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30/10/2023

Marcel Elkaïm et Amirouche Aït Hamouda.

Marcel dessine le patron, reporte les mesures effectuées dans la nuit.

Il pense à Amirouche.

Amirouche Aït Hamouda.

Avant qu'il ne disparaisse dans les montagne et ne devienne le « loup de l'Akfadou », le sanguinaire décrit dans La Dépêche algérienne, le terrible qui arrache méticuleusement oreilles, nez, paupières, aux traîtres, et égorge même ses camarades de combat les plus proches, le combattant avait été bijoutier à Relizane.

Marcel lui avait acheté les plus belles parures de Viviane, la bague de fiançailles sertie de diamants, le collier de leur première année de mariage, cascade d'or jaune tressée, qu'elle portait en toute occasion au risque de faire des jalouses.

Amirouche lui avait fait des remises en échange de costumes à prix coûtant. Quand Marcel 1e livrait, ils buvaient le thé à la menthe dans l'arrière-boutique du joaillier.

- Tu pourrais rejoindre notre lutte, Marcel, je vois dans tes yeux que tu es fiable. Tu es un homme fidèle.

Il insistait.

- Le noyau de la fidélité, c'est la fidélité à des convictions, savoir qu'on peut crever pour ça.

Plus rien n'arrêtait sa logorrhée, ni les clients au seuil de la boutique, renvoyés d'un geste brusque, ni les heures à l'horloge, ni même le dernier appel du muezzin.

- Messali Hadj, t'en as forcément entendu parler ? Interdit de séjour ici, déporté en France, plusieurs fois emprisonné pour ses idées. Le parti du peuple algérien, l'Étoile nord-africaine, ça te dit quelque chose ? La résistance nationaliste ? Marcel, me dis pas le contraire ! Toi tu lis les journaux ! Et Maurice Thorez, même Maurice Thorez a déclaré que l'Algérie était « une nation en voie de formation », et c'était en 1939... Depuis, il y a eu Sétif. Sétif, premier acte de notre soulèvement, et à quel prix ? Celui du sang, des morts qui tremblent dans leurs tombes. Nos enfants devront se battre avec des armes pour conquérir leur liberté. Je te jure, les Francaouis, ils ont encore rien vu.

Marcel se souvenait des tracts noirs écrits en français et en arabe, « Le voÿage de Maurice Thorez en Algérie, 28 janvier-12 février 1939 ». Ces brochures glissées au petit matin sous les portes de la ville et que Lella jetait dans le kanoun. Chez elle, on ne faisait pas de politique et, de toute façon, elle ne savait pas lire.

- On n'en restera pas là, Marcel. La violence a fini par s'imprimer dans nos corps et dans nos esprits. La violence nous a rendus fous, et maintenant, on veut savoir à quoi ressemble la liberté, on veut le savoir à tout prix.



Le PCF les soutenait, et derrière le PCF, il y avait l'URSS. Il faudrait se battre pour le droit à l'indépendance des peuples colonisés, martelait Amirouche. Il faudrait se battre contre les impérialistes, de tous côtés.

- Ils ont trop d'intérêts économiques ici. Le intérêts économiques, ça empêche de distinguer le bien et le mal. Je te parle du Congo, je te parle de, l'Indochine. Je ne te parle pas seulement de l'Algérie. Et toi, toi, tu es algérien au-delà de l'Algérie !

Amirouche pointait l'index et le majeur, de ses yeux vers ceux de Marcel.

- Je le vois dans ton regard.

 

ELKAIM-Le-tailleur-de-Relizane_couv.jpgOlivia ELKAIM

Le Tailleur de Relizane

Éditions Stock

2020 (extrait p64-66)

08/09/2022

Profession du père (Sorj CHALANDON)

Profession du père (Sorj CHALANDON) Extrait

 

Émile a été "abandonné" par son père (grand mythomane) à l'âge de 21 ans.

Il n'a pas revu ses parents depuis des années (pas même pour son mariage avec une "Kabyle" de Rosporden !)

