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27/09/2009

La musique kabyle (F. SALVADOR-DANIEL)

NOTICE

SUR

LA MUSIQUE KABYLE

 

PAR

 

FRANCISCO SALVADOR-DANIEL

 

Avant d’examiner en détail la facture des chansons que nous donnons comme spécimen de la musique des Kabyles, il me paraît nécessaire d’exposer au moins d’une manière générale, les éléments qui la composent.

 

J’ai déjà donné ailleurs des indications touchant la musique des Orientaux ; chez les Kabyles comme chez tous les peuples ­de l'Afrique, les deux seuls éléments de la musique sont la mélodie et le rythme.

 

L’harmonie, la science des sons simultanés leur est complètement inconnue.

 

Mais, tandis que, d'après le système harmonique employé par tous les peuples civilisés, le chant se développe dans les deux seuls modes majeur et mineur, la mélodie orientale comporte une grande variété à l’emploi de douze modes parfaitement distincts les uns des autres, tant par la note qui sert de point de départ que par la position des intervalles dans l'ordre successif des tons et des demi-tons.

 

 

D'ailleurs les Kabyles, comme les Arabes, n'ont pas d'écriture musicale ; leurs chansons se transmettent à l'audition et il n'est pas rare de constater des différences sensibles dans la manière dont on chantera la même chanson chez deux tribus voisines. Les exécutants ont apporté dans l'interprétation du texte musical des enjolivements qui, en raison même du mérite du maellem, ont été considérés comme faisant corps avec le texte primitif ; il devient alors très difficile de retrouver la première formule au milieu des changements qu'elle a subis.

 

 

Toutefois cette variété, ces divergences de texte ne portent généralement que sur les détails et ne changent en rien le mode, ni, par conséquent, le caractère d'ensemble du morceau.

 

Je pourrais multiplier les exemples ; il me suffira de citer la chanson kabyle n°1 intitulée Dadda-Ali, que je transcris ici de deux manières sans prétendre indiquer laquelle des deux formules est originale. Dans les deux textes, d'ailleurs, le mode est le même ; c'est le mode l’saïn, ayant pour base le la, et correspondant à notre gamme mineure avec le sol naturel en montant et en descendant. Le mouvement de cet air est vif ; on doit l'exécuter presque comme un galop.

 

 

SALVADOR-DANIEL-Francisco_Dadda-Ali_partition.jpgExtrait de :

 

Poésies populaires de la Kabylie du Jurjura

 

HANOTEAU

 

1867

21/09/2009

LE BOIS SACRÉ (Michel BOGROS)

 

 

Dans un vallon de Kabylie,

Entre deux grands murs de gazon,

J'ai déniché, cette saison,

Une retraite bien jolie.

 

C'est un Bois Sacré très épais.

Sous la voûte sombre des chênes

Clapote un petit ruisseau frais

Qui murmure des cantilènes.

 

Parfois, au pied d'un tronc massif,

L'oeil trouve un renflement de terre

Qu'abritent les branches d'un if

Et qu'enlacent les bras du lierre.

 

C'est un tombeau. — Pour le savoir,

Il faut d'avance le connaître,

Car on ne dirait pas, à voir

Cet endroit charmant qu'il peut être

 

L'asile des morts. — Et pourtant,

C'est dans ce bois aux dômes sombres,

Que des vieux batailleurs d'antan

Se promènent les grandes ombres.

 

C'est là que le vieil indompté,

Fils du Numide ou du Berbère,

Nous a, pied à pied, disputé

Son chaume et son lopin de terre.

 

Maintenant tout bruit a cessé.

On ne se bat plus; on travaille.

Et grâce au temps, s'est effacé

Le souvenir de la bataille.

 

Et les vieux morts qui dorment là

Doivent à coup sûr, j'imagine,

Faire une singulière mine

En voyant ce roumi qui va

 

S'asseoir près de leurs tombes vertes,

À l'ombre de leur Bois Sacré,

Et sans peur d'être massacré,

Évoquer leurs restes inertes.

 

Moi, cependant, en vérité,

Auprès d'eux je ne songe guère

Aux exploits accomplis naguère

En l'honneur de la liberté.

 

Je songe combien peu de chose

Pèse l'héroïsme ici-bas,

Et combien, après les combats,

Tient de place une apothéose !

 

Car ils eurent, ces preux aussi,

Ces vaillants, une heure de gloire ;

Ils eurent leur jour de victoire.

Or, que leur reste-t-il ? Ceci :

 

Un petit coin, dans un bois sombre.

