13/02/2009
YOUSSEF-YOUSFINE (Jean DELHEURE) suite
...
Sur le champ la fille est changée en tourterelle. La tante prend alors quelques sachets-amulettes de la fille du roi et les met à sa propre fille.
Continuant leur chemin, ils arrivent au pays en question. Ils descendent de leurs montures et vont trouver une vieille femme à laquelle le fils du roi demande :
— S'il te plait, où habite Youssef-Yousfine ?
— Youssef-Yousfine, répond la femme, personne ne peut le voir. Quand il fait clair, l'ogre (qui le garde) dort. Introduis-toi sous le pan de son vêtement, tu y trouveras les clés, prends-les. Si le temps est couvert, l'ogre veille, attention, n'y va pas, il te dévorerait. Et, ajoute-t-elle, quand tu auras pris les clés, va au marché acheter une charge d'herbe pour les chevaux, de l'orge pour les pigeons et la volaille, des fèves pour les servantes négresses et les serviteurs nègres.
— Bien, répond-il.
De nuit il part et trouve le temps clair. Il s'introduit sous le pan de l'habit de l'ogre et s'empare des clés. A peine levé le matin il part au marché, achète herbe, fèves et orge. Il s'en va et arrive à la porte d'entrée de Youssef-Yousfine. Il ouvre la première porte, les pigeons se mettent à crier. Il leur lance de l'orge et les voilà occupés à manger l'orge. Il ouvre une autre porte, voici les poules. Il leur jette de l'orge aussi. Il en ouvre encore une autre, ce sont des chevaux hennissants. Il leur donne de l'herbe. A la porte suivante ce sont les nègres et les négresses qui risquent de se mettre à hurler. Il leur éparpille des fèves et ils se précipitent pour les ramasser. Ayant enfin ouvert une autre porte, il trouve Youssef-Yousfine qu'il salue :
— Le salut soit sur toi
(De surprise) la calotte de Youssef-Yousfine tombe alors de sa tête, son manteau, ses chaussures tombent. Ayant dit sept fois : « Le salut soit sur toi, » tout ce que portait Youssef-Yousfine tombe. Celui-ci de s'écrier :
— Mais où sont mes serviteurs noirs ? Où sont mes négresses ? Mes chevaux ? Mes chèvres ? Mes pigeons ? Mes poules ?
Il répond alors au fils du roi :
— Et sur toi le salut, ô mon seigneur, que désires-tu ?
Le fils du roi lui dit :
— Je suis venu à propos de ma soeur, elle t'aime.
— Quel est son comportement, dit-il ?
— Si elle frappe du pied, répond le fils du roi, une source jaillit ; si elle secoue sa manche, de l'herbe verte se met à pousser en abondance ; si elle rit, des perles tombent de sa bouche ; si elle pleure, il se met à pleuvoir ; si elle se met en colère, le temps se couvre.
— Va, dit Youssef-Yousfine, amène-la.
Il part et dit à sa tante :
— Allons, emmène ma sœur.
La tante se lève et emmène sa propre fille. Quand elle arrive devant Youssef-Yousfine, celui-ci lui ordonne
— Frappe du pied !
La fille frappe et il ne surgit qu'une dérisoire petite source qui se retire aussitôt. Il lui ordonne
— Secoue ta manche
Elle la secoue et il n'en sort qu'un peu d'herbe vite disparue. Il continue :
— Mets-toi un peu en colère
Elle se met en colère et le temps se couvre un peu. Il lui dit
— Pleure !
Elle pleure et quelques gouttes de pluie tombent vite disparues. Il lui dit alors :
— Ris un peu
Elle rit et de sa bouche sortent quelques perles qui disparaissent. Youssef-Yousfine dit alors :
— Reprends ta fille, reprends-la, je n'en veux pas, elle n'est pas belle. Et il donne ordre à ses ministres :
— Saisissez ce garçon, mettez-le en prison et placez sur son coeur sept meules de pierre.
Ils l'emportent en prison et lui mettent sept meules sur le coeur.
Ayant envoyé des ouvriers dans ses jardins pour y construire un mur, pendant qu'ils étaient en train de bâtir, arrive une tourterelle qui se perche sur un palmier ou un mur et qui leur crie :
— Ô ouvriers du sultan, mon frère est-il prisonnier ou libre Eux de répondre :
— Prisonnier, prisonnier
Elle se met à pleurer, elle pleure, pleure, et la pluie de tomber qui abat le mur en construction. Chaque jour la même scène. Un jour Youssef-Yousfine interroge ses ouvriers :
— Que vous arrive-t-il que vous tardiez tant à monter ce mur ?
— Voilà, répondent-ils, il y a une tourterelle qui, chaque fois qu'elle vient, nous demande : « ô ouvriers du sultan, mon frère est-il prisonnier ou libre ? » Elle se met à pleurer et la pluie se met à tomber qui abat notre mur.
— Demain, leur dit-il, tenez, prenez de la glu et enduisez-en l'endroit où cette tourterelle a coutume de se percher et dites-lui « Il est libre; il est libre ! »
— Bien, disent les ouvriers.
Le lendemain, ayant apporté de la glu, ils en enduisent l'endroit où se tenait d'habitude la tourterelle. Ils étaient à construire le mur, quand arrive la tourterelle qui se place juste à l'endroit de la glu, et la voilà prise par les pattes. Elle se met à leur crier encore :
— Ô ouvriers du sultan, mon frère est-il prisonnier ou libre ?
— Il est libre, répondent-ils, libre.
Elle se met à rire et les perles de tomber de sa bouche. Elle veut s'envoler, mais n'y parvient pas. Un des ouvriers s'empare d'elle et on l'apporte à Youssef-Yousfine. Celui-ci la prend et la met dans une pièce à part. Dès lors il ne s'occupe plus de ses femmes, mais seulement de sa tourterelle. Les femmes de Youssef-Yousfine se prirent à dire :
— A présent, le roi ne s'occupe plus de nous, il n'en a que pour cette tourterelle. Nous devons lui enlever cette tourterelle.
…
Jean DELHEURE
Contes et légendes berbères de Ouargla
(recueillis entre 1941 et 1951)
La Boite à Documents
Paris, 1989
Version originale (transcription de Jean DELHEURE)
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