10/01/2010
Mathias Sandorf (Jules VERNE)
…
Le principal bazar de Tétuan* est un ensemble de hangars, d’appentis, de bicoques, basses, étroites, sordides en de certains points, que desservent des allées humides. Quelques toiles, diversement colorées, tendues sur des cordes, le protègent contre les ardeurs du soleil. Partout, de sombres boutiques où se débitent des étoffes de soie brodées, des passementeries hautes en couleurs, des babouches, des aumônières, des burnous, des poteries, des bijoux, colliers, bracelets, bagues, toute une ferronnerie de cuivre, lustres, brûle-parfums, lanternes, – en un mot, ce qui se trouve couramment dans les magasins spéciaux des grandes villes de l’Europe.
Il y avait déjà foule. On profitait de la fraîcheur du matin. Mauresques, voilées jusqu’aux yeux, Juives, à visage découvert, Arabes, Kabyles, Marocains, allant et venant dans ce bazar, y coudoyaient un certain nombre d’étrangers. La présence de Luigi Ferrato et de Pointe Pescade ne devait pas autrement attirer l’attention.
Pendant une heure, à travers ce monde bigarré, tous deux cherchèrent s’ils rencontreraient Namir. Ce fut en vain. La Marocaine ne se montra point, Sarcany pas davantage.
Luigi voulut alors interroger quelques-uns de ces jeunes garçons, à demi nus, – produits hybrides de toutes les races africaines dont le mélange s’opère depuis le Rif jusqu’aux limites du Sahara, – qui grouillent dans les bazars marocains.
Les premiers auxquels il s’adressa ne purent répondre à ses demandes. Enfin l’un d’eux, un Kabyle d’une douzaine d’années, à figure de gamin de Paris, assura qu’il connaissait la demeure de la Marocaine, et il offrit, moyennant quelques menues pièces de monnaie, d’y conduire les deux Européens.
L’offre acceptée, tous trois s’engagèrent à travers les rues enchevêtrées qui rayonnent vers les fortifications de la ville. En dix minutes, ils eurent atteint un quartier presque désert, dont les maisons basses étaient clairsemées, sans une fenêtre à l’extérieur.
…
* Tétouan : ville du nord du Maroc, non loin de Ceuta.
Mathias Sandorf
extrait
1885
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