05/11/2011
De Tagmount-Azouz à Taourirt-Abdallah (E. LAYER) 1
TAGMOUNT-AZOUZ* (BENI-AÏSSI)
TAOURIRT-ABDALLAH* (BENI-OUADHIA)
En fort modeste équipage, avec une mule pour monture, un jeune polisson pour guide, un touriste gagnait les montagnes de Kabylie; il se rendait à Tagmount-Azouz et à Taourirt-Abdallah, deux des missions établies par les Pères Blancs aux Beni-Aïssi et aux Beni-Ouadhia sur les pitons de cette région convulsée.
…
Le départ eut lieu au petit matin, le ciel était semé de quelques nuages; brise et nuées s’unissaient pour prolonger la fraîcheur de la nuit. On cheminait à l’aise à l’abri d’un impalpable vélum s’amincissant peu à peu sous le rayonnement de la lumière grandissante.
Tout était joie pour l’oeil alors que quittant la plaine on s’engageait sous le couvert d’une jolie route bordée de grands figuiers. À droite, le contour d’un contrefort couvert de champs d’orge ; à gauche, au fond d’un abrupt ravin, un mince oued dont le filet d’eau, se glissant parmi les rocs, tombait par instants en cascades. Troncs, ramures, sombres feuillages encadraient à merveille çà et là des aperçus sur la plaine et sur les montagnes dont la lointaine silhouette se perdait à l’horizon en bleuâtres vapeurs.
À l’un des tournants, la gorge devenue plus étroite paraissait, comme prise de coquetterie, réclamer pour elle seule, pour son austère beauté, une exclusive admiration. Le gazouillis du ruisselet, coulant à ses pieds, ajoutait au charme discret du jour voilé d’ombre, celui d’un murmure très doux.
De loin en loin un indigène drapé noblement dans l’antique burnous, des femmes, des enfants, les plus petits ballotés sur les reins de la mère où d’une soeur, venaient animer la route. Puis ce fut la rencontre d’un groupe de femmes kabyles remplissant des amphores de rouge poterie, dans une vasque ménagée parmi les grès, par l’écoulement séculaire des eaux. Les vases pleins, on s’aidait à charger en arrière le lourd fardeau retenu sans coquetterie, mais non sans grâce, par le bras replié sur l’épaule.
Mais le spectacle fut divers; au faîte de la montée, le rideau d’arbres disparu, on cheminait sur le contour d’un cirque tel que la nature en sait tracer; une arène où des milliers d’hommes pourraient évoluer sous les regards d’une foule telle que l’on n’en saurait réunir. En arrière, c’était des crêtes en hémicycle dont l’onduleuse silhouette se relevait en pitons couverts de grands villages.
En gravissant la route tracée en gradins sur le revers de l’enceinte qu’il fallait franchir, on voyait soudain, avant d’arriver au faîte, se profiler à l’horizon la chaîne dénudée et grisâtre du Djurjura. À l’heure de midi, sur les sommets de l’âpre montagne, étincelaient les neiges, impressionnante parure, dont les rayons sans ménagement du soleil d’été, dépouillent brutalement les cimes chaque année.
À quelque distance, on quittait le chemin pour suivre une sente conduisant à la mission de Tagmount-Azouz, située à l’extrémité d’un vallon, à la suite et au-dessous d’un village indigène, sur la partie extrême d’une crête. On apercevait à distance la construction assez vaste pour satisfaire à toutes les nécessités de l’oeuvre ; c’était un grand bâtiment composé d’un sous-sol et d’un étage ; au centre, un modeste clocher signalait la chapelle.
À Tagmount, comme clans les autres stations, les ressources fournies par la charité ont été scrupuleusement ménagées pour le plus grand profit des âmes. Le visiteur retrouva parmi les Missionnaires et devait rencontrer le lendemain, à Taourirt-Abdallah, aux Ouadhias, chez leurs confrères, un accueil pareil à celui dont le souvenir l’avait ramené en Kabylie.
Dans l’une et l’autre station, les remarques faites furent semblables; elles se complétèrent seulement, encore furent-elles insuffisantes, car chez les Pères Blancs l’esprit de renoncement, l’humilité, laisseraient ignorer des mérites dont l’évidente sympathie des populations donne la claire intuition. Que l’on parcoure avec un religieux le proche village, on le voit accueillir le sourire aux lèvres, et les enfants, les tout petits aux bras de leurs mères, tendre tout réjouis la main pour recevoir le bonbon accoutumé. C’est l’addition aux services rendus à l’enfant à tous les âges, par l’école, par le dispensaire, de douceurs appréciées par de pauvres gens chez lesquels on ne connaît pas le superflu.
Les susceptibilités jalouses n’existent pas à l’endroit des Pères Blancs qui savent d’ailleurs, par leur discrétion, ne les mettre jamais en éveil. On apprend beaucoup en visitant un village en compagnie de ces missionnaires qui aiment à faire connaître les conditions de vie très rudes des populations kabyles, à les montrer dignes d’intérêt par leur laborieuse énergie, leur intelligence et certains traits de caractère. C’est ainsi que, prenant soin de mettre en lumière les mérites de ceux qu’il évangélise, un Père faisait remarquer à son hôte deux jeunes enfants qui passaient près d’eux à la tombée du jour : Ce sont, dit-il, des enfants de pauvres ou de veuves, ils vont aller dans chaque maison, et partout on prélèvera pour leur famille deux cuillerées de couscouss ; au retour, la gamelle sera pleine. Comme conclusion, le missionnaire ajoutait : « En Kabylie personne ne meurt de faim ».
Qu’il s’agisse des misères morales des indigènes, les Pères sont très sobres de détails; c’est à d’autres sources qu’il faut puiser pour en mesurer l’étendue.
La Mission comprend un établissement des Soeurs Blanches établi sur une plate-forme formée par un arrêt de la déclivité du versant. Là, comme chez les Pères, tout est simple, avec la parure unique de la belle tenue, caractère propre de ces établissements congréganistes où l’on connaît et pratique l’art de bien faire avec de faibles ressources.
Le visiteur fut conduit tout d’abord dans une gracieuse chapelle, et, sous l’impression éprouvée, l’éclat de la lumière très pure inondant le sanctuaire lui paraissait exprimer par un reflet symbolique les sentiments inspirateurs d’âmes groupées, en pays infidèle, au nom du Christ libérateur.
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* TAGUEMOUNT-AZOUZ
* TAOURIT-ABDALLAH dans le texte
PAR MONTS ET PAR VAUX
Poésies populaires Kabyles
1913
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Commentaires
Excellent trouvaille Gérard. Ce qui m'amuse aussi c'est que le récit est d'un certain Ernest, un autre que moi et qui sait user de sa belle plume pour décrire si merveilleusement cette région avec des expressions et des mots évocateurs tirés de notre bonne vieille langue dont je ne sais point par carence tire profit pour mes propres oeuvres. Mais bon est-ce l'essentiel ?
Écrit par : ernest | 05/11/2011
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