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30/06/2007

Premier voyage en Algérie (Mila YOUNES)

C'est à l'âge de douze ans que je m'étais rendue en Algérie pour la première fois. Mes parents m'avaient souvent parlé de leur pays, de leur souffrance due à la longue période de colonisation. Très jeune, ma mère avait perdu son père et travaillé pour les colons dans les champs. Tout ce qui avait trait à l'Algérie me semblait difficile, des épreuves qui n'en finissaient plus. Je n'avais jamais vu de photos du village, ni de mes grands-parents décédés. J'aurais tant aimé voir leur visage au lieu de celui que je m'étais inventé dans mon esprit. J'avais un besoin de sentir un lien avec ce passé si mystérieux. Quand mes parents me parlaient de mes grands-parents, ils étaient très tristes, mais en même temps, ils avaient cette résignation face au destin, ce fameux «mektoub» contre lequel on ne peut rien. Ils nous rappelaient qu'ils étaient venus s'installer en France, en grande partie pour nous, même si nous n'étions pas encore nés lorsqu'ils avaient quitté l'Algérie. Pourquoi étions-nous tenus responsables de l'absence et de la distance qui avaient séparé mes grands-parents de nos parents ?

Nous partîmes au mois de juillet de l'été 1965. Je craignais un peu ce voyage. J'allais finalement découvrir mon pays, mais il y avait au fond de moi de vieilles craintes d'enfant reliées à la condition des femmes dont j'avais été témoin à maintes reprises. L'aéroport d'Orly était bondé de travailleurs immigrés qui rentraient aussi au pays. Us avaient l'air aussi énervé que moi, mais pas pour les mêmes raisons.

Enfin, nous prîmes le couloir qui allait nous mener à l'avion. J'étais assise à côté de ma jeune soeur et nous nous tenions par la main; c'était notre premier voyage en avion. L'hôtesse annonça le départ. Par le hublot, je voyais la ville disparaître peu à peu. Finalement, nous arrivâmes au-dessus des nuages.

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Ma mère, ma fille, ma sœur.

 

 Mila YOUNES

 

Editeur : DAVID, Ottawa, France

 

Collection : Voix narratives et oniriques

     

24/06/2007

91 marches (Jean TENNIERE) : Lisea

 

Elle (Liséa) continua :

- Nous les Kabyles on n'est pas des arabes. Tu vois, je suis blonde et j'ai la peau blanche. Il y en a même qui ont des yeux bleus chez nous, mais on est Algériens. Mes enfants, ils aiment pas trop l'Algérie, ils disent que c'est un pays merdique mais c'est parce qu'ils connaissent pas. Tout le monde croit que c'est paumé là-bas, qu'on a rien, qu'y a que des intégristes, mais on a tout, c'est riche ! On a des plages privées avec des palmiers, des belles voitures, des hôtels de luxe, qu'est-ce que tu crois... J'ai fait construire là-bas. Bien sûr c'est paumé dans la montagne de grand-mère, mais c'est pas tout le pays. Tu verras si tu viens. Où j'ai fait construire c'est super moderne.

Elle se gratta la main gauche :

- C'est bon signe, c'est de l'argent qui rentre. Quand c'est la droite c'est mauvais signe, ça veut dire que tu vas perdre de l'argent mais là c'est la gauche... Tu veux pas me donner un peu plus ?

J'évitai de répondre et décidai de profiter de cette croyance dans les arts divinatoires et conjuratoires pour me faire mousser :

- Si tu veux, je te fais ton thème astral.

- Tu sais faire ça toi... Menteur ! répondit-elle, intéressée.

- Tu rigoles, évidemment je sais. Il me faut juste ton lieu de naissance et ta date de naissance à la minute près. Je t'ai déjà dit que tu n'en verrais pas deux comme moi.

- Te vante pas trop, j'ai encore rien vu. Tiens, je vais t'écrire la date sur un bout de papier pour que tu ne l'oublies pas.

Elle me tendit le bout de papier. Je fus stupéfait de constater qu'elle avait presque mon âge ! Dire que je lui avais donné à peine trente ans ! Elle avait trouvé que je faisais jeune mais c'était hallucinant comme le temps l'avait épargné !

Alors que je la complimentais en lui avouant combien elle m'avait surpris elle me répondit, dubitative :

- Merci Jean, c'est gentil, Jean ! Mais l'âge est là quand même et je le sens. On est tous les deux plus près de la fin que du début.

- Comment une aussi jolie femme peut-elle être aussi pessimiste... Je te répète que tu es jeune.

