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30/03/2012

Inch Allah, j’arrive (Farid BOUAROUR)

Extrait du chapitre 1

Une félicité

 

Juste un mois après l’Indépendance, un certain jour d’août 1962, un enfant voit le jour dans une modeste famille d’un village kabyle. C’est un garçon! Ses parents, fous de joie, le prénomment Moussa.

L’arrivée de cet enfant est comme un cadeau du ciel venu pour apaiser toutes les souffrances endurées pendant cette terrible guerre. Dans ce fils unique, ces paysans mettent tous leurs espoirs. Il n’aura pas, ils le souhaitent de tout leur coeur, à travailler dur comme eux, comme tant de Kabyles.

Eux survivent. Le père travaille la terre, cultive l’olivier et le figuier, l’orge et le blé dur -pas de machine-, il doit se contenter de ses mains et de rudimentaires outils. Il possède un petit élevage de chèvres. La mère, après avoir tondu les moutons, cardé la laine, fabrique des burnous et des tapis sur ses métiers à tisser. Elle fabrique aussi des poteries.

Pour récupérer l’argile nécessaire, elle doit se rendre à pied dans une carrière située à quelque trois ou quatre kilomètres de chez elle. À l’aide d’une pioche, elle détache les blocs de terre, les met dans une sorte de hotte qu’elle accroche ensuite sur son dos, puis noue le morceau de tissu qui la maintient. Les jarres, les tajines, les objets de décoration confectionnés par ses soins, sont cuits au feu de bois puis ornés de motifs géométriques traditionnels ou de dessins figuratifs avant d’être vernis. Les plats usuels comme ceux qui servent pour le couscous n’ont pas droit à ces décorations.

Le père et la mère travaillent dur. Ils survivent. Moussa, leur fils unique, lui, vivra.

 

Près de leur maison vit un couple qui a un fils du même âge que le leur, Saïd. La famille ne connaît pas de difficultés financières : le père envoie, de France où il travaille, une grande partie de son salaire. La mère reste au foyer et s’occupe des enfants.

Saïd protège Moussa qui, fils unique, n’a pas de grand frère pour le défendre. En fait, Moussa ne se sent pas réellement fils unique. Il a Saïd, avec lequel il partage tout, comme ces colis que son père expédie à chaque nouvel an. Ces simples cadeaux d’entreprise sont pour eux de véritables trésors. Lorsque le facteur apporte le fameux papier jaune, signe qu’un colis attend à la poste, c’est la fête.

Tous deux, accompagnés par la mère de Saïd, vont récupérer le paquet. Friandises, jouets, on partage le butin.

Moussa et son ami Saïd atteignent bientôt leurs six ans : date fatidique, celle de l’entrée à l’école primaire -il n’existe pas encore d’école maternelle en Algérie-. Le village de ces deux jeunes garçons étant trop pauvre pour posséder sa propre école, ils doivent se rendre dans celle du village voisin, situé à quelque trois kilomètres. Avant leur départ, la mère de Moussa leur donne, suivant la tradition, de ces beignets censés les aider dans leur apprentissage: ces galettes ont une pâte dorée trouée, elles sont légères, faciles à digérer. Tout ce qu’ils vont apprendre devra rentrer dans leur cerveau aussi aisément que ces galettes seront avalées...

C’est le père de Moussa qui accompagne les enfants à l’école: une femme ne peut quitter le village sans la présence de son mari ou de sa belle-mère, et le père de Saïd est immigré en France.

Les enfants sont d’abord heureux, content de quitter le village, curieux de ce qu’ils vont découvrir. Le père de Moussa les laisse devant l’école : un ancien bâtiment de l’armée française.

Mais, dès son départ, Moussa et Saïd se mettent à pleurer. L’ennemi, ces Français dont leurs grands-mères leur ont tant parlé, ces hommes qui ont nourri ces atroces histoires de guerre, les voilà devant eux. Ce sont eux qui leur parlent, eux qui vont être leurs enseignants.

 

BOUAROUR-Farid_Inch-Allah_couv.jpgFarid BOUAROUR

Inch Allah, j’arrive

 

Éditions IMAGO 2006

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