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05/10/2011

Georgette (Farida BELGHOUL)

 

Même un Mau-Mau y garde sa terre !

 

(pp. 129-130)

 

Un jour, je suis à la maison, la tête baissée devant mon père. Il est furieux et m'a frappée à coups de poing et à coups de pied à mort à cause de cette cinglée.

 

-  Si tu m'écoutes pas, moi... Qui c'est qu' tu vas écouter ? Ta maîtresse ? Oui, écoute-la ! C'est normal : elle est diplômée, tout ça. Mais j'te l'ai déjà dit : écoute-la mais faut jamais la croire. Sinon, tu t' fais enterrer vivante. Ton frère, il est tordu comme toi, il écoute les voyous dans la rue. Il m'a dit : ta terre, vende-la! Mais faut rien à vendre du tout. Même un Mau-Mau y garde sa terre. Si tu la vendes, y'a personne qui te connaît. C'est grâce à notre terre qu'on porte le nom de la famille. Si t'en a pas de terre, t'en a pas un pays. T'es un bohémien, t'es un gitan. Alors que nous, j' l'ai gardée pour mes enfants. On peut faire la maison, planter les arbres, cultiver l'jardin. Si on veut faire 1'cimetière dans notre bled, on s'enterre là éternellement, personne qui te déterre. Tu vois pas qu'ici, il faut payer la place tous les dix ans ou tous les vingt ans. Si tu payes pas, on va t'déterrer tes os et on t'jette à la poubelle. Mais si tu m'écoutes, on t'couche dans la bonne terre quand t'es morte. On te met pas vivante dans les ordures d'ici.

 

En vérité, mon père se trompe à moitié. Cette folle furieuse c'est une cannibale. Elle mange les grenouilles et me bouffe jusqu'à la moelle. Elle me grignote, et ma viande disparaît sur mes os. Ensuite, elle trempe mon squelette dans le vase à la place de la rose. Je reste sec là-dedans éternellement. Personne se ramène pour m'enterrer, même sous un tas de feuilles pourries. Plus tard, une autre maîtresse débarque dans la classe. La mienne est morte avec toutes ses dents. L'autre fait le ménage à son bureau.

- Pouah ! Qu'est-ce que c'est cette horreur ?

Elle prend mes os avec un mouchoir en papier ; et ce coup-ci il a raison, elle me jette à la poubelle. Je connaîtrai jamais la terre. Je porterai jamais de nom.

 

BELGHOUL-Farida_Georgette_1986.jpgFarida BELGHOUL

 

Georgette 

 

Éditions Barrault

 

Paris 1986

 

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