Et leurs enfants sont là, soumis,

Qui des aïeux oubliant l'ombre,

S'inclinent devant les roumis.

 

Et dans quelques siècles, peut-être,

Les roumis, vaincus à leur tour,

Sentiront de quelqu'autre maître

Peser sur eux le sceptre lourd.

 

Ainsi toujours roule le monde.

Aussi, sous ces arbres sacrés,

Je n'aime que la paix profonde

De ceux que j'y trouve enterrés.

 

Azazga (Kabylie), 3 Septembre 1882.

 

 

BOGROS-Michel_Les-Algeriennes.jpgMichel BOGROS

 

Les Algériennes

 

 

P. Perrier ; Oran ; 1887

14/09/2009

Le Village de la Chienne ( J-H DUBASCOUX )

 

   Ceci n'est pas un conte, ce n'est pas une légende. C 'est une histoire vraie. Elle se passe en Kabylie, ce massif de montagnes dont tous les pitons sont coiffés de villages inaccessibles, où les pistes abruptes sont des suites de fondrières impraticables, où la population aux mystérieuses origines parle une langue qui lui est propre, obéit à des traditions toute-puis­santes qui défient toutes les lois.             

Ainsi, encore de nos jours, malgré la loi française, la vengeance d'homme à homme, de famille à famille, de tribu à tribu, sévit dans ce pays farouche. Mais cette vengeance, nommée ici « rekba » a ses lois. Ainsi un homme poursuivi, mais porteur de l' « anaya », sauf-conduit apparent : bâton, chien, vêtement, qui lui a été accordé par un autre Kabyle allié deviendra sacré pour son pire ennemi. Violer l'anaya, en pays kabyle, est chose grave. Vous le verrez dans cette histoire :

*

El Hadj Amrouch vivait dans un petit village de Kabylie. Il était tourneur de plats en bois. Sa condi­tion était modeste, mais il était estimé de tous pour sa force, son courage, sa sagesse, sa probité. Sa femme, Fatima, lui avait donné quatre beaux garçons. El Hadj Amrouch était heureux.

Un jour, il prévint sa femme qu'il devait s'absen­ter pour ses affaires : il la laisserait seule avec ses enfants sous la sauvegarde de son nom. La nuit, la chienne kabyle à longs poils blancs, M'Kabra, assu­rerait la garde de la maison. Ayant ainsi décidé, El Hadj Amrouch partit.

Or un soir, tandis que Fatima préparait le repas, M'Kabra bondit en aboyant furieusement vers la porte. Des pas précipités s'étaient arrêtés au seuil; on secouait frénétiquement le lourd heurtoir et une voix haletante appelait : « El Hadj Amrouch ! El Hadj Amrouch ! » Fatima apaisa la chienne d'un geste et demanda :

« Qui donc est là ?

- Je suis l'hôte d'El Hadj Amrouch : Amar Amziane..., des ennemis me poursuivent; ils seront là dans un instant. Au nom de Dieu et de Sidi Abd-el-Kader, laisse-moi entrer !

- Entre donc et sois notre hôte, dit Fatima, tirant le verrou. El Hadj Amrouch est absent. Mais son nom ne saurait être invoqué en vain. »

         L'homme entra et s'abattit à bout de forces sur le banc des hôtes.

Un moment plus tard, les pas d'une troupe nom­breuse s'arrêtaient à leur tour devant le seuil d'El Hadj. Le heurtoir résonnait de nouveau sous des mains violentes.

« Qui fait tout ce bruit ? » demanda Fatima.

- Nous sommes les gens de Bou-Dafal, répondit-on. Nous voulons Amar Amziane qui a tué notre frère et sur qui nous avons « rekba ». Fais-le sortir de ta maison.

- Amar Amziane est l'hôte de El Hadj Amrouch, répondit fermement Fatima. Si vous touchez à lui, craignez la colère d'El Hadj et celle des gens de Taourirt. »

Impressionnée, la troupe se retira et Amar reposa en paix sur le banc des hôtes gardé par M'Kabra.

Au petit jour, ayant reçu de son hôtesse la galette de blé et d'orge et une poignée de figues sèches, Amar supplia

« Je vais regagner mon village, ô femme ! J'y retrouverai la sécurité parmi les miens... Mais la vengeance de mes ennemis ne me frappera-t~elle pas avant que je l'aie atteint ? Ne peux-tu m'accorder l'anaya de ton mari et un gage qui la fasse recon­naître ? Ainsi serais-je à l'abri de tout danger...

