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29/10/2007

LE LION, LE CHACAL, LE MULET ET L'ASSEMBLEE DES ANIMAUX (Moulièras)

Un jour, tous les animaux se réunirent dans un endroit. Ils se dirent entre eux : Faisons une ruse contre le mulet pour le manger. Questionnons-nous mutuellement sur notre père : celui qu'on interrogera devra dire qui est son père. Le mulet ne le dira pas, car il a pour père un âne, il en aura honte ; il ne dira pas: l'âne est mon père; nous dirons alors entre nous : celui qui ne nommera pas son père, nous le mangerons.

Ils se mirent à s'interroger mutuellement et commencèrent par le lion :

-  Oncle Abou'l H'arith, qui est ton père?

-  Le lion.

Ils continuèrent par le chacal :

-  Moh'and, qui est ton père?

-  Le chacal.

Ils passèrent à l'âne :

-  Qui est ton père ?

- L'âne.

Puis au bœuf :

-  Qui est ton père?

-  Le boeuf.

Puis au cheval :

-  Qui est ton père ?

-  Le cheval.

Ils arrivèrent au mulet :

-  Qui est ton père?

-  Le cheval est mon oncle maternel.

Ils se mirent à rire, le laissèrent et passèrent aux autres. Ils firent la même question au hérisson, à la tortue, à la hyène, à la fouine, au renard, au lévrier, au sanglier et au chien qui tous firent une réponse semblable. Quand ils eurent fini, ils revinrent au mulet et lui dirent :

-  Allons, mulet, dis-nous qui est ton père ?

-  Je vous dirai seulement que le cheval est mon oncle maternel.

-  Nous te demandons après ton père, non après ton oncle.

-  Eh bien, voyez : mon père a mis de l'écriture à mon pied; regardez cette écriture, vous trouverez mon nom. Le chacal alla l'examiner de loin. Il dit au lion:

-  Oncle Abou’l H'arith, c'est à toi qui as de bons yeux de déchiffrer les lettres qui sont là, parce que cette écriture-là est griffonnée, de plus, j'ai mal aux yeux, ils n'y voient pas. Allons, regarde, toi, tu as de bons yeux; c'est toi qui déchiffreras ces lettres.

Le lion s'avança pour examiner de loin.

Le mulet lui dit :

-  Avance, toi, pour bien voir.

Il s'approcha; le mulet le laissa faire. Quand il fut près d'arriver à son pied, l'autre se dressa sur ses pieds de devant et le frappa avec ceux de derrière; il l'atteignit au front et le renversa en arrière. En le voyant tomber et se débattre, le chacal se précipita sur lui et le saisit par la queue pour le dévorer.

Le lion lui dit :

-  Moh'and, est-ce là ce dont nous sommes convenus?

-  Pour moi, répondit le chacal, c'est celui qui tombe que je prends pour ma nourriture. Si c'était le mulet qui fût tombé, c'est sur lui que je me serais jeté. Comme c'est toi, laisse-moi me rassasier de ta chair; c'est là ma chance.    

 

 

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Moulièras

 

 

Légendes et contes merveilleux de la Grande Kabylie, Paris

 

 

E. LEROUX, 1894

   

 

CONTES POPULAIRES D'AFRIQUE   GRANDE KABYLIE

19/10/2007

JOURS KABYLES (Georges M. MATTÉÏ)

13 juillet 1956

Quelques baraques, une murette de pierre, cinq ou six oliviers faméliques, une sorte de falaise derrière laquelle se trouvait un petit village appelé T... En face de nous la piste serpentant vers I..., notre P.C., d'où gouvernait notre distingué commandant P.... Au bord de la piste, la surplombant, deux villages, A..., M..., bien visibles, avec leurs toits rouges. Plus loin, à droite, sur un piton boisé, un village que nos compagnons surnommaient « le petit Paris », à cause de sa propreté... I... B....

