Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/06/2008

Yeux de feu ( Mohamed BOUKACI )

À Tighilt, le crieur  public  avait  appelé  à  un rassemblement des villageois. Des hommes de tous âges s'étaient déversés vers la djemâa et prirent place sur les sièges faits de dalles de schistes. Cette place publique formait un quadrilatère et face à l'entrée principale se trouvaient des sièges pour les cinq notables et le cheikh de la localité. Ce dernier préluda à la profession de fois rituelle que chacun écouta dans une attitude hiératique les mains jointes puis l'Amin, premier responsable, prit la parole :

- Hommes du village nous avons décidé de vous réunir ce soir parce qu'en paysans, notre existence est liée à notre cheptel et à nos terres. Cependant un fléau menace nos bêtes domestiques et peut-être même nos vies. Les habitants de Lazib nous ont fait part de lions les ayant attaqués jusque dans leurs domiciles. Leurs animaux ont été éparpillés durant la nuit et un homme a failli trouver la mort, attaqué par un de ces félins. Nous savons tous qu'une brebis a été ravie à Da Mohand par une lionne. Et si c'était lui qui marchait en tête du troupeau? ... Cette bête féroce aurait mis un terme à son existence. Non contente de son forfait, elle est revenue trois jours après avec d'autres congénères tuer le bœuf blanc d'Ahmed. Nous ne devons pas rester inactifs.

- Ces derniers temps, ces lions sont devenus plus féroces que de coutume. Jadis, ils se contentaient d'égorger les sangliers dans les ravins ; mais de nos jours, ils ont une prédilection pour nos animaux constituant pour eux des proies faciles. Je n' aurais jamais imaginé qu'ils viendraient en plein jour dévorer mon bœuf dit Ahmed.

- De mémoire d'homme, dit Da Mohand, les lions avaient constitué un fléau pour les villageois. Jadis, nos ancêtres ne possédaient pas de fusils et étaient obligés de se défendre contre ces bêtes à l'aide de haches ou de couteaux. Entre notre race et la leur, la guerre avait toujours fait rage car à chacun de leur repas, ils doivent sacrifier une victime et si nous ne les tuons pas, ce seront eux qui le feront. À mon humble avis, il n'y a aucun pêché à les abattre. N'est-ce pas, Si Tahar?

- Il n'est point péché de tuer l'animal qui commet un quelconque gâchis, dit le cheikh ayant senti que ce vieillard, superstitieux comme la plupart des gens d'âge avancé de son époque, voulait d'abord purifier sa conscience. Tous les prédateurs doivent être tués sans merci de même que les sangliers qui détruisent les récoltes.

- Ne brusquons pas les choses reprit Da Mohand. La bête qui s'acharne ainsi sur nous est La Sournoise, très circonspecte et rusée comme le diable en personne. Elle est capable de se fondre dans les arbres, les buissons et les rochers  ou  se  cacher dans  les  excavations  et les anfractuosités. Cette lionne est une incarnation des divinités malfaisantes de la forêt.

Ces paroles furent aussitôt suivies de murmures de vieillards récitant la profession de foi. À cette époque, les superstitions étaient encore très vivaces, résidus de toute une gangue de croyances primitives. Aussi, ces villageois prêtaient une âme et des pouvoirs surnaturels à de nombreux objets inanimés. Pour eux, les champs, les cours d'eau, les ravins et les forêts étaient habités par des génies manichéistes, pouvant prodiguer leurs bienfaits ou leurs nuisances aux êtres humains.

- Puisque le cheikh affirme qu'il n'y a aucun péché à exterminer ces fauves, nous devons décider de l'attitude à adopter face à eux, reprit le chef du village.

Un homme avoisinant la trentaine prit la parole quoiqu'en ces temps, il soit malséant pour un homme de cet âge de s'exprimer dans un rassemblement du village. C'était aux plus aînés de sa famille de le représenter. Il préluda en ces termes :

- Je tiens à demander pardon à l'assistance car mes paroles ne valent rien devant celles des têtes blanches ici présentes. Mais je propose que des hommes valides organisent des embuscades pour abattre le plus grand nombre de lions possibles. Ainsi, nous débarrasserons la forêt de ces brigands.- Amar ! dit le chef du village, je pense que la proposition est bonne, mais nous devons écouter les avis de tous les gens ici présents.

- Da Makhlouf !  dit un vieux chiqueur invétéré s'adressant au chef du village, nous exposerons nos jeunes à un danger certain. Nous savons tous que ces fauves ne meurent qu'une fois touchés d'une balle entre les yeux ou au coeur. Avec des fusils à silex, de nombreux chasseurs n'avaient fait que blesser ces bêtes, ce qui les avait rendues plus féroces. Il faut trouver autre chose.

