23/07/2007
Je m’en vais partir (Ben Mohamed)
Je m’en vais changer de pays
À la recherche de lumière
Je m’en vais fuir la mort
En quête de temps nouveaux
J’irai plus loin que les nues
Où les femmes ont droit de rire
Je m’en vais vous laisser mon pays
Où désormais aimer est péché
Je m’en vais laisser le printemps
Où les fleurs sont atrophiées
Je m’en vais laisser le coutelas
Qui dans l’obscurité nous égorge
Je m’en vais vous laisser le pays
Qu’agite un vent de folie
Je m’en vais vous laisser l’oubli
Qui assoupit l’opinion
Je m’en vais laisser le domino
Le domino que dissimule le joueur
Je m’en vais vous laisser le pays
Qui exile ses propres enfants
Je m’en vais vous laisser la plaine
Qui dans mon coeur attise le feu
Je m’en vais vous laisser l’outre
Qui en nous amplifie les bruits
Je m’en vais vous laisser le pays
Qui écarte les savants
Je m’en vais vous laisser la vermine
Voici que lui poussent des cornes
Je m’en vais laisser la porte
Qui se claque au nez des gens
Je m’en vais vous laisser le pays
Qui ne moissonne ni ne trie le grain
Je m’en vais vous laisser le plat
Qui ne trouve pas de farine dans sa jarre
Je m’en vais vous laisser le vieux burnous
Sur l’épaule du pauvre hère
Je m’en vais vous laisser le pays
Le pays qui élève des crabes
Je m’en vais vous laisser le tourbillon
Qui rassemble les rancuniers
Je m’en vais vous laisser cette boule
Coincée derrière les gencives
Je m’en vais vous laisser le pays
Hanté par les moribonds
Je m’en vais vous laisser la galette
Dont ils se disputent l’héritage
Je m’en vais vous laisser la cruche
Qui lave les matières des panses
Je m’en vais vous laisser le pays
Qui du plat a fait une côte raide
Je m’en vais vous laisser le pays
Où les bouches sont décousues
Je vous ai laissé le pays
Où les frères sont des ennemis.
de Ben Mohamed (Hammadouche) (en 1944 ?)
Quelques-uns de ses poèmes ont paru notamment :
- en 1992 dans la revue de l'Université Paris 13 "ITINÉRAIRES et contacts des cultures" n°15/16, Ed. L'Harmattan, Paris (Numéro spécial "Littérature et oralité au Maghreb" contenant 8 textes de Ben).
- en 1993 dans l'"Anthologie de la poésie Kabyle" de Youcef Nacib, Ed. Andalouses, Alger."
Hamid Tibouchi
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17/07/2007
Identité par le Groupe DJURDJURA
Identité Version Live (Groupe Djurdjura)
Texte récité en langue française
(Laissez-moi vous raconter
Dans le froid du mois de Janvier
Quand elle a pris le bateau.
Un bateau, c'est toujours beau
Les souvenirs s'en vont au fil de l'eau.
À Marseille, débarquement
Elle a changé de vêtements,
Changé de langue, changé de lit.
« Bonjour la vie »
« Papiers, s’il vous plait, passeport,
Nationalité, carte d'identité »
IDENTITÉ
Silence
Les jours se sont enfuis
Fleuris par les sourires
Les arbres et les fruits.
C'est comme ça quand on est petit.
Et puis le printemps est parti
Et les illusions aussi !
IDENTITÉ
Silence
Une lumière, des larmes
Un cri de liberté, des années d'amertume
La guerre d'Algérie
IDENTITÉ
Elle avait les dents si blanches
Un sourire si frais
Qu'on aurait dit
Un poème sur la Paix
Mais la paix, elle connaît pas
Car sa vie est un combat.
IDENTITÉ
Profession du Père : Ouvrier
Fatigué, il parlait à sa manière
Un peu tendre, un peu aigri
Puis un jour, il est parti.
IDENTITÉ
La Mère : profession ? néant.
Elle s'occupait des enfants
Les aimait à sa manière
Un peu raison, un peu passion
Puis un jour, il a fallu couper le cordon.
