19/04/2011
Aïcha, Kabyle d’Alger (René JET)
Aïcha (1960)
Tôt ce matin-là, Mouloud accourut pour me demander, à l'abri des curieux, si je pouvais donner des cours de français à sa grande soeur Aïcha, le soir après l'école. Deux jours plus tard, le soleil était encore haut dans le ciel quand je frappai à la porte de la mechta des Serafi, perdue dans les dédales du bidonville, perché sur la colline qui dominait la vallée de Boudjarif. Je fus reçu à bras ouverts par toute la famille qui, visiblement, avait adopté les coutumes européennes sans toutefois être à l'aise dans la langue de Molière. C'étaient des Kabyles, ces Berbères des djebels repoussés par la guerre sur les hauteurs d'Alger. Très élégante, habillée à la française, Aïcha était une charmante jeune fille de 18 ans, au teint mat et aux cheveux de jais. Elle était belle. Après le rituel du thé à la menthe pris avec parents et fratrie, nous restâmes tous les deux dans la pièce qui faisait office de salle à manger. Aïcha était fille de salle à l'hôpital Maillot d'Alger et souhaitait se présenter à l'examen d'infirmière. Orthographe, analyse logique et mathématiques furent au programme de cette soirée très studieuse à laquelle Mouloud s'invitait de temps à autre de façon furtive et brève. Cette présence féminine aux parfums délicats ne fut pas sans me troubler. Dix-sept mois que je ne côtoyais que des hommes ! Les cours terminés et la famille à nouveau réunie, un délicieux dessert kabyle arrosé de limonade mit fin à cette soirée fort agréable. Aïcha n'eut pas besoin d'insister pour que j'accepte de revenir. Rendez-vous fut pris pour d'autres leçons. Mon émoi, mon euphorie furent vite refroidis quand je me trouvai dehors. Je n'avais pas vu le temps passer. Il faisait nuit très noire. Quelques lampes éclairaient les ruelles du labyrinthe. Pratiquement à chaque porte, un homme au regard hostile semblait m'attendre. Dans ma tête les images défilaient à cent à l'heure. Égorger, je vais me faire égorger ! A-t-on idée d'aller voir une jeune Algérienne à une heure aussi indue ! Ne serais-je pas tombé dans un traquenard? Je transpirais et vacillais dans cette foutue casbah dont je n'arrivais pas à apercevoir la sortie. Je bredouillais quelques "salamalecs" auxquels les hommes ne répondaient pas. Éperdu, je retrouvai enfin le sentier de la colline que je dévalai en zigzag et à toute vitesse, persuadé qu'on allait me flinguer dans le dos. Je ne fis part à personne de cette mésaventure. Mouloud, le lendemain, tout sourire, si fier que j'aie accepté son invitation, réitéra la requête d'Aïcha. « Dis-lui qu'elle vienne me voir à l'école, ce sera plus simple. » Déconfit, le pauvre Mouloud. Et moi donc. Adieu belle Aïcha !...
Tu seras maître d’école
Auto-Édition 2010
Pages 109-110
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