- Soit, dit Fatima, très grave. Je te donne l'anaya. d'El Amrouch : voici sa chienne M'Kabra, connue de tous les villages des environs. Va, M'Kabra, suis l'hôte de ton maître et fais bonne garde. Le salut soit sur toi, ....... »

Et le Kabyle rassuré, ayant remercié son hôtesse, prit le chemin du retour.

Il s'aperçut bientôt qu'il était suivi : des frôle­ments suspects dans les branches du taillis, une pierre qui roulait sur la pente du ravin, l'allure inquiète de la chienne... Une angoisse lui griffa le cœur. Mais n'avait-il pas l'anaya d'El Hadj Amrouch ?

Quel Kabyle, oublieux de la tradition sacrée, oserait violer l'anaya d'un des plus estimés d'entre eux ? Hélas, à un détour du sentier, ses ennemis surgirent, menaçants. L'endroit était solitaire.

« J'ai l'anaya d'Amrouch, cria Amar, et voici sa chienne M'Kabra, gage de sa parole !»

Mais rendus plus furieux par leur déconvenue de la veille, ses ennemis restèrent sourds à l'appel de l'honneur. Debouz* et matraques jaillirent. Amar se défendit bravement, aidé de M'Kabra. La vaillante bête se multipliait, bondissant, s'agrippant à la gorge des agresseurs, mordant cruellement une épaule, déchirant les chairs. Mais Amar, abattu par une lourde pierre, tomba... Les meurtriers s'enfuirent et M'Kabra rentra au village, le ventre ouvert, les entrailles pendantes. À sa vue, Fatima poussa des cris et des lamentations qui alertèrent ses voisins  l'émo­tion fut grande : l'anaya d'El Amrouch violée ! Le crime appelait une vengeance impitoyable.

Ses affaires terminées, El Hadj Amrouch rentrait joyeux à la maison... Il trouva le village consterné, sa femme dans le deuil, M'Kabra ensanglantée et mourante. Il apprit l'outrage fait à son honneur. Du moins celui-ci avait-il été bien défendu. El Hadj se pencha vers sa chienne pour une caresse de remer­ciement. M'Kabra leva vers son maître un dernier regard. « J'ai fait ce que j'ai pu, paraissait-elle dire, humble et désespérée. Mais ils étaient trop..., j'ai cependant défendu ton honneur jusqu'à la mort, ô Maître. ».Un dernier frémissement, et la bête s'immobilisa.

Les gens de Taourirt et El Hadj Amrouch ven­gèrent leur honneur. Le village des Bou-Dafal fut rasé, leurs récoltes détruites. Eux-mêmes ne durent leur salut qu'à la fuite...

Et M'Kabra, la chienne héroïque, morte en défendant l'honneur de son maître, fut enterrée à la porte de la Djemaâ, sous une pierre. Pour honorer et perpétuer son souvenir, le village, depuis, porte son nom : « Taourirt N'Tidit », le « village de la chienne ».

 

* Debouz : bâton de pèlerin

DUBASCOUX-J-H_Histoires-du-Ramadhan.jpg

 

07/09/2009

Au fil des jours … (Mohamed ARABDIOU) début

 

″C’est à la fin du 19ème siècle que mon grand-père paternel décida de quitter définitivement sa Kabylie natale pour émigrer vers la Mitidja. Il s’installa dans un bourg au style typiquement colonial portant le nom de Boufarik, lieu du marché hebdomadaire ou, depuis des lustres, les hommes des tribus de la région, se rencontraient avec les marchands, pour des échanges et s’informer.

 

Les Européens vivaient dans leurs quartiers composés de bâtiments modernes pour l’époque, alors que les ″Arabes″ étaient relégués dans des lotissements distincts ou ils s’entassaient comme ils pouvaient. Certains vivaient dans les gourbis en torchis composés de terre glaise, de paille et de bouse de vache. La toiture était en chaume, rarement en tuiles. D’autres mieux lotis, occupaient des chambres en dur, moyennant loyers aux logeurs. Ce fut le cas de grand-père. Généralement, c’était des pièces entourant un patio au centre duquel un puits alimentait les locataires en eau. L’éclairage se faisait à l’huile, à la bougie ou au quinquet. L’électricité n’arrivera que plus tard. Pour la cuisine et le chauffage, on utilisait le charbon de bois dans les braseros ; ce qui engendrait souvent des accidents mortels dus à l’oxyde de carbone.

