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14/07/2011

Bou-El-Nouar et l’école (ZENATI Rabah et Akli)

 

Chapitre IV

 

I

 

Si Tayeb, le taleb, ne niait pas l'esprit curieux de Bou­-El-Nouar. C'était le trait essentiel de l'intelligence de l'enfant. Le maître du Koutab fut vite frappé de cette particularité malgré son manque d'intuition, son peu d'élan vers les nouveautés, son attachement têtu aux vieilles connaissances orthodoxes de son enseignement. Les élèves réduits au rôle d'appareils enregistreurs ne trouvaient un sens à tout ce dont on meublait leur mémoire que très longtemps après leur sortie de l'école coranique et encore quand ils n'avaient pas interrompu leurs études.

 

Bou-El-Nouar étonnait son maître par ses spirituelles réparties, par les questions aussi judicieusement posées que celle-ci :

 

" Que signifie ce que je viens de réciter ? Pourquoi n’avons-nous pas des livres comme à l'école française ? Pourquoi les petits Français comprennent-ils ce qu'ils apprennent et nous rien ? "

 

C'étaient des dispositions étrangères à des bambins de son âge, habitués à un travail de mémoire souvent en défaut devant l’aridité des textes. Aussi le fils Boudiaf inquiétait-il un peu le taleb toujours impressionné par les réponses surprenantes de son élève. Il disait souvent que Bou-El-Nouar n'était pas un élève comme les autres ; non seulement il apprenait très vite mais il raisonnait surtout pomme une grande personne.

 

Depuis quelques jours il tombait, lorsqu'il rentrait à la maison, dans un silence marqué d'une certaine nervosité contraire à son tempérament. Après le souper, dans la salle commune il s'approchait de son père comme s'il voulait lui dire quelque chose, s'en éloignait, puis renouvelait ce manège plusieurs fois avant d'aller se coucher. Boudiaf ne s'apercevait de rien, mais sa mère, mise en éveil par ce va-et-vient insolite, le suivait avec attention. Son instinct l'avertissait que son fils était en proie à un trouble dont elle ne percevait pas exactement la cause. Un soir Bou-El­-Nouar n'y tint plus. Après avoir touché à peine aux aliments, très ému et presque tremblant, il dit brusquement â son père :

 

                Je voudrais te dire quelque chose, mais promets-moi de ne pas me gronder.

 

                Dis toujours, nous verrons après, répondit Boudiaf.

 

 Je crains que tu ne me refuses ce que je désire.

 

— Si tu me laisses dans l'ignorance de ce que tu veux de moi, je ne risque pas de te donner satisfaction !
— Je ne sais ce qu'il a, intervint Fatma. Depuis quelques jours, je le vois tourner, virer, s'énerver sans motifs apparents. J'ai failli t'en prévenir.

 

— Parle donc, reprit le père.

 

— Je ne peux pas, les mots ne viennent pas.

 

— Alors va te coucher.

 

Bou-El-Nouar se disposait à sortir quand sa mère le retint par le bras. Elle l'encouragea à parler. Il hésita encore, pétrissant d'une main inquiète sa gorge serrée par l'émotion. Les caresses de Fatma, eurent raison de sa frayeur. Il finit par lâcher dans un souffle :

 

— Je voudrais aller à l'école française, comme le fils du Cadi.

 

— Mais, qui t'a encore mis ces idées en tête petit malheureux ? s'emporta Boudiaf. Je parie que c'est encore le Cadi, à moins que ce ne soit son fils aîné. Ce Cadi de malheur ne veut donc pas me laisser tranquille.

 

— Je le jure par Sidi El Hadj M'Barek, père, que je n'ai été poussé par personne.

 

— Comment ? tu vas me soutenir que tu as trouvé cela tout seul.

 

— Je voudrais faire comme les fils du Cadi et comme les fils de tous tes amis du village qui quittent la koutab à huit heures du matin pour se rendre à l'école française. Ils ont des cartables remplis de beaux livres. Ils écrivent sans qu’il soit besoin de leur tenir la main et comprennent ce qu'ils récitent.

 

— Tu n'as pas besoin de te farcir l'esprit et l'imagination avec toutes ces billevesées. Que tu saches faire convenablement la prière et que tu cultives bien tes champs, c'est ce qui m'importe le plus. Cela suffira d'ailleurs très largement.

 

— Les fils du Cadi et les autres jouent et parlent avec les petits Français.

 

— Tu n'as rien à faire avec ces gens là.

 

— Et pourquoi causes-tu toujours aux colons, toi ? Je voudrais leur parler en français comme le Cadi, et non en arabe comme tu le fais.

 

Boudiaf sous l'effet de ce qu'il considérait comme une insulte, faillit donner libre cours à la colère qui montait en lui. Il réussit à maîtriser son courroux, mais envoya son fils à tous les diables.

 

 

 

II

 

Boudiaf n'était guère préparé aux nouvelles perspectives dévoilées par son fils. Il croyait perpétuer les anciennes traditions de sa famille en ne livrant rien au hasard, en se méfiant de toutes les nouveautés, considérant comme hautement respectable tout ce qu'avaient accompli ses ancêtres. Il aimait souvent à répéter comme un principe immuable cette phrase qui, pour lui, résumait toute la vie :

 

"Les anciens ont tout dit, tout fait, tout prévu. Ce serait une vanité malsaine que de déranger l'ordre établi depuis des siècles, de renoncer aux vieilles coutumes pour des habitudes excentriques dont l'utilité reste à démontrer et qui, par dessus tout, ne sont pas les nôtres, Profitons plutôt de l'enseignement que nous ont laissé ceux qui nous ont précédés et demeurons dans la voie que nous a si bien tracée le dernier des Prophètes."

 

 

 

ZENATI R&A_BOU-EL-NOUAR_1945.jpgRabah et Akli ZENATI

 

Bou­-El-Nouar

 

 

 

La Maison des Livres ; Alger

 

1945

 

Commentaires

bonjour,
je souhaiterai prendre contact avec les auteurs
est ce possible et comment, vous pouvez leurs transmettre mon mail voire mon tel 0617015954

Écrit par : amsellem yves | 22/03/2012

Nos ancêtres les gaulois..."j’écris en français pour dire aux français que je ne suis pas français "dixit Feu Kateb Yacine

Écrit par : Lehlali | 07/04/2012

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