 

Pages 258-265 :

Je suis revenu voir (mes parents) sept ans plus tard, en juil­let 2002. Clément était né en mars, comme moi. Je voulais qu'ils le rencontrent. Nous sommes arrivés en ville par le train de midi. Je ne leur avais pas donné notre heure d'arrivée. Ils ne l'avaient pas demandée. Avant d'aller chez eux, j'ai emmené Fadila et mon fils dans un restaurant de la rue Belgeard.

- Tu viens avec ton bébé ?

Oui, j'avais répondu au téléphone. Bien sûr, évi­demment. C'est même pour cela que nous venions. Ma mère avait posé la question avec sa voix soucieuse.

- Vous allez manger où ?

- Déjeuner où ? Nous trouverons.

Elle avait semblé soulagée.

- Dans le train ?

- Non, dans la vieille ville, je pense.

Mon père écoutait tout. Je sentais sa présence autour d'elle, j'entendais son silence. Il regardait ma mère, la fenêtre, elle encore, le plafond.

- Il vient avec son Arabe ?

Elle ne lui répondait pas. Elle s'inquiétait du métro bondé.

- On prendra un taxi à la gare, ne t'inquiète de rien.

- Ça fait des frais, a dit ma mère.

- De quoi ? il a demandé au loin.

- Ils vont aller au restaurant, ça a répété ma mère.

Il pleuvait. Une pluie fine et légère, que nous ne sentions pas. Lorsque nous sommes arrivés dans leur était à la fenêtre. Elle attendait, penchée, mains jointes. Elle surveillait les taxis. Nous sommes arrivés à pied. Je portais le couffin d'osier, Fadila avait le sac. Du trottoir, j'ai fait un geste de la main. Trop grand, le geste. J'ai agité mon inhalateur, aspiré trois doses violentes, comme en présence d'un chat.

Leur appartement sentait toujours la poussière, les ténèbres et le rance. Mon père était assis dans son fauteuil, en pantalon de velours trop court. Il avait une chemise bleu nuit, des chaussettes blanches à motifs rouges et des pantoufles de laine noire et jaune. Lorsque nous sommes entrés, la pluie avait cessé. Le soleil d'été labourait les nuages. L'appartement était un four.

- Il va sûrement repleuvoir, a soupiré ma mère.

- Ici on ne craint rien, a souri Fadila.

Ma mère l'a regardée.

- Oui, mais s'il pleut quand vous repartez...

Ma femme avait du mal avec mes parents. Elle les reniflait comme une louve inquiète. Jamais je ne lui avais parlé de mon enfance. Ni de la violence, ni de la folie. Surtout pas de l'OAS. Des mots, ici ou là. Rien de plus, mais elle devinait. Elle m'observait en secret. Une tristesse, une pluie d'automne, une colère brutale, une émotion trop vive, une larme de Noël, un regard battu. Elle leur en voulait de m'avoir abîmé.

- Je suis soulagé, vous n'avez pas trop le type algérien, lui avait dit mon père lors de leur première rencontre.

Il la déshabillait du regard. J'ai manqué d'air. Ma femme a souri. Elle a pris mon bras.

- Je crois que c'est un compliment, mon chéri. Ma mère a hoché la tête.

- Fatma ? C'est ça ?

- Fadila, je préfère, a répondu ma femme. Elle a ri. Ma mère aussi.

- C'est mieux que Fatma. Ça fait bonniche, Fatma, a jeté mon père.

Fadila était française. Mère bretonne, père kabyle, née à Rosporden.

J'ai déposé le couffin sur le tapis, dans l'obscurité de leur caveau.

- Le soleil est revenu, vous savez, a encore essayé ma femme.

- C'est pour ça qu'on ferme les volets, a répondu ma mère.

Clément dormait. Je l'enviais. Sur le dos, poings serrés sous sa gorge, bouche ouverte, il dormait. Ma mère s'est penchée sur le couffin.

- Il n'est pas serré là-dedans ?

