Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22/12/2008

Plus bête que moi (Emile DERMENGHEM)

Un pauvre khammâs (paysan), qui travaillait pour le cinquième de sa récolte, avait réussi, à force d'économies, à mettre de côté quinze cents francs.

Il en dépensa mille pour se marier et enveloppa le reste dans un chiffon.

Mais sa femme et lui étaient toujours inquiets pour leur trésor. Le bruit d'une souris suffisait à les réveiller. La crainte des voleurs assombrissait leur vie.

 

Un jour ils se dirent : « Nous allons acheter une étoffe et faire un oreiller dans lequel nous cacherons l'argent. Comme cela nous dormirons dessus, bien tranquilles. ».

 

Un colporteur étant venu à passer dans la taddart (le village), la femme sortit son argent pour acheter une pièce d'étoffe.

« Combien ? dit-elle.

-         Fais voir ce que tu as dans la main », dit le colporteur.

Et, ayant compté les billets, il affirma :

« Cela fait juste le prix. Donne. »

Et il partit avec les cinq cents francs.

 

Le mari rentré à la maison, la femme lui montra le bel oreiller qu’elle venait de confectionner avec son achat et lui dit le prix.

« Malheureuse ! s'écria l'homme. Tu as dépensé pour cacher notre argent, tout l'argent que nous possédions ! Est-il permis d'être aussi bête ? À quoi nous sert la cachette maintenant que nous n'avons rien à cacher ?

-         La prochaine fois que tu auras de l'argent, nous le mettrons dedans.

-         Crois-tu donc que je gagne si facilement cinq cents francs, moi pauvre khammâs ? »

 

Et fou de rage il partit, jurant qu'il ne reviendrait qu’après avoir trouvé une femme aussi bête que la sienne et un homme aussi bête que lui-même, qui avait eu la stupidité de l'épouser.

 

Il marcha longtemps à travers le pays et arriva un jour chez un riche propriétaire qui possédait une caisse pleine d'or et tremblait toujours, lui aussi, à l'idée de la perdre.

 

Il s'assit, pour se reposer, à la porte, et se mit à répéter : «Astaghfir Allah, ia Rebbt… La Tlah illa Ilah , Mohamed rasoûl Allah... Je demande pardon à Dieu. Ô seigneur ! Il n’y a de divinité que Dieu. Mahomet est l’apôtre de Dieu. »

 

La femme du propriétaire, qui se trouvait seule à la maison, l'entendit et l’invita à entrer. Mais homme prit un air mystérieux.

« Non merci dit-il. Veille à ce qu'on ne me voit pas.

-         Et pourquoi ?

-         C'est que je suis le facteur des morts. Je vais chez eux, je reviens, je fais leurs commissions et celles dont on me charge pour eux.

-         Ia Rebbi. Justement, j’ai mon père et ma mère qui sont morts.

-         Comment s'appellent-ils ?

-         Un tel est une telle.

-         Mais je les connais très bien ! Je vais faire la prière du dohor (de la matinée) avec eux.

-         Alors tu vas me rendre un service. Que Dieu fasse miséricorde à tes parents ! J'ai une caisse pleine d’or pour laquelle je tremble jour et nuit. Dans la peur d'être volés, mon mari et moi nous ne dormons jamais tranquilles. Puisque tu es le facteur des morts, tu vas porter la caisse chez ma mère, dans l'autre monde où elle sera en sûreté, et, quand j'en aurai besoin, je la lui demanderai pas ton intermédiaire.

-         Entendu ; avec plaisir.

-         Entre donc, et commence par déjeuner.

-         Oh ! Merci ! Je n'ai pas faim. »

Et notre khammâs se hâta de partir avec la caisse.

 

Quand le propriétaire rentra, à cheval, sa femme lui raconta ce qui s'était passé. Sans même prendre le temps de lui faire des reproches, il repartit au galop à la poursuite du voleur. Celui-ci était entré dans un champ de blé et y avait caché hâtivement la caisse, puis s'était accroupi au milieu des hautes tiges. Le cavalier rentra lui aussi dans le champ et ne voyant personne se mit à battre les blés de son bâton. L'homme surgit alors et, se donnant pour le propriétaire du champ, lui fit de violents reproches :

« N'as-tu pas honte de saccager mes épis ? Qui t’a permis d'entrer ici et d’abîmer ainsi mon bien ? Pars tout de suite. Sinon ! »

 

Le cavalier s'en alla. L'autre prit un chemin de traverse et le rejoignit au tournant de la route.

« N'as-tu point vu passer un homme portant une caisse ?» lui demanda le cavalier sans le reconnaître.

« Mais si ! Il vient justement entrer dans cette maison, à côté.

-                     Alors j'y vais tout de suite.

-                     Veux-tu que je te garde ton cheval ?

-                     Volontiers. Que Dieu fasse miséricorde à tes parents ! »

 

Il descendit de sa monture, confia les rênes au voleur et rentra dans la maison, où il réclama sa caisse. Il fut alors roué de coups, pendant que le khammâs partit sur le cheval, alla chercher la caisse et rentra chez lui, ayant trouvé plus bêtes que lui-même et sa femme.

 

 

BLUM-Claude_contes-berberes.jpgE. DERMENGHEM

 

René BASSET

 

Contes Kabyles

 

Imprimerie Charlot Alger 1945

Les commentaires sont fermés.