Un murmure de mécontentement parcourut la masse de jeunes qui s'était tassée à l'entrée de la place publique faute de sièges, frustrés de ces parties de chasse qui leur filaient entre les doigts.

- Au lieu de pourchasser tous les fauves de cette forêt aussi vaste que la mer, nous ferons mieux de cibler cette maudite Sournoise dit Da Mohand. C'est elle... Et elle seule qui connaît le moindre recoin de la région et entraîne son vieux mâle et ses autres congénères de leur bande à des razzias contre nos animaux. Lorsqu'elle m'a raflé ma meilleure brebis, elle s'est dirigée du côté de Tighzert, direction qu'elle a également prise en emportant un quartier de viande du bœuf d'Ahmed. Pas de doute ! ... Elle a une progéniture dans les parages. Nous devrons la tuer et exterminer ses petits qui risquent de devenir de terribles égorgeurs, à l'instar de leur mère.

- Mais ! ... reprit le vieux chiqueur, pourrons-nous massacrer ces petits sans encourir une malédiction. Ils n'ont encore jamais tué une proie et les divinités de la forêt les protègent...

BOUKACI-Mohamed_yeux-de-feu.jpgMohamed BOUKACI 

 

Yeux de feu

 

pages 36-39

 

Éditions Le Savoir

Tizi-Ouzou, 2007

Commentaires

hi

this book it's a beautiful stories and legender, I am enjoy it to read it.
I which the Auteur will write more books and with enjoying Stories. I wish all the best and long life for the Berber Liturature.

with kind regards

Écrit par : Leo Bzaid | 05/06/2009

Je ne savais pas que Mohamed était ecrivain (j aurais sûrement contribué à faire connaitre ses écrits) ; cela m a été annoncé par son frère Meziane à qui j'ai tenu compagnie la veille du décès de son frère à Tizi Ouzou .
Mohamed était mon ami d enfance , on a eu à partager des moments extraordinaires qui sont restés gravés dans ma mémoire , telles que ces parties de chasse à la carabine 8 mm que Mohamed lui-même fabriquait dune manière artisanale en mettant en oeuvre son génie d'artiste .
C'était un homme discret , modeste aimé de tous . Il imposait le respect par ses qualités d'homme sage , timide. En lisant ce passage de son livre "yeux de feu", je revois Mohamed; c est lui , pas quelqu’un d'autre. C était un nostalgique, un homme d'une grande sensibilité. On aurait pu connaître la face cachée de Mohamed à travers ses livres de son vivant. Hélas on ne le découvrira qu'après son départ .
akyarham rebbi a mohamed !

Écrit par : ould oulhadj md said | 03/01/2012

Disparation de l'écrivain Mohamed Boukaci, le 01 janvier 2012 dans son village natal à Taourirt Menguellet , commune de Aïn el Hammam à l'âge de 55 ans, laissant derrière lui plusieurs publications: (recueils de nouvelles "dalles ancestrales", le trésor de la discorde, la vendetta, yeux du feu...)
À ce titre, je m'incline en tant que ami et poète devant sa mémoire et j'interpelle tous les artistes et hommes de lettres pour qu'ils aient une pensée pour lui...

Écrit par : farid | 07/01/2012

a toi cousin qui etait si discret au point ou on ignorait tes ecrits.Je n'ai decouvert tes livres qu'apres ton deces ,j'espere que malgré ton absence d'autres sauront te faire connaitre aupres de tous les amazighs ,de tous les algeriens et meme audelà des frontieres ,tu le merite car tu etais si modeste.Repose en paix ,nous ne t'oublierons pas.

Écrit par : boukaci fatiha | 08/03/2013

fatiha bouklaci etes vous la soeur de malika, j'ai été à l'école avec elle ecole de ouaghzen chez soeur philippe, que devient elle et toi je me souviens de toi aussi

Écrit par : mbarka | 10/04/2013

A mbarka:oui je suis la soeur de malika et moi aussi j'ai eu comme enseignante soeur phillipe.Ma soeur habite a tigzirt sur mer,elle va bien mais avec l'age elle a des petits problemes d'arthrose aux genoux.J'aimerai savoir qui vous etes si vous pouvez me donner des precisions ,il se peut que je vous connaisse aussi,et cela me permettra d'informer ma soeur,elle pourra meme vous contacter a travers le net et je suis sure que cela lui fera plaisir.A bientot de vous lire

Écrit par : boukaci fatiha | 10/04/2013

Les commentaires sont fermés.