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14/03/2012

Nuit de noces (Abdelaziz YESSAD) 1

CHAPITRE XXII

 

Loundja avait assisté au départ de Smaïl dans une confusion de sentiments. Ils avaient été à l’école communale ensemble, elle avait été presque aussi bonne élève que lui, avait été reçue à son examen de sixième comme lui. Elle se sentait donc un peu jalouse, quoique résignée ; jamais l’espoir de sortir du village ne l’avait effleurée. Aller à l’école jusqu’à l’âge de douze ans était déjà un exploit, un défi aux usages : elle était une fille.

Il y avait dans le regard ardent de Loundja beaucoup d’admiration pour son cousin, il y avait un peu de peine car Smaïl était son compagnon de jeux et les jeux commençaient à devenir sérieux. Sa hardiesse à elle complétait la sagesse du garçon.

Quand elle l’eût suivi des yeux jusqu’au détour du sentier, lorsque Smaïl et son père, qui portait la valise, eurent disparu de sa vue, elle ne voulait pas retourner à la maison tout de suite, de peur qu’on ne remarquât les pleurs qu’elle avait peine à retenir.

*

***

Les restes de l’été montaient d’un matin d’automne qui s’installait discrètement. Le ciel était d’un bleu satiné, ourlé de gaze autour des sommets de la montagne. Il faisait frais encore, l’ombre était partout.

Quelque chose s’était déchiré, lentement déchiré en elle. C’était comme un réveil langoureux, une petite douleur, un pincement au cœur ; une sensation toute nouvelle encore, en tous cas. Elle n’avait jamais ressenti cela.

*

***

 

Chikh Lhoucine descendait à Tiliwa ; Loundja sentit le regard de l’homme posé, fixé sur elle, rivé. Il est vrai qu’elle devenait un bout de femme, sa peau blanche était une légende et les seins qui commençaient à pousser attiraient de plus en plus les regards ; elle s’en sentait parfois gênée. Quand elle sentit le regard et qu’elle leva les yeux sur lui, le Chikh prit cet air de pudeur fausse qui le caractérisait. Le mystère qui entourait les discussions qu’avaient les femmes sur ce personnage, discussions qui cessaient souvent à l’approche des hommes et des enfants, le respect grinçant, mêlé de crainte dans lequel elles semblaient le tenir poussaient Loundja à certaine curiosité craintive, à la peur. La vue de ce personnage contraignit la fille à rentrer.

 

Loundja pénétra dans la chambre de Zayna, la mère de Smaïl. Elle ne savait que dire devant le visage fermé de la mère éplorée ; elles se regardèrent, unies par la même douleur silencieuse, toutes deux gênées.

- Il est parti ! dit enfin Loundja, tout simplement, bêtement.

Zayna avait suivi son fils tout comme Loundja, de quelques pas hésitants d’abord puis d’un regard mouillé de ce petit palier rocheux d’où l’on dominait les lacets du sentier qui descendait à Tiliwa.

- Je ne sais pas comment il va s’en tirer…Et j’ai l’impression qu’il a oublié quelque chose, un papier, peut-être…

- Regarde bien, alors, je peux encore le rattraper.

- Est-ce que je sais, moi ? Il y a un tas de papiers ici !

Elle avait tiré d’une étagère, enveloppés dans une feuille de journal, quelques papiers dont Loundja s’empara. Elle commença à les parcourir, en trouva deux à en-tête du collège : « Ce sont des papiers de son école, il peut en avoir besoin…Je cours le lui remettre.

Sans attendre l’avis de Zayna, elle sortit en trombe, faillit buter sur le portail penché et dévala le sentier comme un cabri, sautant par-dessus les pierres, évitant avec une adresse coutumière, les roches lisses et glissantes. Elle rattrapa Smaïl et son père à quelques pas du café. Tout essoufflée, elle ne pouvait parler. Elle tendit les deux feuillets que Smaïl lui prit des mains et regarda : c’était la lettre par laquelle on lui annonçait son admission à l’internat et la liste du trousseau. Il savait que c’était des documents dont il n’avait pas besoin et les avait laissés de côté à la maison.

- Merci, dit-il ! J’ai failli les oublier !

- Si tu commences déjà à oublier… reprocha son père.

Smaïl était un jeune garçon qui n’aimait pas décevoir…Qu’eût donc ressenti Loundja si, après une course si frénétique, il lui avait dit de remporter les papiers ? Qu’il n’en avait point besoin ?

 

 

YESSAD_nuit de noces_couv.pngAbdelaziz YESSAD

 

Nuit de noces

 

CHAPITRE XXII

 

Entreprise nationale du livre

 

Alger 1986

 

 

 

 

Commentaires

ce que loundja et smail et leur semblables ont créé par leur esprit est plus vivant que la tradition et la matière.

Écrit par : lemassia | 16/03/2012

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