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03/02/2009

YOUSSEF-YOUSFINE (Jean DELHEURE)

 

Il advint que...

Dieu donne créance au bien, non au mal,

Le bien pour moi, le mal pour lui,

Ou bien il emporte le tout...

 

Il y avait une fois un roi qui n'arrivait pas à avoir d'autre enfant, jusqu'au jour où sa femme mit au monde une fille. Cette fille était chérie de son père. Il la prit et la plaça dans une chambre haute, seule. Or, quand la servante négresse lui apportait à manger, elle enlevait la croûte du pain, les noyaux des dattes, les os de la viande, et n'apportait à la fille du roi que de la nourriture de choix.

Un jour, la négresse distraite laisse le manger sans rien enlever ni au pain, ni aux dattes, ni à la viande. Quand elle eut apporté la nourriture à la fille du roi, celle-ci trouve un os à la viande, de la croûte au pain, des noyaux aux dattes. Elle se dit : « Tiens, les choses ont des noyaux, des os, de la croûte ! » Prenant l'os de la viande, elle se met à l'enfoncer dans le mur jusqu'à y faire un trou de par l'intérieur. A côté c'était une mosquée, et elle entendit les petits élèves coraniques qui disaient :

        Ô Dieu, fais que ma planchette soit comme celle de Youssef-Yousfine !

Elle se dit alors : « Comment ? Y aurait-il quelqu'un qui me surpasse ? » Elle en tombe malade. La voyant malade, son père fait venir pour elle des « tolba » (lettrés). A peine l'un d'eux l'a-t-il vue, qu'il dit au roi :

— Ta fille est malade du mal d'amour.

Quiconque avait le malheur de dire cela au roi avait la tête tranchée. Il ne resta à la fin qu'un seul lettré dans le pays. Le roi envoya quelqu'un le convoquer. Ce lettré avait sa femme en plein dans les douleurs de l'enfantement. Il était déjà sur le pas de sa porte pour sortir, quand on l'appelle

        Eh ! ta femme vient de mettre au monde une fille.

Il va voir sa fille et celle-ci lui parle :

        Prends garde : quand tu auras ouvert le livre, ne lis pas tout ; dis au roi : « Levez-vous, apportez tout comme pour une noce, préparez de la galette fine, du gros couscous et tout ce qu'on fait aux mariées. » Dis au roi qu'il fasse une gourde en or, une jatte en argent, un lit-cage en or avec des arceaux en argent. Dis-lui encore qu'ils posent tout cela, quand ils l'auront monté, dans une pièce à part et qu'ils laissent cette fille y pénétrer seule. Le père lui dit

        Bien.

Il part chez le roi. Ouvrant le livre, il récite tout jusqu'à l'endroit indiqué par sa fille. Le roi se lève et ordonne au crieur public :

            Proclame dans tous les lieux de réunion du pays que toutes les femmes de la ville viennent ici.

Le crieur public fait la proclamation. Toutes les femmes se rendent au palais royal. Les unes se mettent à confectionner du couscous, d'autres des galettes minces, d'autres des fèves, d'autres encore du gros couscous, enfin tout le nécessaire.

Le roi demande à un artisan travaillant l'or et l'argent

— Fais-moi une gourde en or et une jatte en argent, et aussi un lit-cage en or avec arceaux en argent.

Et il ajoute :

        Je les veux pour dans deux jours.

        Bien, lui répond l'artisan.

 

Une fois exécutées toutes ces choses, le roi les fait déposer dans un appartement où il laisse sa fille seule. Le roi et son fils se dissimulent derrière une grosse colonne. La fille se dirige vers tous ces objets, découvre le premier plat et y trouve de la galette grasse, elle s'écrie :

        Ô Dieu, si cette galette grasse que je trouve était pour ma bouche et pour celle de Youssef-Yousfine ! ô Ben Youssef-Yousfine ! ô Ben Youssef-Yousfine !

 

Laissant ce plat, elle va vers un autre et répète la même chose. Quand elle arrive à la gourde d'or et à la jatte d'argent, elle s'écrie :

        Ô Dieu, si cette gourde d'or et cette jatte d'argent pouvaient servir à nous faire boire moi et Youssef-Yousfine ! ô Ben Youssef-Yousfine ! ô Ben Youssef-Yousfine !

 

Elle s'approche du lit-cage et dit

        Ô Dieu, si ce lit d'or avec ses arceaux d'argent pouvait être pour que nous y couchions moi et Youssef-Yousfine

Son père se mit à dire :

        Par Dieu, je la tue ! Par Dieu, je la tue

        Du calme, lui dit son fils, ne la tue pas, je vais me rendre au pays de Youssef-Yousfine et je parviendrai jusqu'à lui.

 

Se levant, il se munit de vivres et d'eau et part pour ce pays accompagné de sa tante paternelle avec la fille de celle-ci et sa soeur à lui. Ils s'en vont et marchent longtemps. Quand la tante va pour coiffer la fille du roi et qu'elle arrive à la grosse touffe frontale, elle lui enfonce une grosse aiguille à matelas dans le crâne en proférant ces mots (en arabe)

        Deviens tourterelle, par l'opération de Dieu !

 

 

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Jean DELHEURE

 

Contes et légendes berbères de Ouargla

(recueillis entre 1941 et 1951)

 

La Boite à Documents

Paris, 1989

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

Version originale (transcription de Jean DELHEURE)

 

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