C'était le soir du 13 juillet, une dizaine de types contrôlaient les Kabyles qui circulaient sur la piste venant d'A... (Notre poste était situé à la rencontre de trois pistes.) Les hommes et les jeunes gens des douars voisins ont l'habitude de descendre de leur village, sur leur bourricot, chapeaux de paille enfoncés sur les oreilles ou battant leur dos. Je pensais aux films mexicains, aux peones silencieux. Ce jour-là, j'avais été d'escorte. Fatigué, j'essayais de lire un peu pour échapper à l'abrutissement de cette vie. Levé cinq heures. Escorte sur la piste, ocre de poussière, sueur, peur, la montagne hostile, au retour, charrier des pierres, un casque d'eau pour la journée... Un copain me montra le soleil et me dit « qu'il devait se coucher vers la gare de Tizi-Ouzou ».

 

- J'amène des clients ! Le caporal-chef A... entra dans le poste, poussant devant lui deux Kabyles, précédés de leur mule. Mouvements divers dans le poste. - Qu'est-ce que c'est ? Où les as-tu piqués ? Pourquoi ? Le caporal-chef, un grand blond, veule, nous montra un paquet de chaussettes kaki, en riant. (Depuis quelques mois le port du vêtement kaki est interdit en A.F.N.) Les deux Kabyles, sous la menacé d'un P.M., déchargèrent leur mule. Les hommes de garde éparpillèrent paquets de sucre, café, semoule, boules de gomme. Je regardais cette scène, de loin, je pensais que nous faisions un boulot de flic. Des éclats de voix me tirèrent de mes réflexions.. Des hommes se disputaient autour des deux prisonniers. Le caporal-chef aidé d'un deuxième classe, D..., une petite frappe qui bouffe du bougnoule (un an d'A.F.N.), le type du tueur. Ils empoignèrent un des deux hommes, le poussèrent vers le mirador et se mirent en demeure de le ligoter. C'était le plus jeune des prisonniers. Il tenta de s'expliquer. - C'est pas la justice, j'ai rien fait! L'autre lui cloua le bec d'une gille. Le Kabyle se tut, puis continua de se lamenter: « C'est pas juste... » Un cercle s'était formé. Pas un responsable ne se montra. C'était l'heure de l'apéritif au mess. Chacun donnait son avis : - C'est dégueulasse. - Ça se voit que vous débarquez, vous ne les connaissez pas. - Nous ne sommes pas des flics. - Tous des salauds. - Enfin, devant les deux prisonniers qui avaient compris que la compagnie s'engueulait à cause d'eux, ce fut le début d'une altercation. Les prisonniers furent malmenés, quelques coups de poing furent échangés entre les militaires de différents avis. L'affaire se termina par l'intervention de l'adjudant B..., qui élimina l'hystérique D..., par un K.O. spectaculaire. Comme punition, D... fut affecté à l'escorte personnelle du commandant P... Quelques jours plus tard, au cours d'une fouille, celui-ci abattait un homme caché dans un buisson. Ce dernier était sans arme et immobile. - Je ne crois pas qu'il y ait eu enquête à la suite de cette exécution sommaire. Le Kabyle abattu était du village d'I... (Tentative de fuite... c'était classique.) Quant aux deux suspects de cette soirée, ils furent libérés, le lendemain matin, après un contact avec la gendarmerie. Le plus vieux m'a serré la main: - Mon fils va être content, me dit-il simplement.

 

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 Georges M. MATTÉÏ 

JOURS KABYLES

(Notes d'un rappelé.)

 

LES TEMPS MODERNES

N° 137-138 JUILLET AOUT 1957

 

(numéro saisi)

 

 

 

 

Autre titre de Georges M. Mattéï

09/10/2007

LA REKBA DU SERGENT (BOU-YABÈS)

Après avoir tiré ses guêtres sur quatre des parties du monde, le vieux sergent de tirailleurs Kassi était revenu dans sa tribu des Ouadia, la poitrine garnie de médailles. Il avait en poche un bon pécule provenant de ses rengagements, un bon titre de pension et se regardait comme le plus heureux des Kabyles de sa tribu. Il lui manquait bien le bras gauche, emporté par un boulet à Puebla, un morceau de la cuisse du même côté, laissé dans les blés de Palestro, un lobe d'oreille, il ne savait trop où, mais on peut vivre très aise, sans être absolument complet. Un peu partout, son corps était balafré de longues estafilades, ponctué de petites taches brunes, coups de sabres ou passage de balles : cela ne l'empêchait point d'être content de lui et de son sort, d'être considéré du bureau de Fort-Napoléon où il était, comme un futur président.

