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31/08/2009

Mémoires en minuscules (L’ÉCOLE) Youssef Khider LOUELH

 

Le petit bonhomme que j'étais va commencer à grandir. 1940, à peine âgé de cinq ans, bien avant les autres enfants de mon âge, je vais avoir un emploi du temps chargé, chronométré. Mes parents étaient convaincus que pour avoir un minimum de chance, d'échapper à la misère du régime colonial, il n'y avait qu'une seule issue : celle de l'étude. Je vais ainsi suivre simultanément deux enseignements qui s’ignorent. En arabe, à peine toléré et seulement pour apprendre le coran par coeur et en français. Notre village était doté d'une école primaire exclusivement réservée aux garçons. Pour les filles, il fallait essayer de dénicher une place dans une école privée, dirigée par les Soeurs Blanches et située à plus de trois kilomètres de mon village.

 

Je vais accéder à l'école primaire sous un faux nom. Celui d'un frère né deux ans avant moi et décédé. Aucune déclaration officielle n'ayant été faite après son décès, il était considéré toujours vivant. Je n'avais donc qu'à prendre sa place sur les bancs de l'école ; ma grande taille me facilitait à cette doublure. Une supercherie de la part de mes parents pour me donner encore plus d’atouts. En fait une démarche qui va plus me compliquer la vie que m’aider. Tout d'abord, quand il a fallu retrouver ma véritable identité, les explications avancées ont placé mes parents dans une situation peu confortable. Et puis, m'avoir scolarisé avec les enfants âgés de deux ans de plus que moi, ne m'a en rien aidé. Je n'étais pas suffisamment éveillé pour suivre l'enseignement avec a même aisance que mes autres camarades de classe. Ainsi durant une bonne dizaine d'années, je vais être astreint à un régime strict. Lever à cinq heures du matin et enchaîner enseignements arabe et français jusqu'à 19 heures. Le soir, à la maison il fallait faire les devoirs des deux enseignements. Pour ce faire je m’installais dans « Thâaricht » avec comme tout éclairage une minuscule lampe à l'huile.

 

Lors des congés scolaires il fallait aider aux travaux des champs et m’occuper particulièrement de notre maigre bétail : un âne, une brebis, deux ou trois moutons. Des animaux auxquels je vouais un véritable amour et m'attachais plus qu'il n'en fallait. Notre école française était située en contrebas du village. Elle était composée de deux bâtiments, un pour le logement du directeur, le second pour l’enseignement. Deux classes à deux niveaux soit quatre classes au total. Les enseignants affectés là, sans eau courante, sans électricité, devaient relever plus d'une sanction que d'une promotion. C'est dire si la rotation était importante. C'est dire si nos maîtres demeuraient rarement plus d'une année scolaire sur place.

 

Lors d'une rentrée nous avons eu la surprise de découvrir que nos nouveaux maîtres étaient européens : M. et Mme Angel. Un couple hautain, raciste, méprisant. Pourtant, de tout temps, il a été le seul à avoir mis sur pieds une cantine scolaire. On se rendait donc à l'école avec une assiette et une cuillère en aluminium. Pour nous qui avions faim, d'autant que tout était rationné à cause de la guerre mondiale, une vraie aubaine d'avoir le repas de midi assuré. On aurait même aimé se rendre à l'école sept jours sur sept. Un seul plat était servi : légumes secs, pâtes, riz ou pommes de terre avec un morceau de pain. Jamais de viande. Une fois servi, chacun de nous s'installait dans la cour en plein air. Évidemment, ni tables ni chaises. Quand le couple Angel quittera notre école, déception unanime, la cantine va disparaître avec lui. Sans doute s'agissait-il d'une décision venue de haut, mais pour nous c’était lié au départ des Angel.

 

 

 

LOUELH-Youssef-Khider_memoires-en-minuscule.jpgYoussef Khider LOUELH

Mémoires en minuscules

EDILIVRE 2009

 

28/08/2009

L’extravagante histoire de Pois Chiche (3) Mohamed MANKOUR

 

Lorsque Pois Chiche entra dans l’étable, une odeur tiède, musquée et le martèlement des sabots des bœufs, lui rappelèrent qu’il avait toujours éprouvé une affection particulière à l’égard de ces puissants animaux. Leur regard, leur respiration placides avaient le don de l’apaiser et, au grand dam de sa mère qui craignait de le voir piétiné, on pouvait le trouver les soirs d’hiver, endormi sur le cuir chaud de leur échine. En été, les renfoncements creusés par leurs sabots accumulaient une eau claire et fraîche qui le comblait sous le soleil brûlant.

