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08/10/2012

IHITOUSSEN, le village des forgerons (Hamou AMIROUCHE) 1

 

«There is no present or future, only the past happening over and over again»*

(Il n'y a ni présent ni avenir, il y a seulement le passé se reproduisant indéfiniment)

* Eugene O'Neill évoquant l'Irlande sous occupation anglaise.

 

Ahitous, mon père, tenait son surnom de son village Ihitoussen où il était né le 24 février 1904. Perché sur un piton d'argile et de rocaille, à l'instar de tous les villages kabyles, Ihitoussen dominait en contrebas les maigres parcelles de terre parsemées de figuiers et d'oliviers qui avaient cessé d'être nourriciers depuis bien longtemps. La quasi-indifférence dont ces terres ingrates étaient gratifiées, sauf en automne où les figues fraîches commençaient à mûrir, les ravalait automatiquement au niveau de la responsabilité des femmes. Celles-ci, véritables bêtes de somme, souvent s'occupaient de jardinage, près des sources, d'un peu d'agriculture de subsistance, toujours de l'orge plus frugale que le blé, de la corvée de bois et d'eau quasi-quotidienne. On apercevait parfois leurs silhouettes au loin, en pantalon bouffant, moissonnant et même menant d'une main ferme le mulet ou l'âne — les bœufs étant rares dans ces contrées — sur l'aire de battage. En hiver elles faisaient la cueillette des olives, produisaient une ou deux jarres d'huile qui devaient impérativement tenir jusqu'à la récolte suivante. Le tissage de burnous, de couvertures et de l'inévitable tapis artistique (akhellal) que les filles emportent avec elle au moment de leur mariage servait de «loisirs» durant les rudes hivers, presque toujours enneigés d'Ihitoussen, et complétait l'autarcie des familles. Je garde encore le souvenir vivace et ému d'une tante aux yeux d'un vert extraordinaire, veuve, célèbre au village d'Es'Sahel au bord de l'Oued Sebaou pour les melons, pastèques et légumes qu'elle produisait et acheminait elle-même sur le marché hebdomadaire de Tslatha à Aït Ikhlef.

Ahitous, mon père, était le quatrième fils d'une famille de quatre garçons et une fille. Cette dernière, comme vexée par l'indifférence affective mêlée d'hostilité qui l'accueillit à sa naissance, malgré son nom, Aziza, (aimée) tombait souvent malade et, chose étrange qui avait frappé l'imagination des parents, quelques jours avant sa mort, elle s'était mise à fredonner sans cesse le chant funèbre traditionnel malgré les exhortations sévères de ma grand-mère très superstitieuse, qui y voyait un mauvais présage.

Aziza ne tarda pas à s'éteindre à l'âge de cinq ans, victime d'une terrible épidémie de typhus. Elle fut ensevelie discrètement dans une fosse minuscule, creusée par mon grand-père lui-même, au cimetière Ebbwanar sur une crête qui domine la vallée du Haut Sébaou et qui offre, lorsqu'on n'est pas affamé, l'un des plus beaux paysages offerts par la nature.

Aziza n'eut pas droit à la litanie mortuaire rituelle ni au cortège funèbre réservés aux adultes, et seul, le chant des cigales dans la canicule inhabituelle au pied du Djurdjura l'accompagna dans son sommeil éternel. De l'au-delà, elle dut être bien surprise, cependant, par les larmes de mon grand-père qui perlèrent brièvement sur un visage impassible, selon ma grand'mère, alors qu'il la portait lui-même, enveloppée dans un minuscule linceul de drap blanc, à sa dernière demeure. La sélection naturelle, bien qu'un peu assistée, respectait les coutumes en choisissant d'emporter une fille qui, de surcroît était «tsavarkant»  brune.

Souvent, d'ailleurs, survivance d'une pratique païenne, pour influer sur les décisions divines, on mettait des boucles d'oreilles aux garçons, pensant que Dieu, les prenant pour des filles allait dédaigner de les rappeler à Lui. Les quatre garçons survécurent grâce à une maigre pitance à base de glands séchés, moulus et mélangés à un peu d'orge, de figues sèches et d'huile d'olive, mais surtout grâce à la chèvre, souvent le plus important membre de la famille.

