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08/03/2013

Algérie et Grande Kabylie, 1970-1971 (François VENOT)

 

L'Algérie fut mon « premier contact » à moi, hors de France et d'Europe. Les esprits chagrins pourraient arguer, que l'Algérie avait été française depuis 1830, mais en 1970 elle était indépendante depuis huit ans et malgré les traces indiscutables de 130 ans de présence française et non moins indiscutables de la guerre, le pays n'est pas, n’était pas la France : majoritairement musulman, bel et bien situé sur le continent africain, en prise directe sur l'immense Sahara au sud et avec le monde musulman, Maroc à l'ouest et Tunisie, Libye, Moyen-Orient à l’est.

Après un premier galop d'essai accompli par la route, en 2CV, en août 1970, qui me conduisit jusqu'à Tébessa et El Oued (à la frontière tunisienne), je suis reparti, avec femme et enfant, (Josette et Karine) pour accomplir mon service national au titre de la Coopération civile. Je fus affecté à la DAW (Direction agricole de la Wilaya de Tizi-Ouzou), préfecture de la Grande Kabylie, comme chargé d'une étude concernant le « développement rural » dans la zone de montagne. Les exploitations agricoles étaient petites et familiales ; on était loin des domaines autogérés issus du démembrement des grands domaines coloniaux.

La Grande Kabylie est en effet une Wilaya de montagne, dominée par le Massif du Djurdjura à plus de 2300 mètres d’altitude et tombant sur la Méditerranée dans sa partie nord, et sur les prémices du désert au sud.

J’y fus bloqué par la neige au mois d’avril 1971. Ce n’était pas grave pour moi mais je découvris en direct les conditions de vie d’hommes, de femmes et d’enfants pauvres. Ce fut mon premier contact avec ce "Tiers-Monde" qui avait beaucoup occupé ma vie étudiante. Je fus d’emblée frappé par le machisme imposé par l’Islam même si la société berbère est relativement libérale à l'égard des femmes. Les femmes kabyles ne portent pas le voile mais cela ne les dispense pas des corvées domestiques et des travaux agricoles, comme presque partout dans le monde. La neige de l'hiver 1971 vint souligner l'âpreté de la vie au village.

VENOT François_Femme+neige.jpg 

En Kabylie, j'étais apprenti dans tous les domaines : apprenti socio-économiste (ce pour quoi j'avais été recruté), apprenti voyageur (on ne sait pas d'emblée comment aborder des personnes dont on ne connaît ni la langue (bien qu'une majorité parlât le français*, la langue maternelle des Kabyles est le kabyle), ni la culture, ni 1a religion, ni les conditions de vie, ni le vécu. En 1970, la guerre d'indépendance était encore dans tous les esprits et avait laissé des cicatrices non complètement fermées dans presque toutes les familles et les villages. J'étais aussi apprenti photographe.


En Algérie, je fis un autre voyage à l’intérieur de la bureaucratie qui s’était installée au pouvoir après 1962. Les cadres qui n’avaient pu s'illustrer pendant la guerre, parce que trop jeunes ou planqués, usaient et abusaient et de leur pouvoir bureaucratique pour redorer leur blason. J'étais chargé d’étudier les effets de la politique d'assistance aux agriculteurs traditionnels de montagne ainsi que les freins à celle-ci qui procéderaient de la logique interne de la société paysanne. Mais je me rendis compte rapidement que la structure de l’Administration, son mode de fonctionnement incluant la corruption et les rivalités de pouvoir, étaient des freins aussi importants que la "mentalité" des paysans de montagne.

En fait, j'étais probablement trop jeune pour le réaliser sur le champ, mais l'étude que l'on me demandait était in fine à usage d'autoglorification de la nouvelle politique menée et pas du tout une étude prétendument objective qui pouvait mettre en évidence certaines failles du système. D'ailleurs, on ne me laissa pas conclure mon travail et je rentrais en France fin 1971, sans savoir si j'avais été un minimum utile à la cause du développement rural.


*Au moment de l'indépendance, en 1962, les nouvelles autorités tirent venir, en masse, des instituteurs égyptiens, chargés d'arabiser l'enseignement primaire. Malgré cela, l'ordre de connaissance des langues restait pour la majorité de Kabylie : 1 le kabyle. 2 le français. 3 l’arabe littéraire (égyptien).

 

VENOT_Voyages dans le vieux monde_2012_couv.gifFrançois VENOT

Voyages dans le vieux monde 1947-2010

Société des Écrivains, 2012