Fadila l'a rassurée. Mais elle m'a reposé la question. À moi, son fils qui savait. Non, maman. Pas serré. Il est bien, à la fois au chaud et au frais. Il dort. Il rêve. Il profite de votre obscurité. J'avais soif. J'avais demandé au taxi de nous laisser à quelques rues de chez eux. Marcher les derniers mètres sous la pluie, plutôt que d'être livrés à leur porte. Nous avions longé les quais sans un mot.

Depuis Paris, j'étais mal. Dans le train, je me suis endormi. À 10 heures du matin, épuisé comme à minuit. Je me suis réveillé lorsque nous avons tra­versé la rivière. Réveillé par la voix du chef de bord. Depuis, je sommeillais. Au restaurant, mes yeux se fermaient. Je sentais dans la rue tout le poids de la nuit. Et encore après, dans cette chaleur d'août, ces relents de tombeau. Ma mère est allée à la cuisine. Elle est revenue, un verre d'eau pour elle seule. Elle a bu.

- Qu'est-ce qu'il fait chaud.

Fadila m'a regardé. J'ai évité ses yeux. Un instant, j'ai voulu prendre mon fils, ma femme, et les sauver. J'ai passé un peu de lait sur les lèvres de notre enfant. J'ai sorti son brumisateur d'eau minérale. Je l'ai vaporisé de loin. Il a grimacé. Je me suis mouillé le visage.

- Ça, c'est drôlement pratique, a lancé ma mère.

- Lorsqu'on a soif ? C'est formidable ! a répondu Fadila.

Elle était à bout. Nous étions là depuis quinze minutes et elle n'en pouvait plus. Sans un mot de moi, sans un regard, elle savait, elle sentait, elle devi­nait. Elle était gagnée par le dégoût. Elle tenait son sac contre elle, regardait la porte d'entrée comme un naufragé surveille le canot.

- Qu'est-ce qui est formidable ?

Mon père. Sa voix faible, sa langue de bois, ses lèvres molles.

Depuis que nous étions entrés, il était tassé dans son fauteuil, silencieux. Il regardait Fadila, ma mère, moi. Il n'avait pas remarqué le couffin.

- Émile a un vaporisateur avec de l'eau, je n'avais jamais vu ça.

Mon père a regardé ma mère. Son visage étonné.

- Pour son asthme ?

- Non, pour se rafraîchir, elle a répondu.

Il a sifflé entre ses dents. Ou expiré, je ne sais pas. Son bruit de père qui n'a pas entendu, ne s'intéresse à rien, rattaché à la vie par un chuintement de bouche. Après, généralement, il lâchait : « Eh ben dis donc ! »

- Eh ben dis donc ! a lâché mon père.

Et puis le silence. Je l'ai laissé entrer, avec sa sale gueule. Comme ça, pour voir ce qu'il adviendrait de nous. Un silence de poisse, de glu. Un silence de gêne, de honte, de rien à se dire. Un silence de bout de table, de fin du jour, un silence d'après nuit, un silence de regard baissé. Fadila m'a aidé. Assise sur le tapis, elle caressait sans un mot la joue de notre fils. Ma mère comptait ses doigts, posés en oiseaux morts sur son tablier 'a fleurs. Mon père avait les yeux mi-clos. Je les ai regardés, tous. C'est comme si l'un de nous venait d'avouer le pire. Comme si le sort cognait. Un drame muet s'abattait sur nous. Des images me hantaient. Un gendarme à la porte, qui annonce le décès du jeune fils. Un médecin à mallette, accablé de cancers. Nous étions là, sans regards et sans vie. À attendre la fin du monde, la vague géante, la comète qui fonce vers la Terre. Nous venions d'apprendre que le soleil ne serait plus jamais. C'était le dernier jour, avant la dernière nuit.

- On y va?

Fadila. Debout devant le couffin.

- Ça nous a fait bien plaisir de vous voir, a dit ma mère.

Mon père a ouvert les yeux.