Mais comme il arrive à toute communauté humaine ou groupement animal, lorsque la subsistance menace de se tarir, on quitte le terroir où l'on a vu le jour. Le père Boudjemaâ, forgeron à l'instar de ses ancêtres depuis la nuit des temps, décida un jour de partir «a r waaraven», chez «les Arabes» comme on disait à l'époque, avec ses quatre fils. Ce qui précipita son départ fut la mobilisation forcée, introduite soudain par le colonisateur pour la guerre 14-18 et qui toucha son fils cadet Arezki, le premier insoumis de la région d'Aït Idjer. Il quitta les confins rocheux de sa Kabylie natale et se rendit, avec ses fils à pied, à mulet et en train à Saint-Arnaud (El Eulma) où il ouvrit un atelier de forge. À peine installé, en 1916, il apprit des paysans que des révoltes avaient éclaté partout dans les Aurès contre la mobilisation forcée des Chaouis, ce qui augmenta encore ses appréhensions pour son fils.

Il eut alors l'idée judicieuse de contacter lui-même les gendarmes de «Satarno» (Saint-Arnaud) et de se faire connaître : «Voilà, je suis forgeron, maréchal-ferrant et je suis installé à la sortie Est du village», annonça-t-il au chef de brigade. «Et alors ? D'abord, d'où es-tu et d'où viens-tu ?» «Je suis kabyle», chef. «Et qu'est-ce que tu veux ?» «Je sais que vous avez des chevaux. Amenez-les-moi quand vous voulez. Je leur forgerai de beaux fers tout neufs.»

 

Comme il ne faisait jamais payer les gendarmes pour ses services, et peut-être parce que son fils avait la peau bien claire et les yeux bleus, Arezki ne fut jamais interpellé ou questionné sur sa situation militaire. Hélas, très peu de temps après, mon grand-père contracta une grave maladie des yeux, probablement le trachome, et perdit la vue. Il fut raccompagné à Ihitoussen, cloîtré dans sa demeure nuit et jour, sauf le vendredi, où un membre de la famille l'accompagnait à la mosquée.

 

AMIROUCHE Hamou_Un an avec le Colonel Amirouche_2009_couv.jpgHamou AMIROUCHE

Un an avec le Colonel Amirouche

 

Casbah Éditions

2009, Alger

 

 

Chapitre 2

IHITOUSSEN, LE VILLAGE D'ORIGINE DES FORGERONS D'ALGÉRIE

 

Commentaires

L'histoire d'une communauté se trouve dans la mémoire de sa population : Pour la connaître, il suffit d'interroger les gens sages qui donnent encore un grand intérêt au patrimoine dont ils sont les meilleurs gardiens après l'avoir perpétué durant de longues générations. "Battre le fer" n'est pas le seul violent d’Ingres des Fils d'Ahitous durant leur vie. L'aura du savoir couvre toujours le ciel de la célèbre cité des forgerons. Le temps est venu de lever le voile qui cache les trésors et secrets d'antan.

Fort louable, notre objectif consiste donc à :
- Récupération des valeurs culturelles et artisanales constituant le patrimoine,
- Rassembler tous documents palpables et significatifs (Photos, écrits anciens, guerres... ),
- Présentation et connaissance de la Généalogie du village,
- Mémoriser les histoires et anecdotes populaires,
- Rendre hommage aux ancêtres et aux illustres citoyens.

NOTA :
Il paraît qu la famille de Belkacem Ahitous détient un manuscrit, bien précieux, laissé par cet éminent érudit. Si telle est la vérité, il est tant de divulguer son contenu afin de le mettre à la disposition des personnes avides de sciences. L'histoire préservée n'a d'intérêt que si elle est répandue pour l'approfondissement de la connaissance !

Adresse de contact : misouhitos@yahoo.fr

Pour toute contribution, merci.
Amicalement.

Écrit par : misouhitos | 25/10/2013

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