15/09/2010
Lucie ou Tharrha (DRAÏNA) extrait
Lucie représente la vue de son frère, le serment à la vierge prononcé par sa mère d’appeler l’enfant suivant du nom de la Sainte. Et le père de Lucie, venu de l’Ombre, trouve qu’elle a une tête pas plus grosse qu’une orange. Lucie est une fille. Ce n’est pas valorisant d’être une fille. Dans ce petit mot, simple comme bonjour, il y a comme un manque, comme un maillon oublié, comme quelque chose d’imparfait, d’incomplet. En outre Lucie est plus menue que les autres, ses frères et sa soeur, et surtout elle est la dernière. Ce mot pèse lourdement dans le psychisme enfantin lorsqu’il est prononcé par une mère, qui détient les clefs de la Vérité pour un être qui dépend totalement d’elle.
Elle est la dernière de la famille et porte sur ses épaules une pyramide de six personnes : sa grand-mère maternelle, Carmela, son père et sa mère, Vincent et Anne, ses deux frères, Pierre et Sauveur et sa soeur Marie. Elle est donc la septième. Curieusement ce chiffre sept la suit partout, et souvent lui est aussi néfaste que les sept plaies de l’Egypte. Rien n’est plus simple au plus jeune que de se laisser commander, diriger, assister par les plus grands.
Peut-être parce que les parents disent aux aînés :
- Fais ceci car ta soeur ne peut pas le faire, vas s’il te plaît, Pierre !
- Habille-là, ma fille, ça ira plus vite.
- Tu veux bien donner à manger à Lucie, Marie ? Regarde, elle s’en met partout.
- Occupe-toi de ta soeur tu vois bien qu’elle est plus petite, voyons !
- Tiens-lui la main, elle va tomber.
- Prends son manteau, tu vois bien qu’elle ne peut pas l’attraper, c’est trop haut pour elle.
- Mets-lui ses chaussures, ça m’avancera.
- Tu ne veux pas la mettre sur le pot, je suis occupée.
- Coiffe-là au moins pendant que je me prépare… !!
Les mots s’enfilent aux mots, tous plus dévalorisants les uns que les autres parce qu’ils montrent en permanence au plus jeune, qu’il est le plus petit, qu’il ne peut pas agir, qu’il ne sait pas, qu’il ne comprend pas, qu’il ignore, qu’il lui est impossible, qu’il ne va pas assez vite. Il est le seul de la famille, le seul des sept à tout ignorer du sens des mots. Dans l’acquisition du langage, il répète un mot mal perçu, il le répète mal, le déforme et les autres le reprennent pour le lui faire redire correctement, quand ils ne se moquent pas de lui. Oh ! c’est sûr, ils ne se moquent pas méchamment, mais même avec indulgence, c’est tout aussi cruel car cela montre bien l’infériorité du plus jeune par rapport aux autres. Quand on agit méchamment il y a une part de méchanceté qui laisse présager à l’autre une certaine part de mensonge de l’acte méchant, l’acte méchant étant volontaire il n’est pas pris totalement comme réel, alors que l’indulgence renforce la véracité de ce qu’on vous reproche : l’ignorance, l’incapacité, la faiblesse. Et puis au-dessus du dernier de la fratrie il y a ceux qui savent, ceux qui agissent pour eux-mêmes, ceux qui oeuvrent pour le bien de la famille et ceux qui agissent pour vous. Seulement, ce sont toujours les mêmes, ce sont ceux qui commandent, mais vous, vous ne faites pas partie de ce groupe, vous êtes seule dans le vôtre. Et puis il y a aussi les ordres de ceux qui commandent :
- Tu enlèveras les serviettes, pendant que ta soeur ôtera les verres et les assiettes, parce que toi, tu risques de les casser.
Quelle humiliation de n’être capable que de plier et de ranger des serviettes. Quant aux frères, que font-ils ? Pour réussir dans les études n’ont-ils pas l’obligation de travailler à leurs devoirs scolaires ? Au début, il faut bien l’admettre, le rôle du plus jeune est facile, car on ne lui impose rien de difficile ou de fatigant. Il attend, passif, et il tire sa petite victoire devant les mécontentements de ceux qui ont la charge la plus pénible. Car, les frères et la soeur doivent bien rouspéter un peu devant la tâche à accomplir !
- Encore c’est moi qui fais la vaisselle, vivement qu’elle grandisse pour prendre la relève ! Mince consolation, car l’être humain est là, sur terre, pour agir.
Petit à petit, Lucie devient Tharrha.
L’ombre du père plane…
Elle doit se battre, se battre pour faire valoir son droit à agir ; se battre pour combler le vide du silence dans cette famille dont les membres ne communiquent pas entre eux ; se battre pour dépasser les autres, les premiers, les premiers en sagesse, les premiers à l’école, les premiers nés !!! Les plus forts sont masculins, Tharrha n’aime pas sa condition féminine, sa condition de deuxième plan. Elle n’admet pas son infériorité.
DRAÏNA
Pages 12 à 14
Publibook ; 2010
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