Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/09/2012

Chronique québecquoise (Arthur BUIES)

Chronique québecquoise

30 août 1906

Faire une chronique québecquoise n’implique pas nécessairement qu’on soit à Québec. Pour le commun des lecteurs cette nécessité semble absolue ; mais le journaliste s’affranchit aisément du despotisme des titres, et son imagination doit être aussi libre que sa profession. Le chroniqueur surtout a un sublime dédain du convenu, ce tyran universel ; il dit ce qu’il veut quand il veut, comme il veut. Donc, je date aujourd’hui ma chronique québecquoise de Saint-Thomas, comté de Montmagny, à dix lieues de la capitale.

Puisque je ne suis pas à Québec, j’ai le droit d’avoir des idées à moi. Or, une de mes idées en ce moment, c’est que je voudrais bien être un habitant de Mycone, l’une des îles Cyclades, dans le Levant. Là, paraît-il, la nouvelle mariée, en arrivant à la demeure nuptiale, trouve au seuil de la porte un crible sur lequel elle doit marcher en entrant. Si le crible ne se brise pas sous ses pieds, le mari conserve des doutes sur la candeur de son épouse.

Ceci est logique ; on s’accorde à ne pas admettre la vertu chez la femme légère ; or, une femme légère courrait grand risque de ne pas défoncer le crible ; donc, la femme lourde offre toutes les garanties désirables. Une femme lourde, bien nourrie, bien épaisse, est donc le desideratum de tout épouseur tant soit peu soupçonneux.

Cela m’a donné à réfléchir, à moi qui suis célibataire, Dieu merci, et quelque peu incrédule, et j’ai résolu de ne plus voyager qu’avec une balance, en cas que la faiblesse commune à tant de mes semblables s’emparât aussi de moi.

Dire qu’il y a un moyen si simple d’être à jamais fixé sur son sort, et que si peu de gens l’emploient !...

Chaque pays cependant a ses moeurs ; il y en a, comme le Canada, où les femmes sont si vertueuses, si fidèles, qu’on peut les épouser sans les peser. À propos de moeurs, il y en a parfois de singulières. Ainsi, sur la côte du Zanguebar, en Afrique, le mari est tenu, le jour de ses noces, de se mettre un emplâtre de farine sur l’oeil gauche. Cela est bien inutile, puisque, lorsqu’on épouse, on est généralement aveugle. Mais pourquoi cet emplâtre sur l’oeil gauche plutôt que sur l’oeil droit, et pourquoi de la farine plutôt que de la sciure de bois ou du papier mâché ? Ô mystères profonds du coeur humain ! Soyez donc philosophe pour rester coi devant un emplâtre !...

Dans la Kabylie, toujours en Afrique, pays bien éloigné de nous heureusement, la jeune fille ne quitte le voile épais qui couvre son visage qu’après que les noces sont consommées. Le marié peut crier au voleur tant qu’il lui plaît, il est trop tard. Trop tard ! c’est le mot que Ledru-Rollin fit entendre d’une voix de stentor, à la tribune française, après la déchéance de Louis-Philippe, et lorsqu’il s’agissait de placer sur le trône son petit-fils, le comte de Paris. Vous saisissez l’analogie ?...

Du reste, dans les pays civilisés, dont le Canada constitue une infime molécule, si les jeunes filles ne gardent pas un voile sempiternel, elles ont en revanche de faux chignons, de fausses dents, de faux... Je ne m’arrêterais plus ; tout est fausseté, tout est mensonge, excepté les discours d’un conseiller législatif.

* * *

BUIES Arthur_Chroniques 1_1906_couv.jpgArthur BUIES

Chroniques 1

Humeurs et caprices

1906-08-30

 

 

Les commentaires sont fermés.