31/12/2017
La Vierge noire (Ferdinand DUCHÊNE)
C'est Aït-Akli qui me conduit, ce matin, à Notre-Dame d'Afrique où va se célébrer une messe pour le Souvenir Français.
Il est de tradition à Alger que chacun des cultes de la Trinité africaine honore annuellement ceux de nos enfants communs qui sont tombés au loin pendant la grande guerre, et convie à cette cérémonie les fidèles des autres croyances.
Ainsi une fois par an, vers le printemps ou le commencement de l'été, les Chrétiens, les Juifs et les Musulmans se retrouvent, groupés sous la mémoire honorée des morts et tous dans la même atmosphère de pureté émue qui emplit les nefs, d'abord à la Cathédrale, ensuite à la Synagogue, enfin à la Mosquée de la Pêcherie.
Cette année, une réunion supplémentaire est inaugurée dans la Basilique qui domine Saint-Eugène du haut de son promontoire et regarde la Provence par-dessus la mer. Aït-Akli, le libéré fantaisiste, a estimé que, ni lui ni moi, nous ne pouvions nous dispenser de monter à Notre-Dame.
Au point terminus du tram, devant l'hôpital du Dey nous avons trouvé chacun une moitié de place dans un autobus, et « par le chemin tortu, poussiéreux, malaisé et de tous les côtés au soleil exposé, les 12-14 CV. ont tiré pour nous le coche. »
Je ne me suis pas préoccupé du couple Jacques-Germaine, assez algérois après ses trois mois de « Qu'est-ce que tu crois ? » et de « Hé alors ! » pour vaquer à des découvertes personnelles. Peut-être nous recevront-ils sur le parvis.
Aït-Akli me raconte son bouquin en cours d'écriture sur un poète kabyle qu'il appelle le Victor Hugo du Djurdjura.
La route, qui est fabriquée avec des morceaux de courbes dont elle réussit à faire des angles aigus, tantôt menace placidement de nous jeter à la mer, tantôt fonce en sérénité sur la montagne.
…
Le Père Dominique, qui apparaît sous la petite porte, m'envoie un bonjour, puis il vient à nous. Sous son accoutrement de moine saharien il évoque l'image longue et lente d'un caravanier. Dans l'échancrure pectorale du burnous, son chapelet, presque pareil à celui d'un patriarche musulman, descend en angle jusqu'au creux de l'estomac. Seule la croix prolongeant la pointe révèle que cet ensemble laineux, blanchâtre, barbu, un peu hirsute, renferme une foi catholique.
Il a entendu parler de Aït-Akli et lu des extraits de son Histoire des Berbères. Il a rencontré M. Cohen en visite à l'Archevêché pendant la maladie récente du prélat respecté de toutes les « bonnes volontés » des trois religions.
Nous sommes demeurés à proximité du porche. Devant nous s'ouvre le vaisseau blanc et or, un peu païen peut-être au goût de Ben-Malek, qui est là aussi, bien entendu. Je l’aperçois observant les murs carrelés d’hommages lapidaires. Dans son temple à lui rien ne doit subsister de notre monde autour du Fidèle tendu vers Allah. Ici le monde entier a voulu et veut, chaque jour encore, inscrire sur le marbre sa vénération constante, sa reconnaissance périodique pour la grâce ou la guérison obtenues. Et c'est en tous les dialectes méditerranéens, en arabe aussi, voire en hébreu, que la Vierge africaine est remerciée.
Car Notre-Dame d’Afrique appartient aux Africains des trois croyances. En elle les Chrétiens vénèrent la mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ. — Les Musulmans éclairés évoquent en sa présence la mère de Sidna Aïssa, et les Mauresques la considèrent comme une « maraboute ». — Enfin parmi les Juifs du tiers inférieur de l'échelle s'est propagée une légende faisant de cette « Sainte » une héroïne judéo-berbère honorée à l'égal de la Kahina.
Ainsi entre la Bible, l’Évangile et le Koran est né et se perpétue un culte naïf, spirituellement étriqué sans doute, ayant pourtant ce mérite humain d'unir les mentalités africaines, de les élever en commun vers quelque chose qu'elles puissent considérer comme un idéal.
Extraits de « Mouna, cachir et coucouss. »
Ferdinand DUCHÊNE
Éditions Albin Michel
Paris
1930
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