 

Il se rapprocha des bêtes et constata, à la lumière blafarde de la lune chichement distillée par une petite lucarne, que la grande pièce abritait deux paires de bœufs ainsi que quelques moutons et chèvres. Comme autrefois, il grimpa prestement sur le dos de la bête la plus haute puis hurla à destination de ses pendables congénères :

 

– Nobles brigands ! augustes bandits ! en ce lieu, les richesses foisonnent tels les poux sur la tête du gueux ! Nobles brigands ! augustes bandits ! des bœufs ou des moutons, que désirez-vous emporter ?

 

Stupéfait, le chef tenta de chuchoter que cela importait peu et qu’il ne fallait pas hurler de la sorte sous peine d’éveiller le maître des lieux. Pois Chiche n’entendit pas les mises en garde et, de plus belle, s’évertua à réitérer son appel qui, inévitablement, tira le fermier de son sommeil.

 

L’homme, une chandelle à la main et son tromblon bourré d’une poignée de gros plombs, de l’autre, dévala l’escalier grossier qui menait à l’étable.

 

– Qui que tu sois, sors de ta cache que je te saigne comme un vulgaire mouton !

 

– Sois raisonnable petit père et retourne te coucher ! rétorqua Pois Chiche l’arrogant. Mes amis et moi sommes en plein travail, ne vois-tu pas que tu nous importunes !

 

– Je ne te vois pas mais je sais que tu n’es pas très loin ! vociféra l’homme en approchant sa chandelle des bœufs.

 

Pois Chiche l’effronté vit la chandelle se rapprocher et se réfugia aussitôt dans l’oreille de l’animal qui le portait. Lorsque la chaleur et l’odeur âcre du suif brûlé vinrent agacer ses sens, davantage par colère que par peur, il lança vertement en direction de l’homme : « Prends garde stupide créature tu es sur le point de me brûler les moustaches ! »…

 

 

Vava inouva

 

MANKOUR-Mohamed_4eme-de-couverture.jpgL’extravagante histoire de Pois chiche

Contes kabyles

 

Textes et illustrations de Mohamed MANKOUR

ISBN : 978-2-296-08094-2

 

 

 

23/08/2009

L’extravagante histoire de Pois Chiche (2) Mohamed MANKOUR

« Les « terres d’en haut » s’étendaient sur le flanc doux et exposé de la vallée. Le flot doré des blés ondoyait et coulait, tranquille, entre de gras pâturages. L’essaim de faucheurs, cadencé et voûté sous les feux d’un soleil de plein midi, tranchait encore la paille sur laquelle se dressaient de lourds épis.

 

Parvenu à la ligne de crête, Pois Chiche trouva dans les anfractuosités du granit, une sorte de cône renversé et largement évasé dans lequel il se glissa et qui lui servit de porte-voix :

 

– Ohé ! ohé ! braves faucheurs, hardis travailleurs ! Mon père, votre Seigneur bienveillant vous convie à un déjeuner cordial. Ohé ! ohé ! braves faucheurs, hardis travailleurs ! Au préalable, il vous somme de vous saisir de la plus dure des roches et de briser votre denture…

 

Le commandement seigneurial fut rapidement mis à exécution et les ouvriers se présentèrent au réfectoire les gencives douloureuses et maculées de sang. Le Seigneur entra dans une fureur sans nom lorsqu’il connut l’origine de cette ignominie. Il convoqua son fils et le menaça du bannissement s’il s’avisait de commettre, derechef, une pareille forfaiture et une telle abjection. Pois Chiche tint des propos quelque peu sibyllins pour tenter d’expliquer ses agissements. Son père, certainement pressé par ses affaires, crut déceler en lui des remords et le congédia en manifestant haut et fort son exaspération…

 

 

Vava inouva

 

L’extravagante histoire de Pois chiche

Contes kabyles

 

Textes et illustrations de Mohamed MANKOUR

ISBN : 978-2-296-08094-2

 

 

MANKOUR_pois-chiche_mere.jpg
La Mère de "Pois Chiche"

17/08/2009

L’extravagante histoire de Pois Chiche (1) Mohamed MANKOUR

 

 

« A son grand étonnement, elle vit l’insignifiante bille végétale s’échapper de sa main, rebondir par deux fois et rouler pour s’immobiliser au milieu du plat. Sa surprise fit place à la stupéfaction lorsqu’elle entendit une faible voix tandis que le pois chiche s’agitait :

– Mère ! mère ! approche-toi de moi ! prends-moi dans ta main !