- Tu y comprends quelque chose à l'euro ? Depuis six mois, il avait des pièces inconnues dans sa poche.

- Il faut multiplier par sept, j'ai dit.

Mon père a désigné la commode du doigt.

- Montre-lui ce que j'ai découvert.

Une pièce de deux euros était posée sur le bois. Elle venait d'Allemagne. Ma mère me l'a tendue. Mon père a ri.

- Tu vois ? Tu vois ça ?

J'ai regardé la pièce.

- De Gaulle et tous ces cons, ça a servi à quoi ? Je ne comprenais pas.

- Mais la guerre, bordel ! Toutes leurs conneries Ça a servi à quoi ?

Fadila s'était levée. Tranquille, impolie, hautaine, superbe. Elle avait soulevé le couffin. Elle s'est avancée vers ma mère. Trois baisers.

- Chez nous, c'est deux, a expliqué maman avant de se dégager.

Il n'y avait jamais eu de baisers chez nous.

- Ton père a découvert qu'il y avait un aigle sur l'euro.

Je l'ai regardée. Elle a eu un geste embarrassé.

- Un aigle, tu te rends compte ? a continué mon père.

Il a toussé.

- Toutes ces conneries de Résistance pour se retrouver avec un aigle nazi sur nos pièces françaises Fadila était dans le couloir.

- Si tu as un copain journaliste, donne-lui le scoop !

Mon père a levé la main.

- Mais sans raconter que c'est moi qui ai découvert le truc. Tu vois ce que je veux dire ? Silence radio.

Secret secret. Tu lui dis de me laisser dans l'ombre. Je me suis levé à mon tour.

- Tu as vu Clément ? j'ai demandé.

Il m'a regardé sans comprendre. Son front de rides, ses yeux transparents.

- Émile te demande si tu as vu son fils. Mon père a haussé les épaules.

- Oui. Il était là, non ?

Son doigt vers le tapis, dessinant le couffin manquant.

Je l'ai embrassé. Sans savoir pourquoi, j'ai placé ma main derrière sa nuque, sur ses cheveux mouillés de sueur.

- Tu connais ton père, a dit ma mère.

Fadila lui a souri, comme un avocat encourage un condamné.

- Tout va bien se passer.

Clément dormait toujours. Il n'avait rien vu, rien entendu, ne saurait jamais rien d'eux. Quand la porte s'est refermée, j'ai pris les escaliers, seul. Cinq étages pas à pas pour retrouver de l'air.

- Plus jamais, a dit ma femme lorsque nous sommes sortis.

Comme moi, elle s'est retournée. Geste de la main, à la vieille dame penchée à sa fenêtre. Un dernier regard en cadeau d'adieu.

- Plus jamais, a-t-elle répété.

Nous avons longé la rivière, les grandes avenues du dimanche sans personne. Et puis elle m'a pris la main.

- Je ne veux plus jamais les voir, parce qu'ils te font encore du mal.

À la gare, j'ai acheté de l'eau. Nous avons repassé la rivière. Au loin, la petite église carrée de mon enfance, la colline, le ciel retourné en été. J'ai posé mon front contre la vitre. Clément dormait toujours. Fadila sommeillait.

Et alors j'ai pleuré.

CHALANDON_Profession du père_2015-couv.jpg

Profession du père

Sorj CHALANDON

Éditions Grasset

2015

 

 

23/01/2021

Les Beni-Douala le 7 octobre 1856 (Alphonse BERTHERAND)

Les Beni-Douala (Les "Beni-Douela" dans le texte)

Campagnes de Kabylie (Pages 182 à 184)

Alphonse Bertherand · 1862

 

(Division Renault) le 7 octobre 1856 :

