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14/06/2010

Poupée kabyle (Mlle Marie KOENIG) extrait

 

X. — … Pardonnez-moi, madame la poupée kabyle, mais il me semble que je ne vois guère de coutures dans votre habillement.

LA POUPÉE.— Chut, chut ! mais non, vous ne pouvez voir ce qui n’existe pas, mon costume ne comporte pas un seul point fait à l’aiguille. Point de coupe savante, point d’assemblage. 

X. — Vous m’étonnez ; quoi donc alors, comment tiennent vos draperies ?

LA POUPÉE (bas) — Avec des broches, des épingles et encore des épingles.

X. — Mais savez-vous que c’est ravissant ? 

LA POUPÉE.— Certainement, ravissant, artistique. Nous avons des étoffes très souples et nous les drapons sur nous, comme on les voit sur les statues antiques, ensuite nous les fixons avec des bijoux.

X. — C’est vrai, je vois sur votre épaule une bien curieuse épingle.

LA POUPÉE.— Voyez celle-ci et celle-là, et les bijoux qui ornent mes chevilles, mes bras, mes oreilles. 

X. — Mais dans l’école d’indigènes d’où vous venez, on ne coud donc pas ?

LA POUPÉE.— Pardonnez-moi, on suit les programmes, mais attendez que je vous dise ceci : l’école d’où je sors n’existe plus.

X. — Vraiment, mais alors qu’est devenue la digne institutrice qui vous a envoyée à Paris ?

LA POUPÉE.— Mlle Sahuc ? Elle dirige actuellement l’École normale des filles de Miliana.

X. — Très bien. Alors, il n’y a plus d’écoles indigènes pour les jeunes Kabyles ?

LA POUPÉE.— Si, il y en a trois, mais jugez un peu comme nous sommes délaissées; contre nos trois écoles de filles, il y en a 139 pour les garçons.

X. — C’est vraiment trop curieux. Qui a créé ces écoles ? 

LA POUPÉE.— Un monsieur, Jules Ferry, considéré en Kabylie comme un dieu.

X. — J’entends. Il est bon pour l’art qu’il y ait peu d’écoles et que vous puissiez longtemps encore conserver ce costume si pittoresque, si digne, si pudique ; sachant coudre vous voudriez vous aussi imiter la mode qui vous conviendrait peu. 

LA POUPÉE.— Non, mais la coulure nous serait d’une certaine ressource, ne fût-ce que pour faire ces jolies broderies où excellent les femmes arabes.

X. — Dites-moi : la femme kabyle est-elle plus indépendante que la femme arabe ?

LA POUPÉE.— Nenni. La puissance paternelle est absolue ; le père dit à sa fille : « J’ai décidé de te marier, nous avons fixé le prix », 200 francs à 1000 francs, selon la situation et la beauté de la personne. Ce qui fait dire chez nous, en riant, qu’un père mange sa fille quand il dépense ce prix après la noce. Une réunion de famille a lieu, un repas ; la fiancée n’a jamais vu son fiancé ; peut-être à la. fontaine, mais pourtant lorsque les femmes se rendent à la fontaine, il est défendu aux hommes de passer.

X. — Vous ne vous voilez pas le visage ? 

LA POUPÉE.—Non, le voile ne nous convient pas, le Kabyle a horreur du mensonge, de tout ce qui dissimule. 

X. — Etes-vous heureuses au foyer ?

LA POUPÉE.— Oui, si la femme mariée a des enfants ; mais si elle n’en a pas, si elle ne peut pas travailler, son mari souvent la renvoie.

X. — C’est affreux, cela !

LA POUPÉE. — Pourtant, on entoure les parents d’un très grand respect ; notre Coran dit cette belle pensée : « Un fils gagne le paradis aux pieds de sa mère ». Nous sommes hospitaliers entre nous et nous devons même traiter l’étranger comme un ami.

X. — Dites-moi. Retourneriez-vous avec plaisir dans votre patrie ?

LA POUPÉE, résignée. — Je suis très bien ici. Je fais aimer ma. Kabylie. On dit de moi : « Cette étrange poupée est charmante, elle a de la noblesse dans son attitude ». Je me grandis alors un peu, je regarde mes compagnes et je suis satisfaite.

 

 

Le Journal de la jeunesse_1904_p144-poupée kabyle.jpg

Poupée kabyle (illustration page 220)

 

 

KOENIG Marie_Musée de poupées_1909.jpgMlle Marie KOENIG.

Musée de poupées.

 

 

1909.

Pages 218 à 221

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