30/06/2010
Le Montespan à Gigeri en 1664 (Jean TEULÉ) 1
Du sang plein le visage et des débris de cervelle au front, c'est la déroute. Sur cette plage de cité légendaire et fief des pirates aux effluves d'épices, l'officier Montespan est à genoux dans la poudre en dessous des étoiles, près d'une construction dont l'angle est heurté par des tourbillons de lumière. Il pousse ses hommes en habits de gala, se sent l'âme saoule. Une première ligne s'avance avec sang-froid, fait feu puis se retire. Une deuxième ligne prend sa place et ainsi de suite. Aux tirs s'ajoute le son des canons mais les ennemis sont si nombreux. Balles et boulets tirés à l'aveuglette. Les hommes de Louis-Henri tombent, les rangs s'éclaircissent. Bombardements et mousquetades redoublent d'intensité. Une déflagration signale l'explosion d'un ouvrage sous un feu intense. Comme des orgues noirs, les poitrines à jour des soldats du marquis, que serraient autrefois les gentes demoiselles, se heurtent longue-nient sur le sable dans un hideux amour. Et la foudre hurle à travers les espaces. L'incendie est au zénith, la mort dans la nature. Des curiosités vaguement impudiques épouvantent le rêve. L'ennemi bave aux murs, il monte, il pullule. Tous les bruits désastreux filent leur courbe dans de splendides lueurs de forge. C'est l'Enfer. Le feu gagne de partout, murailles attaquées, tirs d'armes. Depuis onze heures du matin, la situation est intenable. Après trois mois d'occupation de Gigeri*, l'armée de Sa Majesté** est soudainement rejetée à la mer le soir de la Toussaint 1664.
Deux jours plus tôt, Montespan, à l'écart, avait assisté aux délibérations d'un conseil de guerre. On s'y était demandé comment finir la muraille construite d'ouest en est – depuis la mer au pied de la montagne Sèche jusqu'à la pointe du Marabout –formant un demi-cercle en lignes brisées--. Clerville, chargé des fortifications, avait poussé quelques petites crieries après Gadagne, commandant des troupes au sol :
— Il est soudain devenu impossible de s'approvisionner en bois et calcaire nécessaires à la fabrication de la chaux ! Pourquoi ? Et puis, vous m'aviez promis que les indigènes me fourniraient les matériaux. Où sont-ils ?
Le commandant des troupes au sol, en armure de fer, n'avait su que répondre, alors Beaufort avait ordonné :
--- Si l'on a besoin de pierres, prenez-les dans le cimetière où doit passer la muraille.
Montespan, adossé contre un mur, avait osé émettre un doute à voix haute :
— Vous êtes sûr ? Les Kabyles ont déjà fort insisté pour que nous cessions les travaux avant la pointe rocheuse au bout de la plage. Pour eux, ce lieu est sacré. Il abrite le mausolée d'un marabout et des tombeaux de dignitaires de l'Islam. Si l'on profane les tombes musulmanes, Sidi Mohamed, qui jusque-là voulait bien nous laisser lutter contre les pirates, proclamera la guerre sainte...
— Mais de quoi se mêle ce capitaine ? ! s'était énervé le cousin du roi qui dirige l'expédition. Monsieur, l'intrusion dans la marine de gens comme vous au pouvoir mal défini n'est pas du goût de tous. Les véritables guerriers de Sa Majesté méprisent les capitaines d'occasion qu'ils désignent sous le quolibet de « marquis frisés » ou, pire encore, de « bâtards du cotillon »
Montespan s'était écrasé et ne l'avait plus ramené.
…
* Jijel
** Louis XIV
Le Montespan
Éditions Julliard
Paris, 2008
Chapitre 6
Pages 60 à 68
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