01/04/2009
Conte du village où tous les hommes ...
Il était une fois un village qui n'était habité que par des femmes, des enfants et un vieillard qui s'appelait El Hadj Bubacar. Pour connaître son âge, il fallait avoir la culture des rides. Au centre du village il y avait un arbre. En Afrique, on l'appelle l'arbre à palabres. Il n’y avait plus aucun homme dans le village à part lui. Tous les hommes étaient partis chercher fortune de l'autre côté de l'océan en Occident. La plupart allaient en France puisque c'est là qu'ils avaient, qui un cousin, qui un frère, qui un ami.
Cela faisait quelques mois que le village n'avait reçu aucune nouvelle de personne. La dernière fois que le facteur était passé c'était pour annoncer le début de la fête nationale.
El Hadj Bubacar a l'habitude de se lever avant tout le monde pour sa première prière et ensuite il s’assied au pied de l'arbre à palabres. Un matin, il entend le bruit du moteur d'une mobylette. « Tiens, c'est la mobylette du facteur, se dit-il. Il y avait longtemps qu'on ne l'avait vu par ici. » Avec un grand sourire, le facteur le salue et lui remet une lettre.
Avant qu'il l'eut ouverte, le facteur était déjà parti. Faut dire que ce dernier avait beaucoup de kilomètres à faire... El Hadj ne savait pas lire mais il était sûr qu'elle venait de France: il avait reconnu le portrait de De Gaulle sur le timbre. Aucune femme ne savait lire au village car aucune femme n'allait à l'école. Bubacar décide alors de partir à la recherche de quelqu'un qui puisse lui lire la lettre.
Il quitte le village avec la bénédiction de toutes les villageoises, sur un mulet, puisque pauvre, il n 'a pas de cheval, avec des provisions et de l'eau en quantité bien sûr.
Dix kilomètres plus loin, il rencontre un homme. « Je te connais toi, tu es Suleyman du village. Tu étais parti pour le pays de De Gaulle afin de faire fortune. » L'homme lui explique que finalement il n 'est pas allé jusque là-bas et qu'il a décidé de s'arrêter ici.
« Pourquoi n'es-tu pas revenu au village?
- Je ne pouvais pas revenir sans avoir fait fortune. Quelle honte pour moi ! »
Bubacar lui montre la lettre. Mais Suleyman ne sait pas lire.
Bubacar et Suleyman se mettent en route. Dix kilomètres plus loin, ils rencontrent un autre homme. « Mais je te connais toi, tu es Mamadou du village, lui dit Bubacar. Tu étais parti pour le pays de De Gaulle afin de faire fortune. » L'homme leur explique que finalement il n 'est pas allé jusque là-bas et qu'il a décidé de s'arrêter ici.
« Pourquoi n'es-tu pas revenu au village?
- Je ne pouvais pas revenir sans avoir fait fortune. Quelle honte pour moi ! » Bubacar lui montre la lettre. Mais Mamadou ne sait pas lire.
Mamadou décide de se joindre à eux. Bubacar, Suleyman et Mamadou se mettent en route. Dix kilomètres plus loin, ils rencontrent un homme. « Mais je te connais toi, tu es Touré du village, lui dit Bubacar. Tu étais parti pour le village de De Gaulle afin de faire fortune.» L 'homme leur explique que finalement il n 'est pas allé jusque là-bas et qu'il a décidé de s'arrêter ici.
« Pourquoi n'es-tu pas revenu au village?
- Je ne pouvais pas revenir sans avoir fait fortune. Quelle honte pour moi ! » Bubacar lui montre la lettre. Mais Touré ne sait pas lire.
Touré décide de se joindre à eux, et ils poursuivent leur chemin à la recherche de l'homme qui pourra lire la lettre venue du pays de De Gaulle.
Chaque dix kilomètres, ils rencontrent un homme nouveau. Un homme parti du village pour faire fortune. Aucun n'est revenu par peur de la honte. Mais aucun de ces hommes ne sait lire.
Touré décide de se joindre à eux et ils poursuivent leur chemin à la recherche de l'homme qui pourra lire la lettre venue du pays de De. GaulLe.
Chaque dix kilomètres, ils rencontrent un homme nouveau. Un homme parti du village pour faire fortune. Aucun n’est revenu par peur de la honte. Mais aucun de ces hommes ne sait lire.
Au bout de plusieurs centaines de kilomètres - ou était-ce des milliers - un chant leur parvient au loin. Il n’y a pas de doute, c'est La Marseillaise, la chanson du pays de De Gaulle. Ils distinguent les paroles:
Allons z-enfants de la patri-i-e
Le jour de gloire est arrivé... »
Ils s'approchent et arrivent devant un bureau de poste. Ils expliquent au postier que le village a reçu une lettre venant du pays de De Gaulle:
« Mais c'est moi qui vous l'ai envoyée!, s'exclame l'employé. Je voulais vous rassurer et vous dire que j'allais bien. »
Voilà comment, par peur de la honte, un village a risqué de disparaître.
ROCK LA CASBAH
Éditeur : Flammarion
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