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30/10/2023

Marcel Elkaïm et Amirouche Aït Hamouda.

Marcel dessine le patron, reporte les mesures effectuées dans la nuit.

Il pense à Amirouche.

Amirouche Aït Hamouda.

Avant qu'il ne disparaisse dans les montagne et ne devienne le « loup de l'Akfadou », le sanguinaire décrit dans La Dépêche algérienne, le terrible qui arrache méticuleusement oreilles, nez, paupières, aux traîtres, et égorge même ses camarades de combat les plus proches, le combattant avait été bijoutier à Relizane.

Marcel lui avait acheté les plus belles parures de Viviane, la bague de fiançailles sertie de diamants, le collier de leur première année de mariage, cascade d'or jaune tressée, qu'elle portait en toute occasion au risque de faire des jalouses.

Amirouche lui avait fait des remises en échange de costumes à prix coûtant. Quand Marcel 1e livrait, ils buvaient le thé à la menthe dans l'arrière-boutique du joaillier.

- Tu pourrais rejoindre notre lutte, Marcel, je vois dans tes yeux que tu es fiable. Tu es un homme fidèle.

Il insistait.

- Le noyau de la fidélité, c'est la fidélité à des convictions, savoir qu'on peut crever pour ça.

Plus rien n'arrêtait sa logorrhée, ni les clients au seuil de la boutique, renvoyés d'un geste brusque, ni les heures à l'horloge, ni même le dernier appel du muezzin.

- Messali Hadj, t'en as forcément entendu parler ? Interdit de séjour ici, déporté en France, plusieurs fois emprisonné pour ses idées. Le parti du peuple algérien, l'Étoile nord-africaine, ça te dit quelque chose ? La résistance nationaliste ? Marcel, me dis pas le contraire ! Toi tu lis les journaux ! Et Maurice Thorez, même Maurice Thorez a déclaré que l'Algérie était « une nation en voie de formation », et c'était en 1939... Depuis, il y a eu Sétif. Sétif, premier acte de notre soulèvement, et à quel prix ? Celui du sang, des morts qui tremblent dans leurs tombes. Nos enfants devront se battre avec des armes pour conquérir leur liberté. Je te jure, les Francaouis, ils ont encore rien vu.

Marcel se souvenait des tracts noirs écrits en français et en arabe, « Le voÿage de Maurice Thorez en Algérie, 28 janvier-12 février 1939 ». Ces brochures glissées au petit matin sous les portes de la ville et que Lella jetait dans le kanoun. Chez elle, on ne faisait pas de politique et, de toute façon, elle ne savait pas lire.

- On n'en restera pas là, Marcel. La violence a fini par s'imprimer dans nos corps et dans nos esprits. La violence nous a rendus fous, et maintenant, on veut savoir à quoi ressemble la liberté, on veut le savoir à tout prix.



Le PCF les soutenait, et derrière le PCF, il y avait l'URSS. Il faudrait se battre pour le droit à l'indépendance des peuples colonisés, martelait Amirouche. Il faudrait se battre contre les impérialistes, de tous côtés.

- Ils ont trop d'intérêts économiques ici. Le intérêts économiques, ça empêche de distinguer le bien et le mal. Je te parle du Congo, je te parle de, l'Indochine. Je ne te parle pas seulement de l'Algérie. Et toi, toi, tu es algérien au-delà de l'Algérie !

Amirouche pointait l'index et le majeur, de ses yeux vers ceux de Marcel.

- Je le vois dans ton regard.

 

ELKAIM-Le-tailleur-de-Relizane_couv.jpgOlivia ELKAIM

Le Tailleur de Relizane

Éditions Stock

2020 (extrait p64-66)

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