Entre-temps, durant un congé de semestre qu'il avait obtenu au commencement de la campagne de Crimée, pour se remettre du choléra, il avait acheté, en justes noces, une blanche Kabyle des Ait Ouacif, puis l'avait plantée là pour reprendre le beurda, son congé expiré. Sa femme de quelques mois avait vécu depuis ce temps chez son père, élevant son fils, et attendant impatiemment son mari à l'aide de quelques amourettes avec les gars du voisinage.

Le vieux tirailleur n'en avait cure il ne l'avait jamais revue, n'ayant point eu le temps de revenir au pays. Il avait rencontré du reste des femmes de toutes les couleurs sur sa longue route, a travers les mondes et, à Paris, où il était avant de partir pour le Mexique ; les nounous le prisaient fort à cause de ses longues moustaches blondes, son entrain endiablé et sa belle ferblanterie.

Il s'installa tranquillement sur les biens de ses pères, gérés en son absence par son cousin germain, fumant de longues pipes en bambou, rapportées de l'Extrême-Orient, racontant à ses compatriotes ses exploits militaires et ses prouesses amoureuses, réelles ou imaginaires. Joyeux compère, il était de toutes les diffas, de tous les mariages ; ses histoires passionnaient son rude auditoire et plus d'un jeune Kabyle avait signé son engagement pour pouvoir voyager en les pays bleus et roses que dépeignait le sergent. Il s'était donné lui-même le nom de Kassi Guiril, Kassi au bras, pour plaisanter sa glorieuse infirmité, et ce nom devint célèbre comme celui d'un conteur de belles histoires, mérite très apprécié des Kabyles illettrés.

Un beau jour, il se lassa de sa vie de garçon, trouvant le coucouss que chacun lui offrait, tour à tour, trop fade ou trop pimenté et sa natte solitaire bien dure, sans une tamtout pour servir d'oreiller: les célibataires sont suspects en Kabylie, et plus d'un mari, craignant pour son front, lui avait offert sa fille. Kassi se souvint alors qu'il avait été marié et, se remémorant les douceurs de sa lune de miel, prit son bâton de fenouil et s'en fut aux Ait Ouacif chercher sa légitime.

 

Il oubliait que les années avaient marché depuis ses courtes épousailles et que la belle Smina d'antan devait avoir les yeux chassieux, la peau crevassée et peu remplie. Il se pourléchait donc en arrivant près du village, se rappelant le jour où il emmenait sa fiancée à califourchon devant lui, sur le même mulet, au son des tambours, à travers la fumée des coups de fusil il lui semblait sentir encore les rondeurs chaudes de ce corps, lorsque la vierge se serrait contre lui, effrayée par les soubresauts du mulet descendant les chemins en escalier.

Il était, ma foi, presque aussi ému qu'à sa première bataille quand il heurta la porte de son beau-père. Tout le monde était aux champs et ce fut une vieille, restée pour faire les galettes, qui vint lui ouvrir

- Eh ! la mère, fit le joyeux tirailleur, c'est bien ici la maison de Belkassem, le fabricant de beurdas ?

- Oui, répondit la gardienne du logis ; je suis sa fille, que lui veux-tu?

- Ah ! tu es sa fille, tu dois donc être ma belle-soeur, car je suis Kassi, l'époux de Smina.

- Tu es Kassi ! toi, dit la vieille souriante et frappant des mains de surprise, quelle joie ! moi je suis Smina, ta chère femme

- Hem !... fit le sergent, en faisant un bond en arrière, et il contempla sa moitié avec ébahissement, se gardant des bras ouverts et tendus vers lui.

