18/04/2008
L’âne d’or ou Les métamorphoses (Apulée)
Extrait de Psyché
…
II. Attirée par l'agrément de ces lieux, °Psyché s'est approchée ; elle s'enhardit à franchir le seuil et, séduite bientôt par l'intérêt d'un si beau spectacle, elle examine tout en détail. De l'autre côté du palais, elle aperçoit des magasins d'une architecture grandiose, où s'entassent des trésors royaux. Rien n'existe, qui ne se trouve pas là. Mais plus que ces immenses richesses, si étonnantes soient-elles, ce qui surtout tient du prodige, c'est que ni chaîne, ni fermeture, ni gardien ne défend ce trésor venu du monde entier. Psyché regarde tout, au comble du plaisir, quand vient à elle une voix dépouillée de son corps : "Pourquoi, ma dame", lui dit-elle" "pourquoi cette stupeur à la vue de tant d'opulence ? Tout ceci t'appartient. Entre donc dans la chambre, repose sur le lit tes membres fatigués et, quand il te plaira, commande un bain. Nous, dont tu entends la voix, nous sommes tes servantes, qui nous empresserons d'exécuter tes ordres, et le soin de ta personne achevé, un festin royal t'est destiné, qui ne se fera pas attendre."
III. °Psyché a reconnu dans cette félicité l'effet d'une providence divine. Docile aux avis de la voix incorporelle, elle dissipe sa fatigue par un somme suivi d'un bain ; puis soudain elle aperçoit près d'elle un lit surélevé en forme de demi-cercle : les apprêts d'un repas lui donnent à penser qu'il est mis là pour elle, afin qu'elle se restaure, et, de bon coeur, elle prend place. Aussitôt des vins semblables à du nectar et des plateaux chargés d'une abondance de mets variés sont placés devant elle, sans personne pour faire le service, et poussés seulement par un souffle. Elle ne distinguait cependant aucun être, elle ne faisait qu'entendre des paroles tombant de quelque part et n'avait que les voix pour servantes. Après un copieux festin, il entra quelqu'un qui chanta, sans se laisser voir ; un autre joua d'une cithare qui, de même que lui, resta invisible. Puis un morceau d'ensemble, exécuté par un grand nombre de voix, parvint à ses oreilles, en révélant, bien qu'aucun humain ne parût, la présence d'un choeur.
IV. Ces plaisirs terminés, °Psyché vit que le soir était venu, et s'alla coucher. La nuit était déjà avancée, quand un léger bruit vint frapper son oreille. Tremblante alors, si seule, pour sa virginité, elle a peur, elle frissonne, et plus qu'aucun malheur, elle redoute ce qu'elle ignore. Et voilà déjà près d'elle le mari inconnu : il est monté dans le lit, a fait de Psyché sa femme et, avant le lever du jour, est reparti en hâte. Aussitôt les voix, aux aguets près de la chambre, donnent leurs soins à la nouvelle épouse dont vient d'être immolée la virginité. Les choses allèrent ainsi pendant un certain temps. Comme l'a voulu la nature, à la nouveauté du plaisir l'habitude ajoutait pour °Psyché une douceur de plus, et le son de la voix mystérieuse consolait son abandon.
Cependant ses parents vieillissaient, consumés sans relâche par le deuil et l'affliction. Et le bruit de l'aventure s'étant répandu au loin, les soeurs aînées avaient tout appris. Sur-le-champ, dans la tristesse et la désolation, elles avaient abandonné leur foyer et, rivalisant d'empressement, s'étaient rendues auprès de leurs parents pour les voir, leur porter des paroles d'affection.
V. Cette nuit-là, le mari, s'adressant à sa °Psyché - car, à défaut des yeux, les mains pouvaient le toucher et les oreilles l'entendre le plus distinctement du monde - : "°Psyché", lui dit-il, "tendre et chère épouse, la Fortune, dans sa rigueur accrue, te menace d'un danger mortel : veille et tiens-toi soigneusement sur tes gardes, voilà mon avis. Tes soeurs, qui te croient morte, dans leur émoi cherchent ta trace et parviendront bientôt au rocher que tu sais. Si, par hasard, tu perçois, venant d'elles, quelques lamentations, ne réponds rien, ne regarde même pas dans leur direction, sous peine de causer à moi une grande douleur, à toi la pire des catastrophes".
°Psyché consent. Elle s'engage à faire la volonté de son mari. Mais quand, avec la nuit, celui-ci a disparu, tout le jour, la pauvrette le passe dans les larmes et dans les pleurs, répétant que c'est bien à cette heure que sa vie est finie, si, dans l'opulente prison qui la tient enfermée, elle est privée de tout commerce, de tout entretien avec les êtres humains ; si, quand ses propres soeurs s'affligent à son sujet, elle ne peut ni leur venir en aide, ni les réconforter, ni même d'aucune manière les voir; Et, sans prendre pour se refaire ni bain, ni nourriture, ni rien de ce qui rend des forces, c'est en pleurant abondamment qu'elle se retire pour dormir.
VI. L'instant d'après, un peu plus tôt que d'habitude, son mari se couche à ses côtés, la prend entre ses bras encore baignée de larmes, et la gronde en lui disant : "Est-ce là ce que tu me promettais, ma °Psyché ? Qu'attendre désormais de toi, moi ton mari, ou qu'espérer ? Durant le jour, durant la nuit, et jusque dans les bras de ton époux, tu ne cesses pas de te torturer. Va donc, fais ce que tu voudras, et contente pour ton malheur les exigences de ton coeur. Qu'il te souvienne toutefois de mes sérieux avertissements, lorsque, trop tard, viendra le repentir."
Alors, à force de prières et en menaçant de mourir, elle arrache à son mari la permission tant désirée de voir ses soeurs, d'apaiser leur deuil, de s'entretenir avec elles. Et non content de céder de la sorte aux instances de sa nouvelle épouse, il lui accorde, en outre, tout l'or, tous les colliers dont elle voudra leur faire cadeau. Mais il lui recommande avec insistance, et de manière à l'effrayer de ne chercher jamais, si ses soeurs lui en donnent le pernicieux conseil, à connaître la figure de son mari : curiosité sacrilège qui, du faîte du bonheur, la jetterait dans la perdition et la priverait pour toujours de ses embrassements. °Psyché rend grâces à son mari, et déjà plus joyeuse : "Ah !" dit-elle, "plutôt cent fois mourir que de ne plus goûter la douceur de notre union. Car je t'aime à la folie et je te chéris, qui que tu sois, à l'égal de ma vie : non, °Cupidon lui-même ne t'est pas comparable. Toutefois, à mes prières, je t'en supplie, accorde encore ceci : ordonne à Zéphyr, ton serviteur, de transporter mes soeurs par la même voie que moi et de me les amener ici." Et tout en le couvrant de baisers séducteurs, en l'enivrant de tendres paroles, en l'enlaçant irrésistiblement, elle ajoute à ses caresses des noms comme "mon chéri, mon mari, douce âme de ta Psyché". La force et le pouvoir des mots d'amour murmurés à voix basse triomphèrent du mari, qui, cédant à regret, promit tout ce qu'on voulut. Du reste, le jour approchait, et il s'évanouit d'entre les bras de sa femme.
Apulée
L’âne d’or ou Les métamorphoses
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Commentaires
Coucou, bonjour, comment ça va ? Merrrrrcii... j'adore ce livre, cette histoire, ce texte, en français, c'est plus simple. Je pense que je vais "le prendre en conte" : dur morceau : j'imbibe. Je n'aurai plus qu'à essorer pour l'offrir.
A bientôt
Écrit par : Lania | 25/04/2008
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