 

La jeune femme balaya la vaste cuisine du regard mais la pièce paraissait désespérément vide.

– Mère ! mère ! approche-toi de moi ! prends-moi dans ta main !

 

Médusée, elle fixa de nouveau le pois chiche au comportement singulier et se rendit à l’évidence : la petite voix provenait bien du légume sec qui se dressait au milieu de ce plat de bois…

– Mère ! mère ! approche-toi de moi ! prends-moi dans ta main ! n’aie crainte, je suis ton fils !

 

La vue de la jeune femme se troubla, ses genoux commencèrent à chanceler et, de justesse, se raccrocha au moulin à grain. Quand elle eut repris un semblant de lucidité, elle porta son regard sur cette chose qui l’appelait. « Mère ! mère ! », cette parole si banale, martelée, éveilla en elle, d’emblée, la plus cinglante des douleurs, comme si son corps, tout entier, avait appris à reconnaître certains mots et la souffrance qui les accompagne.

 

Quand elle se reprit, elle ressentit une émotion indéfinissable, apaisante. « Mère ! mère ! », ce cri, cela ne faisait aucun doute, lui était adressé et cela suffisait à faire renaître son espérance. Elle approcha la tête du plat pour mieux distinguer la chose et tendit une main tremblante. Lorsqu’elle s’immobilisa, la petite graine se mit à sautiller et d’un bond, se posa sur la paume de sa main fiévreuse. Elle cligna des yeux à plusieurs reprises et les ferma à demi pour mieux voir; le pois chiche était vivant, c’était incontestable. Les traits tirés de son visage firent place au sourire radieux enfin retrouvé. Sans mot dire, spontanément, elle approcha de sa poitrine la main porteuse du précieux fardeau et, comme pour préserver un être fragile, le couvrit en partie, de son autre main. Le souffle chaud de la jeune femme caressa la peau grenue du pois chiche qui, tranquillisé, murmura de nouveau les mots insensés

« Mère ! ma mère…»…

 

 

MANKOUR-Mohamed_Vava-inouva.jpgVava inouva

 

L’extravagante histoire de Pois chiche

Contes kabyles

 

Textes et illustrations de Mohamed MANKOUR

ISBN : 978-2-296-08094-2

 

09/08/2009

Mon grand-père, Akli Tighilt (Mélanie Bélarbi)

 

Mon grand-père, Akli Tighilt, est né le 24 août 1928 à Béjaïa en Algérie (Kabylie). Il a dû quitter l’Algérie à 20 ans pour venir travailler en France. Ils avaient besoin de main d’œuvre après la deuxième guerre mondiale pour reconstruire le pays.  Deux ans après, il a fait venir ma grand-mère et leurs enfants en France car les bouleversements commençaient dans leur pays. Les Algériens voulaient leur indépendance car les colons les exploitaient. Les évènements ont commencé en Kabylie. En France mon grand-père y participait en distribuant des tracts, en récoltant de l’argent pour l’envoyer en Algérie (achats d’armes). Il se réunissait avec d’autres résistants dans des caves le soir, tout en travaillant la journée.  Un jour, quelqu’un l’a dénoncé et la police l’a emmené. Il a été condamné à 19 mois d’internement au Larzac. A ce moment là, ma grand-mère était enceinte de ma mère et ils avaient déjà 5 enfants. Ils ont vécu dans la misère et dans la faim parce qu’il n’y avait personne pour rapporter de l’argent à la maison.  Ces évènements ont une grande importance dans notre famille et le fait que ce soit aujourd’hui un évènement historique nous permet de ne pas oublier le vécu de mes grands-parents et de leurs enfants.

 

APA_n35.jpgMélanie Bélarbi

Collège de l’Estaque, Marseille

 

 

LES CAHIERS DE L’APA

Association pour l’autobiographie et le patrimoine autobiographique

APA - MAI 2006 - N ° 35

Aix-en-Provence

Les lycéens et l’autoportrait

Un partenariat entre l’APA et l’académie d’Aix-Marseille

 

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