Elle n'était pas belle sa Smina, elle n'était pas ronde, non plus, mais très anguleuse. Plus de grands yeux noirs cernés de kohl, plus de cheveux bronzés, réunis sous le foulard de soie jaune et rouge; plus de globes ronds sous les plis du haïk indiscret. Un amas de vieilles chairs pendantes de-ci, de-là, sous des haillons crasseux, une figure semblable à une gourde percée de cinq trous, plus ou moins larges, plus ou moins profonds, voilà ce qui restait de la plantureuse Smina, douce de peau et de parler, ardente aux baisers et au travail.

Kassi eut vite pris une décision : ses illusions s 'étaient envolées et la réalité lui paraissait peu propre à le consoler de sa vie de garçon.

- Ah ! tu es Smina, fit-il, avec la gravité qui convient à un vrai Kabyle, eh bien, je suis heureux de te revoir... et, pivotant militairement sur ses talons, il la laissa là, ébahie.

Il s'en fut s asseoir à la Djemâa pour chercher un hôte parmi les anciens qui, peut-être, ne l'avaient point oublié.

Il y resta longtemps, à peu près seul, songeur, assis près du passage couvert, épiant les arrivants pour y reconnaître les amis d'autrefois. Il vint enfin un vieux, très vieux, à la barbe blanche, cassé en deux, qui, soutenu par un solide garçon de quinze à seize ans, s'avançait en traînant la jambe. Kassi reconnut le vieux, tout d'un coup, à son oeil droit qui louchait en clignotant

- Eh ! eh ! Belkassem ! cria-t-il en faisant de grands gestes, le salut sur toi ; regarde-moi, je suis ton gendre, Kassi le sergent, je suis bien heureux de te retrouver, je n'avais pas encore vu un seul ami.

Le vieux s arrêta au milieu du passage regardant, d'un air hébété, ce manchot qui agitait vers le ciel son bras valide.

- Il est sourd, mon père, dit le jeune homme, mais ton fils Ah est devant toi et que le nom du Très-Haut soit cent fois béni, puisqu'il me permet enfin de baiser ta main.

Kassi tombait de stupéfaction en stupéfaction. Son fils, son fils à lui, ce beau gaillard déjà homme, aux grands yeux noirs fendus en amande, aux cheveux blonds, à la lèvre estompée d'un fin duvet !... Il n'en revenait pas ! Vaguement, il se souvint que Smina était grosse à son départ et qu'il était parfaitement possible qu'elle eût accouché depuis le temps qu'il ne l'avait vue. C'était bien là son fils, il ne pouvait en douter: il reconnaissait ses yeux noirs avec sa tête blonde de jadis, comme il s'était vu le jour où la femme du commandant, celle qui se peignait comme une Ouled Naïl, l'avait fait entrer dans sa chambre, garnie de grandes glaces où il s'admirait.

Pendant ces réflexions, le beau jeune homme courba la tête, et prenant l'unique main du sergent, la baisa et la plaça sur sa chéchia en signe de soumission. Kassi n'y tint plus bravement, à la française, comme il l'avait vu faire aux nounous du Jardin des Plantes, il saisit par l'épaule ce fils tombé du ciel et l'embrassa à pleine bouche sur les deux joues.

Le vieux Belkassem, n’y comprenant rien, regardait de plus en plus ahuri.

Le fils reconduisit alors son père à la maison de l'aïeul et toute la famille s'étant réunie, on tua, non pas le veau gras, mais un bouc d'un an qui, la nuit venue, couronna un cou­couss monumental duquel il ne resta bientôt plus que le plat d'aulne rouge.

 

 

 

 

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BOU-YABÈS

Pseudonyme de Henry DUBOULOZ (1857-1947)

 

LA REKBA DU SERGENT

Extrait de « Récits et légendes de la Grande-Kabylie »

 

ÉDISUD La boite à documents 1993

 

1ère publication ALGER 1894