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22/01/2013

Prisonnier de Ben Salem (Fernand HUE) 1

 

 

CHAPITRE III : PRISONNIER

 

La nuit même de cette terrible journée, à quelques centaines de mètres des dernières maisons de Palestro, trois indigènes étaient réunis dans un gourbi, sorte de hutte faite de branchages et de terre battue; ils tenaient conseil.

C'était le caïd des Ammals, Ben-Salem et Bou-Chouga.

Ben-Salem, le confident, l'ami du vieux chef des Beni-Khalfoum, était resté pour remplacer Amin-el-Oumena dans le commandement de la tribu. Par-dessus son burnous blanc, Ben-Salem portait une chasuble enlevée dans le pillage du presbytère; c'était un homme jeune encore, au regard louche, à l'air faux et retors.

Bou-Chouga, qui avait sous ses ordres une bande d'insurgés, avait endossé une soutane du curé de Palestro, tué pendant le combat.

Quant au caïd, sa dignité ne lui permettait pas un semblable travestissement ; il était enveloppé dans son burnous et fumait silencieusement sa cigarette.

Dehors, la scène était hideuse.

Palestro, livré aux flammes après le pillage, brûlait, et le reflet de l'incendie éclairait les montagnes voisines ; autour du village, des bandes de Kabyles, parés pour la plupart des vêtements et des bijoux enlevés à leurs victimes, étaient couchés sur la terre et se reposaient des fatigues du jour.

Dans le gourbi, on tenait conseil

—        Les ordres de mon chef sont formels, disait Ben-Salem : rallier toutes les troupes et nous diriger sur l'Alma.

—        Mais, en chemin, nous rencontrerons la colonne Fourchault, objecta Bou-Chouga.

—        Nous la vaincrons, répondit le caïd.

—        Elle est forte, son chef est un vaillant soldat.

—        C'est écrit par Dieu  Mekhoub Allah ! reprit le caïd.

—        Soit, dit Bou-Chouga.

—        Demain, au jour, nous réunirons les anciens, puis nous partirons. Maintenant, Ben-Salem, dis-moi pourquoi tu as gardé ce fils de roumis*.

—        C'est l'ordre de Amin-el-Oumena ; il a emmené le père et la mère; il a voulu que le fils restât avec moi.

Le caïd se leva, les deux chefs l'imitèrent, et tous trois quittèrent le gourbi.

Dans un coin éloigné du camp, sur les bords de l'Isser, les Kabyles avaient installé un poste; sept ou huit hommes étaient accroupis autour d'un petit feu ; près d'eux, les pieds attachés par une corde d'alfa, les mains liées, un enfant était couché sur la terre nue ; il semblait dormir. C'était François.

Au moment du départ de la colonne des prisonniers, sous la conduite de Amin-el‑Oumena, celui-ci avait appelé son fidèle Ben-Salem et l'avait entretenu un instant à voix basse.

Le Kabyle, passant alors derrière les malheureux colons, avait profilé d'un moment de trouble occasionné par l'arrivée du caïd qui faisait disposer les prisonniers sur deux rangs, pour enlever François ; le mouvement avait été si rapide que personne ne s'en était aperçu.

L'enfant avait voulu crier, se débattre ; mais Ben-Salem lui avait appliqué la main sur la bouche, tandis que deux vigoureux montagnards l'emportaient loin de ses parents ; puis on l'avait lié et déposé où il était encore.

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Le premier moment de stupeur passé, François s'était mis à réfléchir sur sa position ; elle était loin d'être rassurante.

Son père et sa mère étaient, aux termes de la capitulation, dirigés sur Dellys, d'où on allait les embarquer pour la France ; lui, selon toute probabilité, serait conduit dans un village kabyle ; mais, dans quel but ? Alors François se rappela les paroles de Amin-el‑Oumena : « Je vengerai, sur son fils, la mort de mon fils. » Sans doute, le caïd, obligé de rendre les habitants de Palestro, garderait François pour assouvir sa vengeance.

L'enfant se sentit pris d'un découragement profond, d'un chagrin immense, à l'idée de ne plus revoir ses parents ; mais, bientôt, il se calma, son énergie lui revint, il examina froidement sa situation, et se dit que, après tout, sa position n'était pas désespérée.

— Amin est en route pour Dellys ; il ne peut être revenu avant six jours ; d'ici là, je trouverai bien moyen de m'échapper ; si j'y parviens, il est inutile que je cherche à rejoindre mes parents ; je gagnerai Alger, et de là, je me ferai diriger sur le pays de papa.

Mais s'évader n'était pas chose facile, car, sans doute, en chemin, les Kabyles veilleraient sur lui d'une façon toute spéciale.

Au milieu de ses réflexions, François s'endormit …

 

* Nom donné par les Arabes aux infidèles et, par conséquent, taux Français.

 

 

 

HUE_Morin_couv-Prix.jpgFernand HUE

 

Les Aventures de François Morin en Kabylie

 

Éditions Alcide Picard

Paris 1900

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