18/09/2010
Souvenirs de TAOURIRT-MIMOUN (Mohammed ARKOUN) 1
AVEC MOULOUD MAMMERI À TAOURIRT-MIMOUN
… Comme Mouloud (MAMMERI), je suis né et j'ai passé mon enfance et mon adolescence à Taourirt-Mimoun, l'un des sept villages qui forment le douar des Béni-Yenni en Kabylie. À ce titre, je puis évoquer quelques souvenirs de portée ethnographique, anthropologique et historique.
Mouloud appartenait à une famille aisée, de haute renommée, non seulement dans le village, mais dans l'ensemble du douar et même au-delà. Selon les divisions courantes dans les villages, les Mammeri faisaient partie de ceux d'en haut 'Ath-ufella ; leur maison toute blanche se voyait de tous les autres villages parce qu'elle se dressait au sommet de la colline à laquelle s'accrochaient l'ensemble des maisons de Taourirt-Mimoun, selon une hiérarchie descendante correspondant à l'histoire et au statut des familles. Les Ath-wârab (ma famille) faisaient partie de ceux d'en bas (Ath wadda) parce que vers la fin du XVIIIe début XIXe siècle, ils ont dû quitter la région de Constantine pour demander protection (lânaya) aux Béni-Yenni. La mémoire orale, dans ma famille, a conservé le souvenir précis d'un certain Larbi, qui, exerçant la vengeance selon les règles bien connues dans toute l'aire méditerranéenne, aurait tué sept personnes et, pour échapper au cycle des ripostes, se serait réfugié à Béni-Yenni. Ce qui est sûr, c'est que l'emplacement de notre maison tout en bas de la colline, traduit très exactement le statut de protégé qui est confirmé par l'ordre de préséance dans la prise de parole dans l'assemblée du village (îhâajmâyth), ordre qui était encore respecté au début des années 1950.
Dans les années 1945-1952, Mouloud était l'intellectuel brillant, élégant, admiré, écouté au village. Il avait eu le privilège d'étudier à Paris (licence de lettres classiques), de séjourner au Maroc auprès de son oncle Lwannâs, précepteur, puis chef de protocole du sultan Mohammed V. Les tout jeunes comme moi le suivaient du regard pour admirer sa chemise, son pantalon et son burnous en soie fine et dorée ; on l'écoutait avec ravissement lorsqu'il devisait ou plaisantait avec ses amis, le soir, au clair de lune, sur cette place nommée Thânsaouth dont il a évoqué la richesse poétique et la fonction socioculturelle dans la Colline Oubliée.
« Colline Oubliée », déjà en 1950. Pourtant, son père Salem maintenait vivante et vivace la vieille mémoire du village et de la Kabylie. Da Salem était L’Amîn du village : homme de confiance, dépositaire de la mémoire collective, protecteur intègre du code de l'honneur (annîf) qui assure la sécurité des personnes, des biens, des familles, des communautés parentales. Jusqu'en 1962, le douar n'a connu ni police, ni gendarme, ni justice de paix, ni percepteur. L'administration des communes dites mixtes était lointaine et ne s'intéressait guère aux villages enfouis dans la montagne. L'Amin puise sa légitimité dans la mémorisation parfaite des coutumes, des valeurs, des alliances, des contrats, de la geste fondatrice du groupe, des statuts des familles, du capital symbolique, du patrimoine littéraire, architectural, religieux... C'est de son père que Mouloud a reçu ce sens élevé d'une culture parfaitement intégrée et à grand pouvoir d'intégration, bien qu'elle fût et reste largement encore orale.
Produit lui-même de la culture française écrite, centralisatrice, urbaine, dominatrice, il ressentit très vite la nécessité de consigner par écrit les trésors qui ne vivaient déjà plus que grâce à de rares survivants ou résistants d'une culture orale menacée par l'oubli, la marginalisation, la disqualification, la désintégration. Moi-même, j'ai conservé de mes contacts avec les porteurs de la mémoire collective encore vivante (mes grands parents, mes oncles, mes tantes et d'autres personnes en dehors du cercle familial), l'idée indéracinable que la frontière entre l'écrit et l'oral est certes politique et idéologique ; mais elle a, bien sûr, des conséquences incalculables sur les rapports entre langue et pensée, donc sur l'exercice même de la raison, comme l'a bien montré J. Goody, dans Entre l’oralité et l’écriture.
L'Amîn ne se confond évidemment pas avec le caïd, fonction créée par l'administration coloniale. Les Mammeri avaient reçu des Français cette fonction ; mais Mouloud soulignait avec fierté que son père était Amîn, non Caïd ; son oncle avait même lavé en quelque sorte la famille de toute compromission avec le régime colonial puisqu'il servit un sultan musulman au prestige considérable pour la conscience musulmane maghrébine avant les indépendances. Mouloud recueillait ainsi le bénéfice de deux légitimités fondatrices : celle d'une mémoire authentique renvoyant aux origines les plus lointaines du peuple berbère s'étendant de l'Atlantique à Benghazi et de la côte méditerranéenne à la boucle du Niger. Ses séjours au Maroc et ses voyages au Sahara (Mozabites et Touaregs), lui avaient permis de vérifier la continuité linguistique et ethnoculturelle de ce vaste espace berbère (on dit désormais Amazigh) plus ou moins travaillé par la langue et la culture arabo-islamiques. Féru de culture gréco-latine et de littérature française, Mouloud n'insistait pas beaucoup, cependant, sur le versant islamique de sa famille. Il ignorait l'arabe autant qu'il savourait la poésie et la littérature kabyles. En tant qu'analyste critique, il a cependant commis l'erreur de forcer une littérature orale à entrer dans les cadres définis par la critique littéraire française de la première moitié du XXe siècle.
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Humanisme & Islam
Éditions Vrin ; 2005
Éditions Barzakh ; 2008
Combats et Propositions (APPENDICE)
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Commentaires
Bonjour
je suis moi-même née à taourirt-mimoun et Mouloud Mammeri était un cousin(mon nom de famille:ABERKANE).
Je l'ai trés bien connu et suis trés étonnée de lire" qu'il n'insistait pas sur le versant islamique de sa famille"...et pour cause,il n'était pas musulman....comme beaucoup de kabyles à l'époque.L'ignorez-vous?
J'ai eu une amie au lycée TAOUS ARKOUN(de la 1ère à la terminale math-élém),la connaissiez-vous?C'était ma meilleure amie à l'époque et chacune a fait sa vie de son côté.
Cordialement
Écrit par : pere fazia | 22/01/2011
merci beaucoup
Écrit par : amroun | 02/05/2012
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