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06/04/2010

L'HOMME MALHEUREUX (Ghalem BAROUD) 2

(Conte de Kabylie)

… (suite et fin)

 

Nous montâmes notre tente mais le sommeil ne voulait pas venir. À minuit, un oiseau fantastique s’abattit sur nous, nous prit entre ses griffes et nous enleva.

 

Il s'éleva très haut dans le ciel et nous lâcha. Mon ami tomba le premier et se tua, mais il amortit ma chute et me sauva la vie. Je repris connaissance le lendemain matin et quelle ne fut pas ma stupeur de voir tous mes amis étendus morts près d'un arbre où se trouvait un gigantesque nid rempli d'oeufs énormes. Je montai à l'arbre et je jetai les oeufs, plein de colère. À cet instant, l'oiseau fantastique revint. Je me cachai près de mes amis morts. L'oiseau s'aperçut de la disparition des oeufs. Il jeta des cris stridents, inspecta les cadavres mais ne me découvrit pas. Ses cris redoublaient d'intensité et me faisaient trembler d'effroi. Alors il s'envola pesamment, monta très haut, replia ses ailes et tomba sur un rocher où il se fracassa la tête. Je restai allongé trois jours entre les cadavres car j'avais peur.

 

Le quatrième jour, je me levai et disparus de ce lieu maudit. J'arrivai dans un village où je trouvai du travail. Bientôt je me mariai. Hélas, je ne connaissais pas les coutumes de ce pays : quand un membre du couple meurt, l'autre est jeté avec le cadavre dans un trou. Ma femme tomba bientôt malade et mourut quelques temps après, en même temps que le sultan du pays. On nous jeta, la femme du sultan et moi, dans un grand trou avec les cadavres et quelques provisions. Les jours passaient lugubrement. Un soir, nous entendîmes des pas pesants. Nous pensions que c'était l'ange Asraël, l'ange des tortures. La peur nous envahit. Le lendemain les mêmes pas se firent entendre. Je dis alors à la femme du sultan:

« Tiens-toi bien à mon dos; si c'est l'ange Asraël, il nous torturera ensemble et si c'est quelque chose d'autre, on le verra ensemble.»

 

Une ombre entra dans le trou. Nous nous jetâmes sur elle et la suivîmes à la lumière ; nous découvrîmes que c'était un ours qui mangeait les cadavres.

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Nous nous sauvâmes à toutes jambes. Nous arrivâmes bientôt dans un autre village Je demandai à un jeune berger:

« Enterrez-vous les morts seuls?»

« Avec qui voulez-vous qu'on les enterre ?» répondit celui-ci.

Je décidai de m'installer dans ce village et je me mariai bientôt avec la femme du sultan.

Ma femme donna le jour à un magnifique enfant blond, aux yeux vifs et rieurs. Hélas, l'enfant tomba bientôt malade. Lorsque les gens du village apprirent la nouvelle, ils décidèrent de tuer le pauvre garçon, car c'était la coutume. Nous quittâmes tristement ces habitants cruels. Bientôt nous arrivâmes dans un autre village. Nous demandâmes alors aux habitants:

« Que faites-vous des morts?»

«On les enterre.»

« Et des malades?»

«On essaie de les guérir.»

Me voici maintenant dans ce village, continua le grand-père. J'ai travaillé la terre, et celui qui t'a conduit jusqu'ici est mon petit-fils.

 

Le vieil homme regarda intensément le pauvre bûcheron :

- Mange, pauvre homme, lui dit-il, je fus plus malheureux que toi dans ma vie.

 

Le bûcheron fut convaincu de la sagesse de ces paroles. Il décida de retourner chez lui. Il rejoignit son foyer où sa femme l'attendait dans les larmes et l'angoisse.

 

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Contes d’Algérie

Textes recueillis par Ghalem BAROUD et un groupe d’amis algériens

Éditions EDICEF

Fleuve et Flamme

Collection du conseil International de la langue française

1985

 

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