19/05/2010
Les voleurs de rêves (Bachir HADJADJ) 1
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1940 - Enfance dans une famille polygame.
J’ai grandi en même temps que quatre autres frères et deux sœurs, « demi » ou « entiers », avec une différence d’âge de cinq ans ( ? ) entre l’aîné et le dernier d’entre nous. Nous étions la tranche d’âge du milieu : les précédents avaient commencé à prendre leur envol et les petits derniers étaient encore dans les couches. Lorsqu’elles vaquaient aux travaux ménagers, chacune son tour, chacune son jour, nos deux mères devaient prendre en charge, pour les repas et les activités communes, l’ensemble des enfants. Nous ne formions donc pas deux familles distinctes vivant sous un même toit, mais plutôt une petite tribu dont la marmaille avait en commun le père, l’espace de vie et les jeux ... Les enfants sont de bons observateurs. D’instinct, nous savions ce qu’il était possible d’obtenir de notre propre mère ou de celle qui faisait à un instant donné office de maitresse de maison. Personne ne nous l’avait dit formellement, mais nous devions obéissance et respect aux deux, ce qui induisait que l’une comme l’autre avaient le droit de nous récompenser ou de nous punir lorsqu’elles le jugeaient utile ; en échange, elles se devaient d’être de la plus totale équité entre les enfants dont elles avaient la charge. La loi fondamentale d’une famille polygame repose sur ce principe infaillible de non-discrimination réciproque entre les enfants et les parents : sa violation conduit immanquablement au désordre et à la désobéissance ; de plus, elle est formellement condamnée par Dieu et la société.
Je ne me rappelle pas avoir souffert de discrimination en matière d’alimentation, d’habillement, de récompenses ou de punitions…. Mais il y a aussi le reste, c’est-à-dire tout ce qui fait le bonheur d’un enfant : un câlin, un sourire… que seule sa propre mère est capable de lui donner. Il est difficile à une mère de faire ce petit geste tendre, de donner cette petite douceur à son enfant lorsque ceux de l’autre mère la regardent, sans qu’ils se sentent exclus voire jaloux ! Je me demande aujourd’hui si M’ma et Fatima n’étaient pas tellement stressées par les effets de la polygamie qu’elles n’avaient pas la sérénité nécessaire pour exprimer à leurs enfants toute la tendresse qu’elles auraient souhaiter leur donner.
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1946. L’école primaire.
A l’école primaire « européenne » que je fréquentais, je retrouvais tous les matins avec un délicieux bonheur mes camarades de classe et les maîtres qui avaient la charge de nous instruire : M. Lebrun pour les grandes classes, Mme Lebrun pour les tout-petits et une très jeune institutrice, Mlle Josiane Faure, pour le cours élémentaire. M. Lebrun était originaire du Jura, un massif montagneux couvert de neige tout l’hiver, nous avait-il expliqué, de la région de Saint-Claude, pays de la bruyère et de la fabrication des pipes. A la simple évocation de ces mots, je revois aujourd’hui encore son visage avenant, sa haute silhouette serrée dans sa longue blouse grise ...
Fils et petit-fils d’instituteur, il nous parlait du difficile travail des ouvriers de France dans les mines et dans les usines, et pour illustrer ses propos, il avait accroché aux murs de la classe des photos de chauffeurs de locomotive, à la figure noire de charbon. Il nous apprenait à réaliser un petit élevage de vers à soie ; voir ces chenilles grandir, puis se mettre à tisser leur cocon pour s’y enfermer et en sortir sous forme de papillon, tout cela me fascinait ! Il nous faisait suivre la germination des haricots secs que nous avions plantés dans des bocaux. Et chanter l’ « Hymne à la joie » : « Oh ! quel magnifique rêve vient illuminer mes yeux !... », non sans avoir insisté sur la fraternité entre tous les hommes. Une ou deux fois par semaine, pendant le dernier quart d’heure de classe, il nous lisait, dans un grand livre, le merveilleux voyage de Nils Holgerson, de Selma Lagerlöf, que je prenais pour une Arabe avec un prénom pareil ! Et à califourchon sur le dos de la Grande Oie, je traversais les étendues neigeuses de la Suède ...
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Bachir HADJADJ
Les voleurs de rêves
Éditions Albin Michel
2007
07:27 | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook
Commentaires
serait-il possible d'écrire directement à M Hadjadj? merci.
Cordialement
Écrit par : FAMI | 01/12/2014
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