 

Alors qu’en Kabylie, les femmes travaillaient dans les champs et parlaient naturellement avec les hommes, sans que personne ne trouve à redire, dans la Mitidja ou grand-mère dut s’adapter, elles étaient cloîtrées, ne montrant leurs visages qu’à leur époux ou à des proches. Pour sortir, elles devaient se couvrir du haïk, un voile, de type « Bouaouina » bien plus serré que celui des Algéroises.

 

Dans ces maisons collectives qu’immortalisa Mohamed Dib, il aurait été inconvenant pour un homme de rester dans sa chambre durant la journée, car, il obligerait les femmes autres que la sienne, à se cacher. À moins d’être sérieusement malade, même s’il n’avait rien à faire dehors, il devait prendre l’air, jusqu’à la nuit tombée.

 

Dés leur jeune âge, on mettait en garde les garçons, à ne pas trop fréquenter la gente féminine, sous peine de rester imberbe, privés de moustaches, symbole de virilité…..

 

Avant de traverser la cour, l’homme devait toussoter et dire à haute voix : « Trègue ! » ( Passage) afin que les femmes l’entendent. Celles-ci se précipitaient alors dans leur tanières, le temps que le voisin s’éclipse….

 

Grand-père s’appelait Araoudhéou. Nous sommes des Araoudhéouènes dont les ancêtres seraient originaires de Raoudha. Il paraît que ces Araoudhéouènes étaient des Chorfas (Marabouts) mais personne ne peut le prouver……. Le fonctionnaire français de l’état civil ne s’embrassa pas de ces considérations. Il simplifia les choses en inscrivant soigneusement à la plume sur le registre communal : ARABDIOU. Depuis, ce fut le nom que nous légua Cheikh Mohamed ARABDIOU pour l’éternité.

 

Estimons-nous heureux. À certains, on imposa à perpétuité, des noms grotesques, parfois infamants.

 

Grand-mère Smina Talaouine, dont le visage était orné de plusieurs tatouages, est de Boukelal, un village proche de l’Aach ou falcou ( le nid d’aigle) lieu de résidence de celui qui l’épousa. Tous deux dépendaient de la communauté d’Iflissen l’ebhar de la commune mixte de Mizrana à quelques encablures de Tigzirt sur mer, sur une colline surplombant Sidi Khaled El Marsa.

 

En Kabylie, le couple eut deux enfants qui moururent en bas âge. Grand-mère me racontera bien plus tard que, pour son deuxième enfant, elle avait travaillé dans les champs, durant toute la journée. Le moment venu, elle rentra chez elle, mis de l’ordre dans sa chambre, donna à manger aux bêtes, puis accoucha sans aucune assistance. Le lendemain, elle était debout. Comment a-t-elle coupé le cordon ombilical ? nul ne le sait…..

 

À propos de bêtes, il faut savoir que dans la demeure kabyle de l’époque, construite en pierres de taille, les bœufs et parfois l’âne ou le mulet logeaient dans la même salle coupée par une cloison, dotée de bouches d’aération. Cette promiscuité permettait de mieux chauffer la maison en période hivernale. Au dessus du plafond très bas de l’étable, on plaçait des espèces de grand fûts en terre mélangée de paille et de bouse de vaches( Ikoufiène) pour les provisions ( figues, lentilles, haricots secs, fèves, orges etc….).

 

À cette époque, des lions rodaient souvent aux alentours et l’on entendait leurs rugissements. Parfois la nuit, ils s’aventuraient jusqu’aux bergeries. L’arme principale des montagnards, c’était les torches. Il paraît que le feu dissuadait les félins.

 

Il y avait aussi des histoires que l’on se racontait autour du feu, dans les chaumières, durant les longues nuits hivernales, telles que l’exploit de cet homme téméraire qui, lors d’un voyage vers un marché lointain, se retrouva face à face avec un lion à la superbe crinière… Sans broncher, le courageux personnage fixa l’animal des yeux et …. ce fut la bête qui détourna le regard, avant de s’en aller tranquillement à la grande surprise et le soulagement du voyageur.

 

L’autre légende plus cocasse, concerne cette femme d’âge mur, qui sortit la nuit, faire ses besoins en pleine nature, en ne se rendant pas compte qu’elle avait posé son postérieur sur une hyène endormie. Surprise, la bête détala brusquement, emportant sur son dos la malheureuse que l’on ne revit plus jamais.″

ARABDIOU-Mohamed.jpg
Mohamed ARABDIOU, auteur de la biographie.