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18/12/2011

La fille des hommes libres (Ahcène BELARBI)

 

Adieu Colombe !

 

Il ne neige plus.

C’est le soir, et le crépuscule étale déjà son voile sombre sur la nature soumise. Dans l’air plane on ne sait quoi de serein et de mélancolique à la fois, habillant d’un ton solennel la clarté diffuse du paysage argenté.  Sur l’éminence, hérissée de pierres tombales, deux silhouettes se découpent sur le ciel gris. Les deux hommes, debout et immobiles, ne paraissent nullement se soucier de la nuit tombante. Longtemps encore, ils demeurent ainsi, le plus âgé respectant la douleur du plus jeune venant se recueillir devant la tombe de celle qu’il aimait.  C’est seulement quand l’obscurité permet à peine de distinguer le chemin, que l’homme âgé rompt le silence quasi-religieux d’un ton paternel :

  • Mon fils, la vie n’a de sens que, parce que, un jour ou l’autre, nous finirons tous ici. Bon ou mauvais, le passé, on doit lui être fidèle sans le substituer au présent. Sinon, il tue l’avenir…

 

Le jeune homme, plongé, justement, dans le passé douloureux d’un bonheur anéanti, met quelques instants à en émerger. Puis répond d’une voix interrogatrice, à peine audible :

  • Mais, Da Ouamar, quel avenir y a-t-il pour quelqu’un qui a perdu sa raison de vivre ?
  • Non, Méziane, non ! Une raison de vivre ne peut mourir ; elle nourrit notre existence, elle est l’essence même de notre vie. Tu n’as perdu qu’un être cher, dont la disparition, tragique, est un sacrifice à honorer dignement et non une fatalité à laquelle il faut courber l’échine.

 

Surpris par ces propos inattendus, Méziane tourne lentement la tête vers son interlocuteur, avec un mouvement expressif ; maintenant il commence à comprendre pourquoi Da Ouamar tenait à le rencontrer là, au cimetière du village, où repose la jeune fille.

  • Tassadit, continue Da Ouamar, est une martyre de la démocratie. Autrement-dit, par son sacrifice, elle t’a légué, – elle nous a légué, dois-je dire –, la meilleure des raisons de vivre : continuer son combat, le combat pour la dignité et la liberté, qu’elle a irrigué de son sang. Car si l’arbre dela Libertéest planté depuis des siècles, on oublie souvent de l’arroser.

 

À ces mots, Méziane sent quelque chose se réveiller en lui. Quelque chose comme un sentiment de douleur et de fierté : désormais, il est convaincu que sa place est à Akouir, et que Paris n’était qu’un rêve, un rêve à oublier.  Malgré la nuit opaque, il tourne son regard en direction de la maison de celle qu’il aimait. Il ne distingue rien, mais il sait que le grand frêne est là, silencieux et plein de secrets, leurs secrets. Secrets qui, désormais, chuchoteront au creux de son vieux tronc, à chaque fois que le vent fera gémir ses branches, et la brise frémir ses feuilles. Oui, ce grand frêne raisonnera toujours de l’écho de leur amour.  La main paternelle de Da Ouamar se pose légèrement sur l’épaule de Méziane.

  • Il fait nuit, mon fils, il faut rentrer… Demain, il fera jour.

 

Le jeune homme scrute une dernière fois le monticule de terre qui recouvre à jamais Tassadit ; la tombe est à peine visible ; il a la sensation que sa Colombe le regarde aussi, de quelque part, attendant de lui un geste, une parole.  Alors, dans un dernier effort, il lui chuchote les mots qu’elle aimait tant : « Bonne nuit, Colombe ! » Puis, tout haut :

  • Oui, Da Ouamar, allons-nous-en ! Demain, il fera jour. 

 

Ils sortent du cimetière.

BELARBI-Ahcene_la-fille-des-hommes-libres_2003.jpgAhcène BELARBI

 

La fille des hommes libres

 

Éditions Publibook

 

2003

Commentaires

c'est génial !

Écrit par : fahem | 20/12/2011

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