IDENTITÉ
Elle avait l'air d'une Princesse
Pourtant, elle pleurait sans cesse
Le soir, après ses ménages
Elle rêvait de grands voyages.
IDENTITÉ
Elle était gaie en arrivant
C'est vrai elle avait dix ans.
Aujourd'hui, elle grandit
Pour être libre et fière.
Elle parle toujours le berbère
Elle lance des S.O.S.
Racisme, Justice, Détresse
Amour et Paix sur tous les continents.
S.O.S. répond absent.
Il n'y a pas d'abonné
Au numéro que vous avez demandé.
Il n'y a pas d'abonné
Au numéro que vous avez demandé.
Djouhra ABOUDA
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09/07/2007
HOMMAGE A FADHMA AITH MANSOUR A BAILLE
Ce Dimanche 8 juillet 2007, à la veille du 40ème anniversaire de sa mort en Bretagne et à l'initiative de la Coordination des Berbères de France.
Tout d'abord, des photos :
... et mon compte-rendu :
Baillé, petite commune (moins de 400 habitants) a connu ce dimanche une affluence exceptionnelle.
Les passagers des quatre bus affrétés par la Coordination des Berbères de France ont suivi les musiciens et se sont regroupés autour de la tombe de Faddhma Aïth Mansour AMROUCHE.
Après un rappel de sa vie, par le M. le Maire et quelques hommages, la CBF a déposé une gerbe et, quelques admirateurs, des fleurs naturelles.
C'est alors que le groupe "Racines" a entonné un chant de Taos à faire sourdre les larmes... puis une musique d'invitation au pique-nique.
Dans l'après-midi, l'assistance était très nombreuse pour écouter ce que les un(e)s et les autres ont découvert d'essentiel dans la première autobiographie d'une Algérienne : "Histoire de ma vie" (livre écrit à la demande de ses enfants en 1946, complété en 1962 mais publié seulement en 1968).
Ce que j'en retiens, c'est le courage que cette femme a eu pour affronter la dureté de la vie, (rejet, exil, deuils...) Et aussi pour transmettre à ses enfants les dictons et proverbes, les poèmes et chants traditionnels. Et c'est bien grâce à elle que Taos a écrit "Le grain magique".
Moi j'ai découvert la culture berbère grâce à Mouloud FERAOUN, Taos AMROUCHE, puis Idir avec sa chanson "A Vava Inouva" ....
C'était pendant la coopération (71-73), et j'ai souvenir des pierres plates "du ruisseau où les femmes allaient laver leur linge, près du hameau de Tagragra", l'endroit-même où la mère de Fadhma Aïth Mansour allait tous les mercredis.(fin du 19ème siècle)
C'est bien grâce aux Kabyles que j'ai réalisé que je suis Breton.
12:00 | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook
La mort de Belkacem AMROUCHE (Fadhma Aïth Mansour)
Il faut savoir que toute ma vie j'ai tremblé pour lui, car il était sujet à des syncopes; sans raison apparente, il lui arrivait de se trouver mal - plusieurs fois à son bureau, un jour chez le dentiste - et il me racontait la chose à son retour à la maison. Je l’attendais devant la porte, quand il était en retard. En entrant, il me disait «On ne te changera jamais» Et j'étais si contente de le voir rentré, que je ne répondais rien.
Parfois, la nuit, lorsque je me réveillais, je rappelais si je ne l’entendais pas respirer «Amrar (1)! » Dès qu'il m'avait répondu, je me rendormais tranquille.
Même le matin quand il allait à la messe, j'étais angoissée jusqu'à son retour. À cette époque, dans le village chrétien, il n'y avait que le postier et sa femme, sa mère. Hubert et sa mère, Marie-Rose, ainsi que deux familles musulmanes qui avaient loué les maisons vides de Blanche et de Marie G'âmara. C'est dire combien l’ambiance était sinistre! Toute la nuit nous tremblions dès que nous entendions un bruit. Malgré la serrure et les verrous, nous avions peur de tout et de l’inconnu.
