21/01/2012
Hold-up à la Casbah (Tarik DJERROUD) 1
Décembre planta insolemment son décor depuis des jours. Insidieusement démangé, matins et soirs, Charles X était calfeutré dans sa résidence aux Tuileries, et c’était à partir de cette tour d’ivoire qu’il choisit de suivre les derniers rebondissements du conflit avec Alger.
Dans son fastueux cabinet, il avait improvisé une réunion mi-secrète, mi-solennelle. Le prince Jules de Polignac arriva en premier et attendait patiemment dans son coin, sans vouloir avancer un mot au risque de se montrer en retard d’une nouvelle et essuyer les défaveurs du Roi. Au bout d’un moment, le comte Louis de Bourmont et le baron d’Haussez arrivèrent haletants, les cheveux mouillés, s’excusant en toute hâte. Puis, ils se libérèrent de leurs manteaux et se mirent au chaud, en face du Roi, emmitouflés dans des tenues à la va comme je te pousse.
Sans tarder, Sa Majesté ouvrit la bouche :
- J’ai beaucoup médité sur une médiation sagace du Sultan de la Porte pour qu’il vienne faire pression sur son Dey et régent de sa suzeraine.
- Majesté ! Il n’y a rien à espérer de la Porte, dit le baron d’Haussez. Si le Dey se permet de braver la Couronne, il fera fichtrement fi des injonctions du Sultan. Cependant, pour poursuivre dans cette logique, je tiens à vous informer qu’il y a peu, notre consul à Alexandrie, Monsieur Drovetti, était reçu par le Pacha d’Égypte et ce dignitaire était prêt à s’interférer au profit de la France.
- Et comment ? sonda le Roi.
- Majesté ! Avant de vous dire comment, permettez-moi de vous annoncer contre quoi. En fait, le Pacha demande un prêt de vingt millions de francs qu’il tâchera à nous rendre dans dix ans…
- Ah ! fit le Roi… Hum, tout le monde cherche l’argent ! Et quoi d’autre ?
- Et encore, il demande un don de quelques vaisseaux de guerre.
- Et quoi encore ? intervint Polignac.
- C’est tout. Mais, je pense que cette interférence est une bassesse qui égratigne la dignité de la Couronne.
Instantanément, De Bourmont écarta les lèvres :
- Oui, cette proposition porte le sceau de l’insulte, Majesté !
- C’est bien le cas, Majesté, appuya le baron d’Haussez. Mehmet Ali cherche à s’enrichir sur notre dos au moment même où l’on cherche à s’enrichir sur les leurs. Ce dignitaire n’a ni les hommes, ni la discipline, ni le sens tactique de nos armées pour mener pareille expédition au succès.
De Bourmont abonda :
- Nos bataillons sont capables, nos épées chrétiennes seront plus tranchantes que les épées musulmanes ; à nous de nous faire justice !
Le Roi écoutait sans broncher. Un silence pesant s’empara de la réunion. Les regards étaient bas. Le temps semblait suspendu, l’impossibilité de deviner les pensées du Roi crevait les pensées des présents. Jetant finalement ses épaules en arrière, Charles X chercha en premier le regard de Polignac et grommela :
- Cessons de penser ou de négocier avec cet énergumène !
Charles X se leva ; ses doigts frétillants caressaient durement son front chaud, pour s’éloigner des présents, et d’une précautionneuse main, il tritura dans sa cheminée jusqu’à rallumer le feu de plus belle. Par-dessus la cheminée, la fenêtre donnait sur l’allée des marronniers ; son fils aîné et sa femme causaient à voix basse. Fichtrement désintéressé, sans tarder, il retrouva son siège, offrant un visage rougeoyant, serein, ferme, puis il déboutonna sa veste ou apparaissait un ventre replet, en jetant des regards vifs à la cantonade silencieuse.
- Je ne m’appelle pas Charles zéro, ni Charles Quint ! éructa-t-il. Et l’honneur de la Couronne ne restera pas impuni, entendez-vous ?
- Majesté, nous avons entre les mains une irremplaçable occasion de montrer à l’Europe la puissance de nos armées ! dit le Président du Conseil, Jules de Polignac.
- Oui, approuva le Roi. L’honneur est insulté et on n’a besoin de l’aval de personne pour nous venger. Avec le concours de la Providence, nous allons bientôt annihiler la piraterie et l’esclavage ; toute l’Europe en sera ravie !
Arborant une tête de chanoine, une gestuelle d’un prédicateur et la voix d’un gourou, le regard de Bourmont s’illumina :
- Hâtons-nous Majesté, hâtons-nous ! L’Angleterre a trop dominé l’Europe, a exagérément imposé ses lois. Ces pestes d’Anglais ont des trésors et des armées et une flotte redoutable, ils nous ont devancés au Nouveau Monde, au Canada. À nous d’aller en pionniers vers l’Afrique septentrionale, nous aïeux ont établi des comptoirs florissants depuis trois siècles. En plus, comme vous le savez, à Alger, il se trouve un trésor considérable, une terre fertile ; une porte nouvelle vers l’Afrique. Je viens d’avoir une évaluation de monsieur Brun d’Aubignosc qui estime ce trésor à 150 millions de francs, un trésor dont l’existence est aussi notoire qu’une banque de France, ou d’Angleterre, un montant qu’avait révélé aussi le feu consul Pierre Deval, il y a deux ans. Et dire que le consul américain Shaler l’estimait à plus de 300 millions de francs. Tant d’argent pourrait servir notre cause : la prospérité du Royaume ; vaincre le Dey est le subtil moyen d’amadouer les Chambres ! Majesté, hâtons-nous, c’est le moment ou jamais pour prendre la Casbah… en un petit mois !
…
Hold-up à la Casbah
Editions Belles Lettres
2012
07:25 | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook
Commentaires
Que pensez vous d'Assia Djebbar?
Écrit par : Annie Reynaud | 27/04/2014
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