Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/07/2010

Le Montespan à Gigeri en 1664 (Jean TEULÉ) 2

 

Montespan s'était écrasé et ne l'avait plus ramené.

Il ne s'était pas une nouvelle fois surendetté et n'était pas venu ici pour se mettre à dos un cousin du monarque. Simplement, il lui avait semblé que... Mais presque tous les officiers – La Châtre, Martel, Charuel, Lestancourt, etc. – avaient ricané, serviles, autour de Beaufort. Seul le chevalier de Saint-Germain avait observé le marquis d'un air attentif. Le gros Vivonne s'était bidonné aussi (semblant oublier que lui-même avait acheté une charge de marine sans jamais avoir auparavant mis ses talons rouges dans une barque de rivière). Le cousin du roi, très sûr de lui, s'était gaussé en étirant ses moustaches parfumées :

— La plus grande puissance mondiale devrait-elle craindre une bande d'éleveurs de chèvres en burnou ? Allons donc, je n'aurai besoin que des blanchisseuses de l'armée pour garder les fortifications de Gigeri et les redoutes du djebel El-Korn. Servez-vous au cimetière.

Les soldats étaient alors allés desceller les pierres des mausolées pour terminer l'édification de la muraille. La nuit suivante, dans le désert, une voix avait psalmodié en arabe :

— Les morts privés de leurs tombeaux ont obtenu du Ciel la permission de se venger. Le Prophète leur est apparu et a promis de faire fondre les boulets des Français comme de la cire !

Montespan avait observé avec inquiétude les feux que les Kabyles avaient allumés sur les collines Pour appeler la canonnerie turque et les douars éloignés à l'attaque contre le camp chrétien. Et puis voilà.

C'est la révolte du Coran poussée par le sirocco ! Les étoiles crèvent les murs. Les fortifications sont partout illustrées de chaudes fleurs et, dans le ciel, ce sont des accidents de féeries scientifiques. La réserve de poudre et de munitions explose, faisant d'un millier de Français autour un tas fumant. L'ordre d'évacuer ce pays poivré a été donné. Les premières barques fuient en déroute avec les nappes de brume. Près des tambours dorés et des rouges canons abandonnés sur le sable, Montespan, dernier capitaine à terre, tente avec ses mousquetaires de ralentir la progression de l'ennemi pour que les barques aient le temps de rejoindre les navires qui les attendent au large. Mais l'armée turque est épouvantable avec ses bruits de houle, hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer, avec des bâtons et des piques de fer, ses tambours et ses grands cris de halle. Louis-Henri en a les yeux flottants. Il porte sur l'épaule gauche, pendant devant et derrière, une double sacoche comme on en pose sur le dos d'un cheval. Les sacoches de cuir ouvertes débordent de bijoux, barres d'or, diamants en quantité, vaisselles fines et perles, qu'il a pillés, vite fait, à son tour dans l'antre des pirates. Il n'a pas voulu laisser toutes les richesses barbaresques volées dont le port est empli. Cela remboursera cette expédition désastreuse, l'ensemble de ses dettes, et il pourra couvrir de cadeaux Athénaïs. Même à cet instant, dans la lumière diluvienne des armes, il pense à Elle. Sa vue erre. Mais quoi, elle lui est tout – et merci Puis il court vers la mer mais les soldats tentent en vain de déséchouer une chaloupe où se sont entassés une centaine de blessés. Alors, avec Saint-Germain, accompagné de trois hommes, il retourne sur la plage. Saint-Germain, touché à la cuisse, s'effondre dans l'eau. Suivi de ses trois compagnons, Louis-Henri se jette avec furie contre les premiers Kabyles, en tue deux à coups d'épée (sans même savoir comment il s'y est pris) et casse l'élan des ennemis. Voyant la chaloupe s'éloigner enfin du rivage, il rompt l'engagement et se jette à la nage avec les derniers soldats. Les Turcs s'alignent maintenant sur la plage et comme à l'exercice tirent sur les cibles ballottées dans les déferlantes. Deux hommes sont abattus mais le troisième est sauvé de la noyade. Saint-Germain est encore touché à deux reprises. Les forces lui manquent. Dans un dernier élan, il réussit à tendre les bras vers l'embarcation. Louis-Henri, déjà à bord, agrippe sa main, le hisse lentement hors de l'eau. Saint-Germain, dégoulinant, lui promet :

— Je suis très proche du roi et saurai lui dire votre perspicacité et votre héroïsme. Sa Majesté vous récompen...

Mais un boulet, cette fois, l'atteint en pleine tête. Le torse du chevalier tombe dans les bras de Montes­pan.

La houle marine dans la nuit sans étoiles roule et déroule parmi les bruits sourds et les craquements du vaisseau – La Lune – à bord duquel le Gascon a trouvé place.

 

JIJEL_Corniche de Saphir.jpg
Environs de Jijel

 

 

Jean TEULÉ

Le Montespan

 

Éditions Julliard

Paris, 2008

Chapitre 6

Pages 60 à 68

 

Commentaires

Bonjour,

Tout en encourageant l'initiative de cette bibliothèque Kabyle je voudrai dire que si tel est vraiment le cas, c'est-à-dire une bibliothèque dédiée au domaine Kabyle et plus généralement au domaine Amazigh, des auteurs comme Tolstoï n'ont pas leur place ici.

A la longue ce "fourre-tout" pourrait décrédibiliser le site et le ranger parmi la centaine de sites généralistes qui ne sont consultés que par leurs concepteurs... Il faudra donner à cette bibliothèque une identité claire afin d'intéresser les gens et cela finira par les fidéliser.

Personnellement si viens sur ce site c'est pour chercher en premier lieu des oeuvres d'auteurs kabyles sur le domaine kabyle ou Amazigh et en second lieu des oeuvres d'auteurs étrangers sur les mêmes domaines.

Bien à vous,

Ouamar de Paris.

Écrit par : ouamar | 14/08/2010

Réponse à Ouamar de Paris.


Dans ce blog, je privilégie évidemment les auteurs kabyles dont les œuvres sont accessibles mais je ne peux m’empêcher de citer des auteurs célèbres et de faire connaître leur vision de la Kabylie et des Kabyles notamment dans des textes anciens.

Ainsi il m’a paru judicieux de mettre ici un extrait de la nouvelle " Lucerne " de Tolstoï.

Il y rapporte un fait divers qui eut lieu dans cette ville de Suisse le 7 juillet 1857 : un petit chanteur ambulant a chanté pendant une demi-heure en jouant sur sa guitare et comme récompense les gens de la bonne société l’ont rabroué.

Et d’après Tolstoï ce fait divers est plus significatif que des évènements historiques dont le fait « … que les Français aient tué mille Kabyles pour que le blé pousse bien en Afrique du Nord et qu’il est bon d’entretenir l’esprit militaire … »


Néanmoins j’attends des livres (ou des extraits) d’auteurs kabyles contemporains.

Écrit par : GéLamBre | 15/08/2010

bnj

je suis de Gigeri merci et vive les Kabylie

Écrit par : med amine | 30/12/2011

Les commentaires sont fermés.