il, un homme de ton intelligence y ferait une rapide fortune. Et il l'encourageait à venir admirer les magnificences de toutes sortes que sa plume était impuissante à lui décrire

 

Azouaou qui avait vu, non sans quelque dédain, son parent prendre la route du Maroc, quand lui se dirigeait sur Alger, Azouaou demeurait sceptique. Que ce pauvre naïf trouvât Fez splendide, rien d’étonnant ! Qu’avait-il vu en dehors de son bled ? Mais quel attrait pouvait avoir cette ville de Fez pour un garçon  qui,  comme lui, avait passé trois ans à l'École Normale d'Alger !

 

Cependant les lettres du cousin ne laissaient pas d'agir secrètement sur son esprit, et la malveillance du receveur  leur donnait chaque jour plus d'attrait. Il demanda son changement. On ne lui répondit même pas. Alors, sous le coup de la colère, il décida de planter là l’École, le village et le funeste postier, et racontant par vantardise, à qui voulait l’entendre que son cousin qui occupait les fonctions les plus importantes auprès du Sultan du Maroc, lui avait trouvé, à lui une situation magnifique, il se mit à son tour sur la route de Fez

 

Je renonce à peindre sa surprise quand il découvrit que son parentn’avait rien exagéré. Lui qui  imaginait tout savoir et qui savait en effet, sur le bout des doigts, les règles de la grammaire française, la chronologie des rois, l'arithmétique et 1a géographie, et bien d'autres choses encore, il ignorait qu'à quelques heures d’Alger, il y avait une ville de cent mille habitants où les Arabes n’étaient pas des bicots, mais où ils possédaient la richesse, le prestige et le pouvoir, où tout le monde fréquentait les mosquées, où l'on parlait l’arabe le plus pur,  où l'on voyait des hommes et femmes élégamment vêtus et qui habitaient des maisons mille fois plus luxueuses que toutes celles qu'il avait pu voir à Alger !

 

Deux jours après son arrivée,le Sultan Moulay Hafid, qui revenait de Marrakech, faisait son entrée dans la ville avec toute la pompe habituelle. L'Algérien croyait rêver.

 

Naturellement, son cousin n'occupait au Palais qu’une petite place de rien et ne pouvait lui être d'aucun secours. Cela n'étonna pas autrement Azouaou. C'était déjà bien beau de n'avoir pas été trompé sur la ville ! Force lui fut de se débrouiller tout seul. Mais plus heureux que le Fqih Ben Ali, (dont j'ai conté l’aventure), il s’est fort bien tiré d'affaire. Lui aussi, comme Petit-Sou, connaissait la musique ! Non pas qu'il fut expert dans l'art de la flûte ou du rebec, mais il était d'esprit ingénieux et, comme on dit là-bas, ne se fatiguait point à dormir du même côté. Aujourd'hui, il habite une des plus belles maisons  de Fez, où il y en a pourtant de si belles ; il possède un riad sous les murs de la ville et des propriétés dans le bled : il ne s'en va qu’à mule. En un mot, Dieu lui a donné ! Pourtant il n’aime point les Fassi ! Sa brillante réussite ne l'a pas rendu indulgent à leur égard. « J'ai appris, me dit-il, à les connaître à mes (dépens) »

 

 

 

THARAUD_Fez ou Les bourgeois de l'Islam_1930.jpgJérôme et Jean THARAUD 

 

Fez ou Les bourgeois de l'Islam

 

Plon 1930

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