20/11/2012
Amirouche, une vie, deux morts (Saïd SADI)
Pages 157 à 159
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Si Abdallah eut une longue discussion avec Amirouche au cours de laquelle ils abordèrent plusieurs problèmes. Il était notamment question d’envisager la possibilité de déclencher des opérations militaires concertées entre les deux wilayate du Centre. Les actions menées par des unités qui deviendront les commandos Ali Khodja et activaient dans l’Algérois avaient rapidement capté l’attention d’Amirouche. Il souhaitait les voir conjuguer leurs efforts avec les groupes de choc qu’il avait organisés dans la vallée dela Soummam. Ladécision fut concrétisée lors d’une opération menée en janvier 1959 par les wilayate III et IV dans le massif de Sidi Ali Bounab à l’ouest dela Kabylie. Dansce combat, l’ALN perdit des hommes, mais, ce jour-là, l’armée française subit des pertes plus importantes. Parmi les victimes françaises figurait le fameux capitaine de parachutistes Grazziani. Avant le départ du capitaine Si Abdallah, le colonel Amirouche le questionna aussi sur la gestion politique de la capitale depuis le départ du CCE. Quant à Si Tayeb Djaghlouli, il revint vers l’est avec Amirouche quand il rebroussa chemin.
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Une fois de plus, les agents de liaisons avaient fait la démonstration de leur efficacité. Avant même que n’arrive de Tunis l’ordre écrit de sa nomination, Amirouche avait pu faire parvenir des informations au sud et à l’ouest pour fixer, dès sa première sortie, des rendez-vous à deux officiers étrangers à sa wilaya. On s’en souvient, Amirouche avait confié les liaisons, dès le début de la lutte, aux combattants les plus valides et les plus fiables. En même temps, il avait mis en place un réseau de transmission dont l’efficacité n’avait rien à envier aux systèmes postaux officiels. Des caches régulièrement changées servaient de dépôt de courrier. Un trou dans le tronc d’un arbre rongé par des parasites, la cave d’une maison bombardée, une tuile posée contre un pan de mur : tout abri pouvant protéger un document était repéré par le« facteur » qui procédait au ramassage et à la livraison du courrier à intervalles réguliers, sans nécessairement avoir à connaître ni même à rencontrer l’autre agent. Les soldats de l’ALN purent ainsi écrire, sous certaines conditions, à leurs familles et les instructions circulaient d’un bout à l’autre de la wilaya dans des délais relativement courts. C’est grâce à ce système de communication que les deux officiers ont pu être avertis en un minimum de temps de la date et du lieu où le commandant de la wilaya III pouvait les recevoir. Le retour vers l’est fut particulièrement pénible. D’une part, le rythme et la longueur des étapes avaient éreinté les marcheurs ; d’autre part, si le fait de passer par la forêt de Tala Guilef et le maquis de Kouiret, qui rasaient la crête de la montagne, offrait, du point de vue sécuritaire, un avantage appréciable, il les privait de nourriture car les lieux, évacués, étaient inhabités. « Nous fûmes réduits à disputer quelques grappes de raisins aux chacals », grimace aujourd’hui encore Slimane. Cette compétition fera dire à Hamou :
« Je m’attendais à tout en montant au maquis, mais de là à devoir négocier ma pitance avec les chacals…»
Amirouche voulut repasser par les Ouacifs où il avait commencé son maquis. Il y connaissait de bons militants qui sauraient lui donner les informations dont il avait besoin pour restructurer cette région aux traditions de lutte éprouvées. Le village de Tikichourt, où il avait fait halte avec ses hommes, était juste en face de Tassaft Ouguemmoun, son village natal. Il appela Slimane, qu’il avait privé d’une visite familiale au cours de laquelle il espérait secrètement passer une nuit avec sa jeune épouse, et lui dit :
«Tu vois, en face de nous il y a ma mère, et peut-être ma femme et mon fils*. J’aurais bien aimé les voir mais je me l’interdis, car l’intérêt du pays ne me le permet pas.»
Slimane Laïchour qui rapporte cet échange plus d’un demi-siècle après réprime un sanglot avant d’ajouter :
« Il avait ressenti ma douleur et mon dépit quand il m’avait interdit de monter chez moi. Il tenait à me le faire savoir. Je ne l’ai jamais vu demander quelque chose à quelqu’un qu’il nes’imposât pas à lui-même. Comment refuser quoi que ce soit à un telhomme ? Comment ne pas le vénérer ? Comment l’oublier ? »
Le colonel de la wilaya III fera venir quelques semaines plus tard aux Aït Ouabane son fils. Cette fois encore, c’est à Dda Belaïd que reviendra la mission de ramener le petit Nordine, âgé de 9 ans, auprès de son père. Ce sera la première et la dernière fois qu’ils se verront depuis qu’il avait pris le maquis. La deuxième rencontre aurait dû avoir lieu deux ans plus tard, en1959, quand Amirouche prit le départ pour Tunis, où il devait laisser son fils. Hébergé par une famille de patriotes habitant Tizi-Ouzou, les Aït Mouloud, Nordine ne pourra pas arriver à temps au maquis, son père ayant pris plus tôt que prévu la route pourla Tunisiequi lui fut fatale. Comme Amirouche ne parlait pas de lui-même, la plupart des combattants ignoraient qu’il avait un fils. Ses gardes du corps et ses deux plus proches collaborateurs furent surpris et heureux de découvrir ce jour-là que leur chef était aussi père. …
* La femme et le fils d’Amirouche étaient recueillis par son beau-père Dda Belaïd, qui habitait à Oued Fodda, à l’ouest du pays.
Amirouche, une vie, deux morts, un testament (Biographie)
Éditions L'Harmattan
Paris 2010
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