Après deux heures consacrées au repos et au déjeuner, les troupes complètement ralliées, se remettent en marche à midi et s'élèvent insensiblement, par les contours interminables qui enlacent des mamelons successifs jusqu'à l'Arba des Beni-Douela. II est trois heures quand les premiers arrivés mettent sac à terre. Aucune cartouche n'a été brûlée de toute la journée. Mais, des pilons qui dominent le bivouac, il est aisé de reconnaître qu'une grande agitation règne dans la contrée où une marche rapide et inopinée vient de nous jeter, au milieu d'ennemis avec lesquels nous avons quelques revendications à régler. Des Kabyles armés courent inquiets d'un village à l'autre, tandis que les vieillards, les femmes et les enfants se sauvent à la hâte, en désordre, emportant au loin hardes et provisions ; des groupes d'hommes valides - du sein desquels s'échappent des cris, des vociférations et parfois des injures en langue française - semblent se concerter pour la défense ou l'agression. Les Beni-Douela passent pour compter parmi eux bon nombre d'anciens tirailleurs indigènes libérés ou fugitifs, et prétend-on aussi, plusieurs déserteurs français.

 

Les troupes massées et le camp assis, la colonne est bien tôt rejointe par la brigade du colonel Pellé, sortie le matin de Tizi-Ouzou. L'eau peu abondante est assez éloignée du camp, disposition qui n'échappe pas à l’attention de l'ennemi.

 

Dès sept heures du soir, les Beni-Douela, renforcés de quelques contingents des Raten, commencent leur feu sur les grand-gardes et le continuent jusqu'à minuit. Enhardis par le silence prescrit à nos vedettes, ils s'avancent jusqu'aux avant-postes, tuent 3 hommes et en blessent 5 : 2 du 75e régiment de ligne, 1 du 60e et 2 du 2e de Zouaves. Un retour offensif les rejette aussitôt dans les ravins où ils ont, à leur tour, 6 hommes tués et plusieurs blessés.

 

La conduite des Beni-Douela méritait une leçon sévère. Le 7 au matin, une colonne de cinq bataillons allégés de leurs sacs, commandée par le général De Ligny fut lancée contre le village de Taddert-Ouffella autour duquel s'étaient concentrés les rebelles. Ses abords obstrués par d'immenses abattis d'arbres, défendus au loin par des groupes bien fournis de tirailleurs, tout fesait croire à une résistance énergique. Mais ébranlés bientôt par les salves de notre artillerie de montagne, décontenancés surtout par un mouvement de quelques compagnies dirigées sur la droite pour tourner la défense, les Kabyles lâchent pied sans nous disputer davantage leurs maisons et leurs barricades. Maîtres de Taddert-Ouffella nos soldats poursuivent les fuyards avec vigueur, les chassent successivement de trois autres villages et les tiennent en respect pendant le temps nécessaire à d'autres troupes accourues du camp achever l'œuvre de châtiment.

 

Quand la destruction parut assez avancée, de nature à produire sur le pays une douloureuse mais salutaire impression, la retraite commença, offrant comme toujours, à un ennemi audacieux et irrité, le facile mais éphémère avantage du terrain, pour inquiéter notre arrière-garde. Efforts impuissants !

À deux heures, tout le monde rentrait à l'Arba.

 

BERTHERAND_Campagnes_1862_couv.jpgCampagnes de Kabylie.

Histoire médico-chirurgicale

des expéditions de 1854, 1856 et 1857.

Alphone BERTHERAND

Éditeur : Paris (France) : Baillière

Année de publication : 1862

27/12/2019

L'éveil de l'Horizon (Mokrane MAAMERI) Présentation

MAAMERI-Mokrane_Couv.jpg

 

Réfléchir en se divertissant.

C’est presque une loi du genre que les récits d’un recueil de nouvelles soient lus à la suite sans esprit de synthèse; il en va autrement pour celles-ci, car elles composent un univers qui exprime une unité de pensée et de vision. En effet, ce n’est pas toujours que les nouvelles soient vouées à la légèreté qui invite purement et simplement au divertissement, il arrive que certaines creusent en profondeur et convient à la fois à réfléchir et à se divertir, une chose n’excluant pas l’autre. C’est ainsi que se présentent les quatre récits concis du présent recueil qui sollicitent des lecteurs éventuels la même attention que le nouvelliste a mise à les écrire. Nous dirions même que la lecture requiert un pré-requis d’informations pour mieux comprendre les enjeux idéologiques de l’ordre nouveau qui s’annonce, car, fondamentalement, c’est de cela qu’il est question. Mine de rien, c’est donc un livre coup de poing qui entend donner un vigoureux coup de pied dans la fourmilière idéologico-sociale en proposant un renversement de la table des valeurs. Et rien de moins !