Le 3 janvier (1959), c'était un samedi. Le soir, mon mari avait achevé la lecture de son journal devant le poêle, à la lueur de la petite lampe à pétrole, car on avait abattu les poteaux électriques. Toute la journée, il avait été dehors, chez les marchands du village, chez Hubert. Au moment du couvre-feu, il était venu m'embrasser pour me dire bonsoir, et il se mit au lit en me disant « Je vais vite m'endormir. »
Il s'était soigneusement rasé pour se rendre à la première messe, et il s'était endormi.
Au bout de deux heures, je l’entendis se lever et me dire :
- « J'étouffe! J'étouffe! » Je lui répondis « Sors prendre l'air sur le balcon. » Je l'entendis encore dire : « J'étouffe! »
Il alla du côté de l’escalier, aux cabinets; je l'entendis encore, puis, plus rien... Et je m'inquiétai. Je me levai en chemise et pieds nus pour savoir la raison de ce silence. Je le trouvai assis sur le siège. Je criai - « Amrar! Amrar! »
Pas de réponse. Je le tirai par les mains et essayai de le soulever, mais il était trop lourd. Je le lâchai et courus à la fenêtre de la cuisine en appelant René Zahoual.
« René, viens vite! M. Amrouche se trouve mal, j'ai peur ! »
René fit le tour et j'allai lui ouvrir la porte de la rue. Il prit mon mari dans ses bras et le coucha dans son lit.
- « Faut-il aller chercher le docteur militaire? »
Mais il avait senti que le coeur avait cessé de battre. Il appela sa mère qui me tint compagnie. Pendant la nuit je me levai plusieurs fois pour voir s'il avait froid, et je tirai sur lui les couvertures, mais il n'avait plus besoin de rien.
Au matin, je réussis à m'endormir. Le bruit s'était déjà répandu dans le village. Les Sœurs, au sortir de la messe, s’étaient arrêtées; elles avaient apporté de l'eau bénite et lui avaient passé son chapelet autour des mains. Pour moi, j’étais abrutie, je ne comprenais rien. Je vis la maison se remplir des parents du haut village : il y avait parmi eux le fils du cousin Messaoud, qui voulut s'installer chez nous.
Hubert avait chargé l'armée de télégraphier aux enfants de Paris, pour qu'ils viennent assister aux obsèques(2) , mais personne n'ayant répondu, le Père Etienne vint me dire qu'il fallait procéder à l'enterrement sans eux.
C'est le lundi soir que mon compagnon de soixante années me quitta pour toujours. Pendant deux jours et deux nuits, ce fut un défilé de parents qui ne voulurent pas me laisser seule, mais qui parlaient de leurs affaires personnelles. Je compris que le fils de Messaoud entendait habiter ma maison, et cela ne me convenait pas. J'allai chez Marie-Rose, la mère d'Hubert, et lui demandai asile en attendant des nouvelles de France. Elle accepta. Je fis porter chez elle un petit lit, des couvertures, je donnai aux Sœurs toutes les provisions que le Papa avait amassées en ces temps de restrictions. Je vécus chez Marie-Rose du 6 janvier au 6 février, date à laquelle je partis pour la France en compagnie de Mère Louis de Carthage. C'est elle qui ouvrit le tiroir de la commode, qui me remit les papiers de la retraite, et l'argent qu'elle y trouva. Quelques jours avant sa mort, le Papa m'avait dit : « Tu vois cet argent ? prends-en soin, c’est ta réserve pour le cas où je viendrais à te manquer. »
1. « Maître » ou « Vieux » ; c'est ainsi que les femmes kabyles s'adressent à leur époux. Le mot comporte à la fois la notion d'âge et celle de respect, associées dans une société patriarcale, comme celle des Berbères.
2. Aucun télégramme ne parvint jamais à Paris. C'est quinze jours après que les enfants Amrouche apprirent, par recoupement, la mort de leur père.
Faddhma Aith Mansour Amrouche
Histoire de ma vie
1ère édition :
François Maspero 1968
Actuellement :
La Découverte/Poche
06:55 | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook