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21/03/2010

La Femme Kabyle (Alfred COULON) 2

 

 

EN MÉNAGE

 

 

Voilà donc, et sans autre formalité, sans contrat d'aucune sorte, la jeune femme installée dans sa nouvelle famille. Mariée, sans qu'on ait trouvé utile de solliciter son consentement ni de consulter ses goûts à un homme souvent beaucoup plus âgé qu'elle, c'est pour la femme kabyle surtout que le mariage est une loterie.

 

Si l'époux que les circonstances et la volonté de son tuteur légal lui ont assigné n'a pas été gâté ou aigri par une union précédente et si, homme de caractère, il fait taire d'autorité les insinuations malveillantes de son entourage féminin, jaloux de la beauté de la nouvelle mariée et de la place prépondérante qu'elle prend d'emblée dans la maison, la jeune femme pourra goûter un bonheur partagé car les kabyles qui n'ont ni cafés, ni cercles, ni distractions d'aucune sorte apprécient beaucoup les joies du foyer et ils sont dans la vie ordinaire des maris ni plus exigeants ni plus intraitables que le reste des hommes.

 

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Mais, si par malheur son seigneur et maitre est un paresseux, un débauché, un violent et brutal, alors va s'ouvrir pour la malheureuse, surtout si la naissance d'un garçon ne vient pas à propos mettre trêve aux emportements de son mari, une ère d'ennuis, de contrariétés et de vexations sans nombre. Elle n'a personne pour la protéger et la défendre et elle ne peut exercer aucun recours contre son irascible époux qui n'est pas son associé mais son maitre et qui n'a à rendre compte à personne de ses dérèglements.

 

Quand son ménage est devenu un enfer et qu'elle a conscience de l'inutilité de ses efforts pour ramener son mari à de meilleurs sentiments, la pauvre femme --bravant la réprobation que sa rébellion va lui attirer-- n’a plus qu'une ressource désespérée : celle de s'enfuir chez ses parents qui, contrepartie de l'exclusion des femmes de l'héritage paternel, sont tenus de la recevoir et de pourvoir à son entretien aussi longtemps que les circonstances l'exigeront.

 

C'est la seule échappatoire qui lui est offerte pour rompre les liens devenus insupportables car la femme kabyle ne peut pas solliciter d'elle-même le divorce. Ce droit est l'apanage exclusif du mari qui peut, par contre, l'obtenir avec la plus extrême facilité et sans avoir à engager la moindre dépense.

 

Il lui suffit, pour cela, de manifester devant témoins sa volonté ferme de divorcer et le voilà débarrassé, séance tenante de la compagne qui a cessé de lui plaire. Bien plus il peut même répudier sa femme à distance, par procuration ou par simple lettre. Enfin, il peut encore prononcer un divorce partiel, en quelque sorte provisoire, et qui lui permet de reprendre, sans autre formalité que l'expression de son désir, la femme congédiée dans un accès de mauvaise humeur et qui parait, après réflexion, mériter un meilleur traitement. Le divorce est tellement chose facile et courante en Kabylie que les bambins en se chamaillant, se lancent à tout propos cette invective : « Que ta mère, que tes soeurs soient répudiées. »

 

 

La Femme Kabyle

 

Alfred COULON

 

 

Directeur de l’École d’Application d’El-Biar

 

BSGAAN ; 1930

 

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