 

Un esthète engagé.

L’auteur a adopté la double bonne attitude d’un esthète engagé, qui devrait être celle de tout écrivain, consistant, d’un côté, à couler l’œuvre dans une forme belle qui excite le plaisir de la lecture; de l’autre à plonger ses antennes dans les choses pratiques ; cela en accord avec le romancier et essayiste Paul Nizan qui a prôné une philosophie pratique qui s’intéresse aux vrais problèmes des vrais gens. C’est la ligne de pensée qui sous-tend la démarche scripturaire de l’écrivain esthète qui, loin de se contenter de fuir dans les nuages pour y établir sa demeure, a de préférence choisi courageusement de se colleter aux vraies questions qui travaillent en profondeur la société algérienne en particulier et le monde arabe en général entravés dans des problématiques d’oppression des femmes et d’obscurantisme nourri par les religions et la tradition afin d’en proposer des solutions. Et c’est aussi l’idée-force qui forme la trame du recueil distillée en de multiples observations et propositions.

 

Lutte de l’Ancien et du Nouveau.

Il est généralement admis qu’un ordre nouveau ne peut s’implanter sans remettre en cause un ordre préexistant. C’est-à-dire se poser en s’opposant. L’œuvre ne fait que reprendre ce principe de base. Schématiquement, le travail du nouvelliste se résume en des situations polarisées : on y verrait, d’un côté la lutte de l’ancien temps qui résiste pour se maintenir, de l’autre la lente implantation de la modernité qui cherche à prendre place ; autrement dit, il s’agit bien des détenteurs des ombres du passé, qui remonte à la période coloniale, et ceux qui jouent le rôle ingrat de porteurs de lumière. Mais la modernité est portée à bout de bras par les femmes, phalange de la nouvelle armée pour la régénération d’anciennes sociétés encore sous l’emprise des vieux démons des forces obscures du passé.

 

La montée en force des femmes.

Il apparaît évident qu’il existe une ligne de partage hommes//femmes où le sexe faible semble jouer le rôle actif et gratifiant. On se demande si le nouvelliste n’a pas la volonté arrêtée d’inverser l’ordre séculaire des choses en mettant les filles d’Ève en première ligne. Une indication précise est donnée dans la première nouvelle où les protagonistes Isabelle et Thinhinan ont tout simplement rompu les liens d’infériorisation dévolus à leur sexe en proclamant ouvertement leur volonté de « proscrire une page de notre existence. Ne laissons pas le terrain aux hommes qui croient avoir le monopole de l’histoire. » (p. 9)

Le ton était donné, et les trois autres nouvelles ne feront que confirmer cette prise de pouvoir féminine qui annonce une nouvelle société en gestation dans laquelle la phallocratie n’aura plus la partie belle. Voilà donc un livre de combat qui vise à vilipender l’obscurantisme, l’ignorance, la superstition, le colonialisme et l’indigénat. C’est aussi un plaidoyer pacifiste pour contrer le thème récurrent de la guerre. Cas d’Arezki qui va à l’encontre de l’opinion générale « convaincu que seule la lutte armée pourrait changer la donne. » (p. 21)

L'éveil de l'horizon est un recueil de nouvelles que nous avons lu avec beaucoup de plaisir, que nous lirons encore volontiers à sa parution, tout en vous invitant à faire de même.

