22/12/2010
Voyage en Kabylie de M. le Ministre de l’instruction publique (Eugène SCHEER) 1892
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Quelques heures après son arrivée à Tizi-Ouzou, M. le Ministre (Monsieur BOURGEOIS) s’est rendu à l’école de la localité. Cette école dirigée par M.Vuichard compte 3 classes. Sur 120 élèves inscrits, 112 étaient présents le 7 mai.
La continuation d’une leçon de lecture amène M le Ministre à constater que le livre que les enfants ont entre les mains (3ème livre encyclopédique par Georges et Trancet ( ?) ne convient pas pour de jeunes Musulmans ; beaucoup de mots ne peuvent être compris par eux : l’industrie de la pourtraiture, couleurs émaillées etc… Les enfants peuvent aussi y lire les récits de la Guerre de cent ans et voir les portraits de Bismark, Guillaume 1er, Frédéric. M. le Ministre demande à M. le Recteur de vouloir bien, avec le concours de quelques personnes compétentes, établir la liste des livres scolaires dont on devra faire usage dans les écoles indigènes de l’Algérie.
L’inspection continue. Les réponses sont satisfaisantes en calcul, un Kabyle trouve les surfaces d’un polygone décomposé en rectangle, triangle et trapèze. Dans la 2ème classe, les élèves forment des phrases dans lesquelles doivent entrer 2 mots donnés ; ces phrases sont ensuite écrites au tableau noir. M. Vigroux leur fait ensuite un exercice de langage sur l’hirondelle et le hérisson.
M Maroni fait une leçon analogue sur les vêtements.
La visite terminée, M. le Ministre accorde un jour de congé aux élèves qui ne manifestent nullement leur joie. M. Bourgeois, un peu étonné sans doute, demande à un jeune enfant de 7 à 8 ans de la 3ème classe :
« Es-tu content d’avoir congé demain ? »
« Non Monsieur ».
« Tu aimes mieux rester au village ou venir à l’école ? »
« J’aime mieux venir à l’école »
« Pourquoi ? »
« Parce que si je reste à la maison ma mère m’enverra chercher et porter du bois »
Après avoir parcouru les classes de l’école française des garçons, de l’école des filles et de l’école maternelle, M. le Ministre et les personnes de sa suite partent pour Fort-National. Les … (mot illisible) des tribus voisines et les cavaliers des Communes Mixtes de Fort-National et du Haut Sebaou font escorte. Nous voilà en pleine Kabylie. Les bords de l’oued Aïssi sont fertiles. On traverse d’excellentes terres de culture ; les figuiers et les frênes y poussent avec vigueur. Sur le sommet d’un pic on aperçoit Fort National, un immense nid d’aigle et dans le lointain les sommets grisâtres et les sommets neigeux du Djurdjura.
L’oued Aïssi est franchi et l’ascension commence. La route qui conduit de Tizi Ouzou à Fort-National ne mesure pas moins de 27 kms. Commencée le 2 juin 1857 par le service de l’armée, elle fut achevée le 27 du même mois. 10 000 hommes s’étaient mis à l’ouvrage. Au fur et à mesure que l’on s’élève, la vue s’étend et bientôt on distingue la belle vallée du Haut Sebaou. Les villages kabyles occupent les arêtes des montagnes ou les versants qui en accidentent les pentes. Il fallait se défendre contre l’ennemi et, la population étant très dense, économiser la terre végétale.
La traversée de la véritable forêt d’oliviers d’Adeni (?) émerveille toujours les voyageurs. La route serpente encore pendant quelques kilomètres. Voici Tamazirt la plus ancienne école indigène de la Kabylie. Elle a été ouverte le 4 octobre 1873. Elle compte 4 classes, 1 directeur, 1 adjointe française (la femme du directeur), 1 adjoint français, 1 moniteur. C’est une de nos bonnes écoles.
L’explication d’une leçon de lecture démontre que les enfants de la 1ère classe comprennent le français. Un problème un peu difficile est bien résolu par un écolier ; un autre trouve au tableau noir les cours du Rhône et ses affluents. Les cahiers sont d’une propreté remarquable. L’écriture est bonne, les devoirs bien choisis.
Avant de quitter Tamazirt, M. le Ministre fait rassembler tous les élèves dans la cour de l’école et en présence des personnes qui l’accompagnaient, de M. l’administrateur et de M. les chefs indigènes de la Commune, il a remis à M. Gonde (?) directeur d’école, la médaille d’Argent en félicitant ce maître du dévouement dont il faisait preuve dans l’accomplissement de sa tâche et des résultats qu’il avait obtenus.
Il est déjà 5 h 30. On n'arrive à Azouza (?) qu’une heure plus tard ; la nuit est presque arrivée. On ne peut aller inspecter l’école mais les élèves de l’école préparatoire, au bord de la route avec leur maître, saluent M. le Ministre, lequel descend de voiture pour s’entretenir avec eux. Ces petits écoliers ne sont pas timides et quand M. Bourgeois leur dit qu’il a été heureux de causer avec eux, un des plus grands répond « moi aussi, Monsieur, je suis content de vous avoir vu ».
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Eugène SCHEER
Voyage en Kabylie de M. le Ministre de l’Instruction Publique
1892
08:45 | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook
Commentaires
Je travaille actuellement sur Eugène Scheer. Par lui, je m'interesse à la Kabylie, à son histoire, à ses écrivains.
Une découverte!
Écrit par : MAUMET Robert | 03/05/2014
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