 

ca48749780535a233fc9b51728be061d.jpgJean Tennière

 

La Compagnie littéraire-Brédys

Levallois-Perret, France

 

14/06/2007

Le chien de Titanic (Ali MALEK)

 

Les brigades anti-émeutes tentent par moments de charger, mais elles y renoncent devant le trop grand nombre de lanceurs de pierre. Une barricade de pneus en feu sépare les belligérants. Le face-à-face se prolonge le temps de trouver un exutoire au volcan des insurgés : le siège des Recettes et Impôts. Le beau bâtiment, vestige colonial, subira plus de dégâts que n’en auraient causé deux voitures piégées contre lesquelles, au cours des dix dernières années, le gouvernement a pris des dispositions en érigeant des murs en béton armé autour de tous les édifices publics. En investissant le siège des Recettes et Impôts, les gueux déchaînés passent à deux doigts de la fortune : on met la main sur le coffre-fort. Hélas, impossible de l’ouvrir. On ne s’y attarde pas trop. On traîne la masse de fer dehors et on s’en sert pour renforcer la barricade. Après quoi, la foule se rue sur le palais de justice, lui aussi joli bâtiment et legs gaulois. On a trouvé la force d’enfoncer le portail d’acier. D’ailleurs, enfoncer est peu dire : il est littéralement déchiqueté comme s’il avait été mâché par des dents inhumaines avant d’être avalé par un estomac non moins monstrueux. Le premier qui réussit à forcer l’entrée du prétoire est un farceur ; il grimpe sur le siège du juge et proclame, en employant le jargon du magistrat, que la justice ordonne le saccage de son palais : jamais sentence n’a été si promptement exécutée. Bientôt, de la rue, on voit de jeunes têtes apparaître aux fenêtres de l’édifice et balancer en l’air des cartons de dossiers, dans un fracas de rires, comme des élèves, à la veille des vacances, déchirent leurs cahiers en signe de rébellion contre le despotisme des professeurs. Quand il n’y a plus rien à détruire aux deux premiers étages, on monte au troisième, résidence du procureur. Ce dernier, par chance, n’est pas chez lui. La porte défoncée, les assaillants exultent à la vue des beaux meubles à offrir aux flammes de la barricade sous les yeux de gendarmes impuissants. Une voix cependant, à l’ultime seconde, arrête les mains destructrices au cri de :

— Saliha ! Saliha !


Et aussitôt, une idée traverse la meute : donner à cette malheureuse les meubles de Monsieur le Procureur. C’est une petite jeune femme si rabougrie que même un berger ne songerait pas à abuser d’elle. Jour et nuit, elle est dans la rue, son domicile. Récemment, des bonnes âmes lui ont bâti une piécette où elle couche, sur des cartons. Saliha n’a aucun meuble et, pour en obtenir, elle a l’habitude de s’adresser à tous, voyant en chacun, y compris les enfants, l’autorité compétente pour satisfaire sa requête. Elle est en train de dormir, et quand elle ouvre sa porte aux émeutiers, chargés comme des mulets, elle verse des larmes de joie. Mais ils n’ont pas fini de déposer le luxueux butin que Saliha se ravise :

— Et si le procureur venait me les reprendre ?

— Ne t’inquiète pas, nous serons toujours là … Sais-tu que Scotto a été blessé ? Il est à l’hôpital.


Elle s’est amourachée de ce garçon un peu borgne, mais au teint clair et aux traits fins, qui lui apportait souvent à manger de chez lui. Saliha se met aussitôt en route pour l’hôpital, avec l’affolement d’une mère. Elle trouve la rue bouleversée comme jamais, et si bondée de monde qu’elle a du mal à se frayer un passage. De toutes parts, on lui adresse qui une salutation, qui une plaisanterie sur le butin qu’elle vient d’acquérir, qui une acclamation, comme si elle était le chef de l’insurrection. Quelqu’un, enfin, lui donne des nouvelles de Scotto. Il n’a pas été blessé par balle, mais a seulement eu la main brûlée par une bombe lacrymogène qu’il tentait de saisir au vol. Saliha n’est toutefois pas rassurée : elle ne comprend pas la différence. Pour elle, la blessure fait naître l’évocation du sang coulant à flots et de l’âme prête à quitter le corps. À l’hôpital, les infirmiers, la voyant arriver, retrouvent soudainement leur humour perdu. Ils ironisent sur la folle passion qui amène Saliha. « Bande d’imbéciles !, s’écrie-t-elle, c’est mon fils ! ».

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ALi MALEK

Le chien de Titanic

Editions BARZAKH

Alger 2006

05/06/2007

JE SUIS UN KABYLE D'ICI (Mo BOUTALEB)

Ô j'Aime ma Kabylie !  

 

« ô j'Aime ma Kabylie !

Je l'Aime plus que ma vie,

Mes racines et mon lit,

Où j'y dors quand je prie,

Je l'Aime, c'est important,

D'Aimer ce qu'on ressent,

Comme de croire à un Dieu,

De toute la force des yeux.

 

ô j'Aime ma Kabylie !

Je l'Aime malgré la pluie,

Qui s'abat chaque jour,

Sur l'âme de sa bravoure,

Une pluie rouge comme le sang,

Versé par de braves gens,

Venus dire leur Amour,

Au pays pour toujours. »

 

 

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Mô Boutaleb

  

Genre : Poésie

 

Editeur : Ed. du Cosmogone,

Lyon, France