Guy CETOUTE





MAAMERI-Mokrane_Portrait.jpgL'éveil de l'Horizon

Mokrane MAAMERI

 

Éditeur : Belelan - Argenteuil (France)

Année de publication : 2014

ISBN/ISSN/EAN : 978-2-953753-81-3



12/09/2019

En attendant Ramadhan (Youcef MERAHI) Extrait

...

Ah, autre chose qui m'a fait marrer ; sérieusement, je me suis dilaté la rate. J'ai entendu notre Premier ministre demander l'exportation de l'huile d'olive «d'ici 2019». Zit zitoun, ya kho ! L'espace d'une seconde, j'ai vu notre Kabylie occuper les pipes et déverser de l'huile vers l'Europe, la Russie et, même, aux États-Unis. Soyons sérieux ! A peine si on arrive à subvenir aux besoins de la région en huile ; et voilà qu'on se met à rêver d'exporter notre huile. A moins que ce soit une boutade ! Si c'est cela, je l'accepte bien volontiers, d'autant que j'ai ri à satiété. Qu'on ne vienne pas me parler d'agriculture de montagne en Kabylie ! Un mouchoir de poche, pardi ! Qu'on ne vienne pas me parler de cerises en Kabylie ! Je n'en vois pas. J'ai cru comprendre qu'on allait organiser la fête des cerises. Avec quelles cerises ? Il n'y en a plus. Puis, ce n'est pas avec la pépinière de Tadmaït que nous développerons la région.

Par contre, il n'y a pas été question de tourisme, du tout. La Kabylie est une région touristique, par excellence. Comme l'est le Sud. Pourvu qu'on y mette les moyens. Il faut savoir vendre les atouts touristiques de notre pays. On ne le fait pas. Ou on ne le fait pas assez. Je me demande du reste à quoi peut bien servir un ministère du Tourisme, s'il ne ramène pas des touristes. D'ici et d'ailleurs. Deux pour cent du PIB : voilà ce que représente la part du tourisme dans notre pays. C'est dérisoire, au regard des potentialités touristiques. Rien qu'en Kabylie, on peut faire beaucoup, en ce sens. Mais il n'y a pas d'hôtels. Ni de gîtes. Ni d'office de tourisme. Ni de guides. Ni de balises. Exemple : allez voir le célèbre (!) village d'Aït-El-Kaïd. Une ruine repoussante, n'eût été la beauté captivante du coin. On me dit que ce village est classé au patrimoine national. Si c'est le cas, qu'a-t-on fait pour le réhabiliter ? Je tire chapeau aux quelques familles qui y vivent encore. Et ce n'est pas Omar et Samir, ces deux braves collégiens, qui m'ont tenu la main, dernièrement, quand j'ai revisité ce qui aurait pu être un pôle touristique d'excellence. Pensez-vous, il n'y a même pas de plaques indiquant la route. Heureusement que la population, là-bas, est hospitalière.

Je persiste à dire que la visite de notre Premier ministre n'a rien donné de nouveau. Aucun projet structurant ni aucune perspective. Sauf celle de l'exportation de l'huile. Elle est marrante, celle-là ! Il est venu. Puis, il est reparti. Zyarra maqboula, nchallah ! Je vois d'ici certains esprits, amateurs de mondanités officielles, me rétorquer : il a fleuri la tombe de Dda Lmulud ! Oui, j'applaudis le geste. Et alors ? Je me dois de dire que Mouloud Mammeri dort du «sommeil du juste» sur les hauteurs d'une «colline oubliée», tentant «la traversée», pour le Beau et l'Humanité. Quid de l'amazighité, Monsieur le Premier ministre ? ça y est ! Elle a été officialisée. On n'en parle plus. C'est ici qu'il aurait fallu que vous en parliez, le plus. Dans le détail. Sans langue de bois.

 

Publié dans Le Soir d'Algérie le 01 - 06 - 2016

https://www.djazairess.com/fr/lesoirdalgerie/197150

MERAHI_Algérie-Ctoyenneté_2018_couv.jpgYoucef MERAHI

Algérie Dire et pouvoir.

Éditions Tafat

2018

 

Extrait pages 71-73