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23/05/2014

Le Centre de regroupement de Bou El Bellout (Victor RENOU)

 

Novembre 1959

 

Par recoupement, nous connaissons l'explication de notre présence ici. En dehors de la construction de bâtiments pour se loger, la compagnie est chargée de regrouper tous les civils se trouvant  dans un rayon d'environ 15 km, en situation illégale, puisque cette région est déclarée interdite. C'est d'ailleurs pourquoi toutes les mechtas (habitations des villageois) ont été détruites par l'aviation et que possibilité est donnée de faire feu sur toute présence suspecte. Bien entendu, pour faire œuvre de pacification, il ne s'agit pas d'anéantir mais de déloger les indigènes « garennés » dans la brousse puis de les installer sur l'espace situé entre la section du sommet et celles du bas. Là sera aménagé un centre de regroupement comme il en existe beaucoup. Dans ce but un hélicoptère a déjà déposé des marabouts (sortes de tentes coniques soutenues par un mât) permettant d'abriter douze à quinze personnes par unité. (Pages 18-19)

 

 

Décembre 1959

 

Ralliés d'eux-mêmes, près de cent civils sont maintenant installés sous les marabouts. Il règne dans ce groupe bigarré, composé surtout de femmes, d'enfants et d'anciens, une ambiance qui rappelle celle des campements bohémiens. De la semoule a été distribuée. En permanence, les fatmas confectionnent des galettes pour nourrir leur monde. L'odeur aux alentours est caractéristique. Chargé du contrôle interne du camp, l'adjudant Penzibi doit procéder chaque soir à l'appel de ceux qu'il appelle ses chouchous. Le scénario tourne parfois à la galéjade. En effet, lorsque l'approvisionnement en bière a été assuré, l'adjudant en abuse et mélange ensuite près des fatmas service commandé et familiarités déplacées. A l'intérieur des guitounes se poursuivent alors des babillages animés...

 

Afin d'apporter davantage de sécurité aux civils, une mechta abandonnée, située près de leur emplacement, a été aménagée en local baptisé « poste de police ». Conçue pour permettre à cinq hommes de dormir pendant la faction du sixième, cette casemate en argile est reliée à notre campement par un téléphone de campagne. Par une nuit sans lune, l'homme de faction à ce poste entend un bruit suspect autour des marabouts. Malgré l'interdiction, il risque un jet de lampe électrique. Comme réponse, un fusil mitrailleur arrose d'un trait la baraque perturbatrice. La fusillade sort tout le monde du sommeil. D'un bond je suis dehors, chaussures non lacées, le pistolet dans une main et la cartouchière dans l'autre. D'abord hésitante, la réplique du poste de police s'effectue par jets saccadés. C'est l'alerte générale. Dans toutes les guitounes, c'est le même scénario : récupérer l'arme à tâtons, se dégager « fissa » et courir vers une position de combat. Mazout, en caleçon et sans flingue, vient échouer à mes côtés. Marmonnant des propos inintelligibles, il fait penser à un corniaud se terrant sous les ronciers au premier coup de fusil. La pétarade s'est arrêtée.

 

A l'aide du téléphone, le lieutenant Delonget essaie d'obtenir des précisions mais constate que le fil a été sectionné. Il demande alors de projeter une fusée éclairante. Le résultat est immédiat : ça tire de partout. Mazout se colle contre moi en tremblant. Des balles traçantes balaient le ciel dans les deux sens. Certaines sifflent en passant tout près. Par acquis de conscience, je vide mon chargeur dans le noir. Un de nos hommes est atteint à l'épaule. Secouru aussitôt, il rentre en geignant dans la tente. La fusillade se calme à nouveau.

 

Une autre fusée est balancée, mais cette fois aucun coup de feu ne l'accueille. Ceci semble bizarre et pourrait dissimuler une autre tactique. Dominant le vallon, Delonget, pareil à un être bafoué lançant un défi, se met à hurler un tas d'insultes aux agresseurs. La scène est tragi-comique. Sur son ordre, des grenades à fusils sont envoyées vers un passage éventuel de repli. Aucun coup de feu ne répond. Les attaquants ont décroché. Que voulaient-ils au juste ? La réponse se précise : un contact radio, établi avec le campement d'en bas, signale qu'une sentinelle a cru s'apercevoir de la disparition des marabouts. Ce serait le comble...

 

Envoyée sur place, une patrouille est bien obligée d'en faire le constat : tentes, locataires, provisions et tout le saint-frusquin ont pris la clé des champs. Cet avatar imprévu met le lieutenant en furie. Quant au capitaine, il temporise et décide seulement de doubler les sentinelles pour le reste de la nuit. Après une telle séquence, ce n'est pas facile de se rendormir.

 

Au lever du jour, c'est la consternation devant le vide. Personne n'ose se gausser de la situation tant nous avons l'impression de paraître ridicules. Dans leurs tanières introuvables, les raffleurs doivent fêter l'événement : ils ne pouvaient mieux nous narguer car quelle protection pourra-t-on garantir ensuite aux civils en passe d'être regroupés ? Mais il n'est pas question de baisser les bras. Le lendemain matin un hélicoptère vient chercher notre blessé, content d'être évacué. Lorsqu'elle a été connue au bataillon, l'affaire a fait l'effet d'un pavé dans la mare. Il faut réagir. … (Pages 26-27-28)

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Victor RENOU

En Algérie, c'était comme ça …

ou les 24 mois d'un Appelé sur un piton.

 

Auto édition. Dinan (France)

Année de publication : 1988

 

 

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