Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/09/2010

Le Milan kabyle infortuné (Abdelmadjid ADOUR)

 

Assalou*, la voie tracée

*Assalou : en kabyle, sentier extorqué difficilement à la neige lors des intempéries.

 

Il aime le peuple dont il est issu, malgré le fait qu'il soit né et qu'il ait grandi, en partie, loin de ce peuple et de la terre de ses parents. Les mauvais coups et toutes les péripéties sombres et condamnables de sa vie d'immigré ex-truand, il veut s'en éloigner définitivement, tourner la page en quelque sorte et retourner vivre parmi les siens, dorénavant dans un environnement sain qu'il se promet de créer lui-même. Il estime avoir chèrement payé ses fautes par de la détention et s'il a évité de justesse d'être à jamais expulsé de France, il souhaite quand-même la quitter et n'y revenir qu'à diverses occasions !

Bouid ou Milan* pour les intimes, est bien constitué morphologiquement, il a été gratifié d'un beau physique qui explique mal ce surnom bizarre de milan: ou gypaète charognard ! D'ailleurs, son pays qu'il aime tellement ne lui a pas souri tant que ça, il s'y sent comme une personne adoptive dans une grande famille ! Sa physionomie a été pour lui un handicap chez lui depuis son plus jeune âge. Depuis son retour en Algérie tout jeune qu'il était suite à la décision de son père de déménager de Marseille, sa ville natale, il s'est toujours retrouvé dans une atmosphère de curiosité au sein de son entourage. Pour d'aucuns il est sujet de jalousie : il n'avait qu'à naître comme tout le monde et avoir des traits communs à l'ensemble de ses congénères, alors, rien que pour cela il était objet d'animosité, de ressentiment et de rejet ! Du reste, il a plusieurs fois été corrigé par des garçons de son âge rien que pour casser lui cette « belle gueule » qu'il arbore !

Pour d'autres il est sujet d'exotisme, à contrario de la curiosité des gens du nord de découvrir les mœurs et les traits des habitants des pays du sud ! Il a enduré, par rapport à cela, de bien étranges et regrettables péripéties durant cette période d'enfance et d'adolescence qu'il a vécue avant de retourner à Marseille.

Vautour-Pyrenees_ph-Mariano.jpg

Cependant, maintenant qu'il est adulte en possession de toutes ses facultés de raisonnement, il pense que tout cela relève du passé et qu'il fallait, dorénavant, ne tenir compte que de la projection vers l'avenir !

Il a juré de tout faire désormais pour aider à sa manière son pays à pouvoir décoller économiquement ! Certes, il est loin de se mettre à la place de tout un État capable, par des plans et programmes minutieusement étudiés ainsi que des prévisions à court, moyen et long terme, de permettre le développement auquel aspire toute la Nation ! Mais, se dit-il, si chacun pouvait y mettre du sien dans son domaine propre, la conjugaison de plusieurs initiatives ne mènerait forcément qu'à l'issue souhaitée, c'est à dire la création de richesses !

Bouid, lénifié, assagi, est donc prêt à jouer au Messie, et le meilleur moyen de le faire, ce n'est guère qu'en se rendant sur place pour y apporter sa propre pierre à l'édifice. Depuis qu'il habite en France et surtout depuis sa nouvelle décision de rentrer en Algérie pour y être susceptible de servir, il se sent l'esprit de conquérant et de rédempteur vis à vis de son pays qu'il aime par-dessus tout. Ces derniers temps et chaque jour que Dieu fait, il ne rate pas l'occasion d'imaginer et de mettre à jour dans son esprit quelque ambitieux projet à réaliser ! Il doit bien exister un moyen de se rendre utile, là-bas, surtout qu'il en a largement les moyens : il a amassé un bon pécule en francs français qui ne demande qu'à être dépensé. Oui, il a à disposition une somme d'argent qui dort dans une banque parisienne au compte ouvert sous le nom d'une personne qui lui est très chère, sa femme Maryvonne. Avec cette somme d'argent, il pourra facilement acquérir une usine ! Bien sûr, l'argent qu'il a pu mettre de côté ne représente certes pas les économies qu'aurait pu faire un travailleur durant toute sa vie de prolétaire ! Loin de là !

L’histoire de son accumulation d'argent se synthétise en deux parties.

En premier lieu, en se rendant en France, dans les années quatre-vingt, Bouid (Gypaète) a déjà trouvé un compte bancaire bien plein, celui de son défunt père qui, lui, a plutôt trimé pour laisser à sa famille quelques conséquentes économies ainsi qu'un bel appartement donnant sur le boulevard National à Saint-Laurent du Var.

Mais le gros du paquet, il l'a acquis d’une bien autre manière, condamnable celle-là !

Le mal qui a atteint son père n'a donné à ce dernier aucune chance et l'a emporté au moment où il s'apprêtait à jouir dune retraite paisible et méritée. Le pauvre malheureux a trimé toute sa vie durant. Il avait commencé dès l’âge de douze ans à atteler seul charrue et bœufs pour labourer le champ familial, au bled, aidé un tant soi peu (c'est à dire seulement par des orientations verbales) par son père lui-même déjà maladif à cette époque là. Après cette période de travaux des champs et le décès de son père, il se retrouva tout naturellement en train d'emprunter chez un cousin quelques sous pour acheter un costume qu'il était bien obligé de mettre pour pouvoir émigrer en France, car à l'époque il suffisait d'acheter le billet du bateau, d'avoir une carte d’identité et de s'habiller correctement pour traverser la Méditerranée et rejoindre l'eldorado !

 

*Milan : oiseau rapace diurne prolifique en Kabylie.

 

ADOUR-Abddelmadjid_Le Milan kabyle infortuné_2006.jpgAbdelmadjid ADOUR

Le Milan kabyle infortuné

Éditions Publibook ; 2006

Les commentaires sont fermés.